Les matins crétins avec Kellogg’s

On se demande comment on avait pu vivre sans. Heureusement, Kellogg’s avait réuni en 2011 une nutritionniste (Dr Brigitte Boucher), un psychiatre (Dr Stéphane Clerget), un anthropologue (Dominique Desjeux) et un sociologue (Jean-Claude Kauffmann), par ailleurs directeur de recherche au CNRS pour nous observer. Pas n’importe quand : le matin. Pas n’importe quel matin : les matins réussis. Il y a des matins réussis et des matins pas réussis. Intuitivement, on se doutait que les matins réussis sont des matins avec des bols remplis de céréales Kellogg’s.

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L'observatoire des matins réussis

Le truc en question s’appelait l'Observatoire des Matins Réussis. Donc sous la houlette de Kellogg’s, des personnalités de haut vol allaient observer « ce moment complexe » qu’est le matin, « riche en codes », qui « confronte plusieurs enjeux : biologiques, physiologiques, émotionnels, individuels, relationnels..., soit autant de sujets à explorer. » Dire qu’on a mangé pendant des années des tartines sans se douter un instant des multiples "enjeux" sous-tendus par ce geste simple. Merci à Kellogg’s de faire jaillir la lumière au bout du tunnel. Mais, comme il est dit dans l’Ecclésiaste, « Accroître sa science, c'est accroître ses douleurs. » En effet maintenant que nous savons, maintenant que la connaissance des enjeux du petit déjeuner nous a été révélée, saurions-nous être à la hauteur des défis « biologiques, physiologiques, émotionnels, individuels, relationnels » qu’implique l’ouverture du pot de confiture ? Saurions-nous faire face à la pression au moment de sortir la barquette de margarine du frigo ? Nos mains ne trembleraient-elles pas à l’instant de peler l’orange ? Un comprimé de Xanax ferait-il l’affaire ou faudrait-il toute la boîte ?

Des questions existentielles

Car Kellogg’s n’entendait pas nous lâcher en si bon chemin. Le vendeur de croquettes y livrait quelques unes des « problématiques diverses » avec lesquelles les « experts » de l’Observatoire des matins réussis allaient se coltiner. Du très lourd : « Comment combiner les rythmes de chacun avec les rythmes de la vie sociale le matin ? » ou « Comment la spécificité des familles joue t’elle (sic) sur les matins de chacun ? ». Bien sûr la liste n'était pas exhaustive. Quelles réponses l’Observatoire des matins réussis allait-il apporter à « comment beurrer sa biscotte pour qu’elle tombe du côté sec » ou « Quand arrêter le feu avant que le lait déborde. » ?

Kellogg’s avait lancé aussi un site Internet – pas moins – qui se proposait d’aborder des sujets particulièrement crus : « Faut-il laisser son enfant tranquille le matin ? » ou encore : « Que faire quand il n’a pas faim ? » sans oublier : « Le matin, papy et mamie assurent. » Bref, « autant de thèmes hebdomadaires pour apporter de nouveaux regards sur le matin. » On envie les experts appelés à se prononcer sur des sujets aussi excitants. Car dans ce domaine aussi, les attentes sont grandes. Tenez, par exemple, faut-il descendre faire pisser le chien au saut du lit, ou peut-il attendre la fin du petit déj ? Et si ça dépendait de la race du chien ? Vite, une aspirine !

"Matins crétins"

L’agence qui avait été chargée d’imaginer ce site Internet avait pensé à tout. Même à une rubrique « Les témoignages ». Si vous vous demandez sur quoi on allait bien pouvoir témoigner, le dossier de presse donnait un exemple : « Partagez votre matin crétin grâce à une application qui permet de raconter ses meilleures anecdotes matinales. » Vous avez bien lu. « Partagez votre matin crétin ». Kellogg’s ne dit pas ce qu’est un « matin crétin » mais soyons francs, comment qualifierait-on une matinée passée à poster des témoignages sur le site de Kellogg’s ?

Finalement, faute de matins ou faute de crétins, ou les deux, Kellogg's a enterré son "Observatoire". Les grands spécialistes sont retournés à leurs affaires courantes, le site Internet a fermé. Il ne reste plus guère de témoignage de ce grand moment de marketing céréalier, mais LaNutrition n'a pas oublié.