Certains yaourts feraient grossir

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 15/11/2012 Mis à jour le 10/03/2017
Chaque Français consomme plus de 21 kilos de yaourts et laits fermentés par an.Certaines des souches bactériennes utilisées par les industriels feraient grossir.

Ce yaourt au Lactobacillus acidophilus dont vous faites en famille une consommation importante peut-il année après année vous faire prendre du poids à votre insu ? Et que penser des compléments alimentaires de probiotiques qui utilisent ces mêmes souches ? Dans un article paru le 6 novembre dans Current Infectious Disease Reports, le professeur Didier Raoult, chef du laboratoire de virologie et de bactériologie de l'hôpital de La Timone, à Marseille, s’émeut des conséquences de la consommation effrénée de certaines bactéries lactiques des yaourts et laits fermentés sur le risque d’obésité. (1)

Chaque Français consomme en moyenne plus de 21 kilos de yaourts et laits fermentés chaque année, en augmentation de 20% en dix ans. Un quasi-record mondial. Seuls les Allemands montrent plus d’appétit. Nous avalons avec ces yaourts des milliards de milliards de souches bactériennes appelées probiotiques. Mais si les industriels sont passés maîtres dans l’art de vanter les bénéfices de ces bactéries (lactobacilles et bifidobactéries) sur le transit ou l’immunité, ils restent silencieux sur les effets à long terme de ce qui s’apparente à une expérimentation grandeur nature.

Or les probiotiques sont utilisés depuis des décennies, à l’instar des antibiotiques, pour faire grossir les animaux. Le Pr Raoult a lui-même conduit plusieurs expériences montrant que certaines souches bactériennes de la famille des lactobacilles ou des bifidobactéries favorisent la prise de poids.

Il a publié cet été avec ses collègues une méta-analyse de 17 essais cliniques randomisés chez l'homme, 51 études sur les animaux d’élevage et 14 études expérimentales. Résultats : l’administration de Lactobacillus acidophilus entraîne un gain important de poids tant chez l’homme que chez l’animal. Les souches Lactobacillus fermentum et Lactobacillus ingluviei font grossir les animaux. Lactobacillus plantarum entrâine une perte de poids chez l’animal, tandis que Lactobacillus gasseri est associée à une perte de poids chez l'homme comme chez l’animal obèse. (2) Il semble donc que certaines souches favorisent la prise de poids, d'autres au contraire pouvant faire maigrir, mais le consommateur est dans l'ignorance et les chercheurs commencent seulement à lever un voile sur le sujet.

Les industriels ont réagi à la suite de cette étude, en disant que seule une minorité des études rapportées par le Pr Raoult montrent un gain de poids, et que chez l'animal, le gain de poids correspond essentiellement à une augmentation de la masse musculaire, pas des graisses.

Comme le marché du lait est en chute régulière depuis plusieurs années, les industriels ont été particulièrement actifs pour promouvoir d’autres formes de consommation des laitages : fromages, mais surtout laits fermentés, qu’ils ont paré de nombreuses vertus. Ces bénéfices s’appuient sur les résultats d’études chez l’enfant et l’adulte. Mais que valent réellement ces études ? Pour le Pr Raoult, un grand nombre d’entre elles sont biaisées, « dans la mesure où les chercheurs avaient comme hypothèse un effet favorable des probiotiques sur la digestion, ce qui était précisément l’intérêt des industriels qui les ont financés. » Le Pr Raoult dénonce le fait que les auteurs de ces études et leurs sponsors auraient publié les études lorsqu’elles donnent un résultat positif, mais pas lorsque ce résultat négatif, ce qui fait évidemment pencher artificiellement la balance de la fameuse « médecine par les preuves » en faveur d’un bénéfice. Le Pr Raoult indique aussi que la transparence ne règne pas dans le domaine : les liens entre chercheurs et industriels ne sont pas toujours rapportés dans ces études.

Il est évident que d'autres études indépendantes sont nécessaires. En attendant, le débat en cours pourrait nous inciter individuellement à la modération, en particulier avec les yaourts à base de L. acidophilus, qui sont parmi les souches les plus utilisées par les industriels.

Références

(1) Million M, Raoult D. The Role of the Manipulation of the Gut Microbiota in Obesity. Curr Infect Dis Rep. 2012 Nov 6. [Epub ahead of print] PubMed PMID: 23129415.

(2) Million M, Angelakis E, Paul M, Armougom F, Leibovici L, Raoult D. Comparative meta-analysis of the effect of Lactobacillus species on weight gain in humans and animals. Microb Pathog. 2012 Aug;53(2):100-8. Epub 2012 May 24. PubMed PMID:22634320.

(3) Million M & Raoult D (2012) Publication biases in probiotics.  European journal of epidemiology

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