Plaidoyer pour un McDo

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 05/06/2006 Mis à jour le 17/02/2017
Or donc, Satan débarqua sur Terre un jour d’avril 1955, prit un pseudonyme - Ray Kroc - de vendeur de cravates et ouvrit à Des Plaines, Illinois, USA, un restaurant à l’enseigne suggestive : une fourche dorée en forme de M. M comme malédiction, M comme McDonald’s, le patronyme passe-partout dont il baptisa son ouvrage, histoire de brouiller les pistes. Depuis cette date, les pires fléaux déciment le pays. Alourdis par leurs triple mentons, essoufflés par leurs artères bouchées, claudiquant sur leurs jambes variqueuses, les Américains ne sont plus que l’ombre des robustes pionniers qui conquirent le Nouveau Monde. Et voici que l’oeuvre de Satan menace de gâter le Saint des Saint, infecter le Graal, bref, subjuguer la Bouffe française. Telle est en substance l’histoire que nous racontent les nutritionnistes français, en appelant à la mobilisation de la Sainte fourchette, le Djihad des estomacs. « Il faut rejeter le modèle nord-américain, martelait il y a quelques années le Pr Pierre Louisot (INSERM). Les Etats-Unis sont effectivement le pays du désastre métabolique et de toutes les hérésies alimentaires. Par conséquent, en devenant leur contre-exemple, nous avons des chances d’aller dans la bonne direction ! » L’émoi des nutritionnistes s’explique par deux chiffres : si le surpoids touche un français sur trois, il affecte plus d’un Américain sur deux, avec sa cohorte d’accidents de santé qui raccourcissent la vie. La fast-bouffe n’est pas seule visée par les spécialistes de nutrition, pas plus que McDonald’s en particulier, mais l’une et l’autre sont emblématiques de ce « modèle américain » contre lequel nous sommes appelés à dresser un nouveau mur de l’Atlantique. On peut trouver des vertus à l’explosion des restaurants de fast-food. Pour une somme modique, ils offrent à tous, étudiants, chômeurs, petits revenus, la possibilité de faire un repas chaud décent – et là est peut-être la racine du « désastre métabolique » évoqué plus haut, on y reviendra. Il y aurait donc une fonction sociale du fast-food. Une étude française récente montre que celles et ceux dont les revenus ne dépassent pas 800 euros mensuels fréquentent plus souvent les fast-foods que d’autres types de restaurants. Aux Etats-Unis, ce sont aussi les revenus modestes qui constituent la clientèle la plus assidue de ces restaurants. Or c’est justement dans ces catégories sociales que l’obésité galope. Le modèle alimentaire des fast-foods, rejeté dès les années 1970 par les couches les plus aisées de la population américaine, a suscité en réaction les comportements vertueux que l’on observe dans une certaine bourgeoisie éduquée de la côte ouest et de la côte est. Ces Américains éclairés, qui représenteraient 20 à 30% de la population, consomment plus de fruits et de légumes (230 kg/an) que n’en avale le Français moyen (172 kg/an), fument moins de cigarettes que lui, font plus d’exercice et vivent aussi plus longtemps que lui (ceci n’est pour l’instant vrai que pour le sexe masculin). C’est surtout cette population qui est à l’origine de la baisse des taux de cancer aux Etats-Unis : ils diminuent au rythme de 0,9% par an depuis 1990, alors qu’ils ont augmenté en France entre 1975 et 1995, passant de 92 000 à  135 000 cas chez les hommes (record d’Europe) et de 79 000 à 105 000 cas chez les femmes. La généralisation des fast-foods a conduit les responsables de la santé des Etats-Unis à prendre la mesure des dégâts que peut provoquer une alimentation inadaptée, et a contrario, des bénéfices considérables de prévention des maladies chroniques qui peuvent être retirés d’un comportement vertueux. Les Etats-Unis ont édicté des recommandations nutritionnelles en 1980 et les ont révisées en 1985, 1990 et 1995. Les autorités ont mis en place des politiques d’incitation très réussies comme le « Five-a-day » qui encourage chacun à manger 5 portions de fruits et légumes par jour. Pour pallier les déficits en vitamines et minéraux (qui seraient tout aussi répandus en France) de nombreux aliments sont enrichis. Cette stratégie a des implications importantes sur le plan de la santé publique, puisque 25% des nutriments essentiels ingérés par les Américains sont apportés par le seul enrichissement des aliments. Enfin, le pays s’est doté d’unités de recherche en nutrition d’une puissance impressionnante. Elles sont aujourd’hui les premières du monde. On chercherait en vain le dixième de cette prise de conscience en France, nation fascinée par la médecine d’urgence et dont le rapport avec la bouffe est si chargé de sens que celle ci est, par essence, forcément parfaite. Pour comprendre le succès des fast food, il faut rappeler que nous arrivons sur Terre équipés d’un matériel neurosensoriel qui se trouve particulièrement comblé lorsqu’il est mis en présence de sucre, de graisses ou, mieux, des deux ensemble. Le goût pour le sucré agirait comme un appât pour introduire de nouveaux aliments dans le régime du petit d’homme. Cette attirance décline avec l’âge, ce qui n’est pas le cas de l’attirance pour les graisses. Dans un régime amaigrissant, le plus pénible est souvent de renoncer aux graisses. Un chercheur a calculé qu’un programme de santé publique visant à faire passer de 38% à 32% des calories la part des graisses dans les repas collectifs des élèves américains entraînerait la « fuite » de deux millions d’entre eux. Loin de ces considérations, les fast food ont construit leur succès sur un attrayant mélange de saveurs sucrées-grasses : frites, hamburgers, pizzas, milk shakes. Aucun de ces plats ne poserait de problème métabolique particulier s’il était accompagné de généreuses portions de fruits et de légumes. Mais dans la réalité, un aliment chasse l’autre : les études montrent que les adeptes réguliers de la nourriture de type fast food sont aussi ceux qui consomment le moins de fruits et de légumes. Pour glisser vers la pathologie, il ne manque plus qu’une condition : la sédentarité. La trilogie « excès de sucre – excès de graisses – sédentarité » peut se manifester sous la forme d’un noeud de symptômes (hypertension, lipides sanguins anormaux, résistance à l’insuline) que des chercheurs de l’université californienne de Stanford ont baptisé « syndrome X », et qui augmente considérablement le risque de maladie coronarienne et de diabète. Sans surprise, l’obésité est le trait central des personnes (10 à 25% de la population américaine) qui souffrent de ce syndrome. Aujourd’hui, il apparaît que le « désastre métabolique » duquel les nutritionnistes veulent nous prévenir, touche surtout les catégories les plus modestes de la population des pays développés. Etrange retournement de l’histoire si l’on songe que sucre et graisses animales étaient il y a un à deux siècles majoritairement servis dans les milieux aisés, les végétaux étant abandonnés aux paysans et aux ouvriers.Les chaînes de fast food ne sont pas seules responsables de l’émergence du syndrome X dans la population, mais elles ont commencé – par réflexe citoyen ou calcul marketing – à introduire plus d’aliments « diététiquement corrects » (salades, fruits, céréales) dans leurs menus. Et McDonald’s a promis récemment de mieux coller aux habitudes gastronomiques des pays dans lesquels la chaîne est implantée. Mais pour de nombreux nutritionnistes français, le chaudron infernal de Des Plaines, Illinois est toujours là. On y mijote simplement un brouet plus présentable.  Thierry Souccar

A découvrir également

Back to top