Les hormones du divorce

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 07/07/2006 Mis à jour le 21/11/2017
Peut-on prédire un divorce par le simple dosage d’hormones ? On n’en est pas encore là, mais des études récentes ouvrent de nouvelles perspectives pour comprendre comment et pourquoi stress et frustrations précipitent l’échec d’un couple.

Des trois mariages auxquels vous avez été conviés entre juin et septembre, un se terminera par un divorce. Jusqu’ici rien ne permettait de savoir lequel. Mais cela pourrait changer avec les travaux pionniers de deux équipes de chercheurs américains, qui bousculent au passage les idées reçues sur la question. « Si l’on en croit les livres, l’agressivité et les idées négatives prédiraient le plus sûrement les divorces, fait remarquer le Dr Janice Kiecolt-Glaser (université de l’Ohio, Columbus), qui a suivi plus de 90 couples pendant 10 ans. Mais ce n’est pas ce que nous avons observé. » Même son de cloche chez le Dr John Gottman, qui piste les unions heureuses et moins heureuses dans son laboratoire de l’université de Washington (Seattle) : « Ni l’agressivité du mari, ni celle de la femme, ni les engueulades ne permettent de prédire le divorce, pas plus qu’ils ne donnent d’indication sur la qualité affective des couples stables. »

Kiecolt-Glaser et Gottman sont, chacun à leur manière, les envoyés très spéciaux d’une Amérique qui observe avec effarement ses structures familiales se désagréger, et voudrait comprendre pour prévenir. A la clé : un enjeu social, affectif et sanitaire considérable, si l’on en croit les études qui année après années, associent les foyers déstructurés à un risque accru de conduites à problèmes, qu’il s’agisse d’hyperactivité avec déficit d’attention chez l’enfant, violence adolescente, suicide, ou même, comme on va le voir, maladie chronique chez ceux qui se déchirent.

 

Prédire le divorce ?

Comment prédire le succès ou l’échec du mariage ? Pour y parvenir, Janice Kiecolt-Glaser a recruté de jeunes mariés, équilibrés et en bonne santé. « Nous avons éliminé, dit-elle, ceux des couples qui présentaient des comportements ou des profils à risque, comme le tabagisme, l’abus d’alcool, la dépression. Nous voulions des couples pour lesquels tout s’annonçait pour le mieux. Ils étaient parfaitement heureux d’être ensemble. » Après un bref entretien, chaque couple s’est vu invité à discuter pendant 30 minutes devant une caméra de plusieurs sujets de désaccord, avant de passer 24 heures à l’université de l’Ohio, au cours desquelles un cathéter a été inséré dans le bras de chaque participant afin de recueillir un peu de sang à intervalle régulier – et doser une batterie de paramètres biologiques dont plusieurs hormones.

Dix ans après cette expérience préliminaire, 19% des couples recrutés avaient divorcé, un taux de moitié inférieur aux statistiques nationales. « C’est bien le signe, dit Janice Kiecolt-Glaser, que nous avions sélectionné des couples qui avaient de fortes chances de succès. » Son équipe a alors recherché les variables – psychologiques ou biologiques – permettant de prédire le succès ou l’échec de ces mariages. « Nous avons trouvé que les taux d’hormones relevés après la discussion d’origine étaient les marqueurs les plus fiables du divorce ultérieur. »

Ces hormones, ce sont celles du stress. En réponse à un événement stressant, l’hypophyse, sollicitée par le CRF(corticotropin releasing factor) libère une hormone, l’ACTH (adrenocorticotropic hormone), qui entraîne la sécrétion de cortisol par les glandes surrénales. Le cortisol est responsable de l’élévation d’un neurotransmetteur, la noradrénaline, et de son métabolite hormonal, l’adrénaline.

Les caméras ont en effet révélé que certaines attitudes négatives ou hostiles au cours d’une discussion conflictuelle s’accompagnent d’un taux élevé de ces hormones du stress. Mais tous les comportements hostiles ne sont pas associés au stress ; en réalité, explique Janice Kiecolt-Glaser, les conflits maritaux sont normaux. C’est la manière dont ils se déroulent qui peut poser problème. Ainsi, les critiques, sarcasmes, dénigrements, parce qu’ils ne permettent pas de crever l’abcès et de résoudre le conflit, entraînent frustration et stress. Ce stress est tout particulièrement ressenti par les femmes. D’autres travaux en effet ont montré que, confrontés à une situation qui les oppose, époux et femmes réagissent différemment. Les premiers cherchent le plus souvent à désamorcer l’argument, quitte à fuir ou à se retirer. Les femmes se montrent plus actives : elles se plaignent, critiquent ou exigent des changements d’ordre relationnel. Les esquives du mari sont vécues comme une source intense de frustrations.

Des analyses plus fines conduites par les mêmes chercheurs ont montré que les femmes qui réagissent le plus négativement à la dérobade de leur mari sont aussi celles dont les taux d’hormones du stress atteignent les niveaux les plus élevés.

 

Deux fois plus de séparations chez les femmes stressées

Après l’épisode conflictuel, les couples avaient eu l’occasion, toujours pour les besoins de l’expérience, d’évoquer les circonstances de leur rencontre et raconter comment la décision de se marier avait été prise. Une occasion d’évacuer le stress né de la discussion précédente. Mais quand les chercheurs ont examiné l’évolution du taux de cortisol, ils ont été surpris. « Chez 75% des participants, raconte le Dr Kiecolt-Glaser, les taux d’hormones avaient chuté comme prévu : de 26% en moyenne chez les hommes, et 36% chez les femmes. Mais dans 25% des cas, les taux de cortisol n’avaient pas bougé, ou même avaient augmenté.

Les femmes concernées par cette augmentation ont été au cours de la deuxième année de mariage deux fois plus nombreuses à se déclarer insatisfaites, et par la suite à divorcer. « D’une certaine manière, dit le Dr Kiecolt-Glaser, le taux de cortisol est chez la femme un signal d’alarme de ce qui va se passer plus tard, si son mariage va ou non survivre. Une telle relation n’a pas été observée chez l’homme, signe que les femmes sont plus sensibles que les hommes aux événements négatifs qui affectent leur couple. »

Au-delà du caractère prédictif de certaines hormones, les chercheurs s’intéressent aujourd’hui aux effets des conflits relationnels sur la santé. Des taux élevés de cortisol dépriment le système immunitaire et pourraient rendre plus sensibles aux infections et à certaines maladies chroniques. D’autres prélèvements biologiques effectués au début de l’expérience montrent que des taux élevés des hormones du stress s’accompagnent d’anticorps au virus latent d’Epstein-Barr, ce qui suggère des fluctuations rapides de la réponse cellulaire immunitaire. En 2005, Janice Kiecolt-Glaser a conduit d’autres expériences étonnantes : chez les couples au sein desquels l’hostilité est la plus élevée, le taux de cicatrisation est presque deux fois plus bas que celui des couples peu hostiles. Un effet dû à des médiateurs de l’inflammation comme l’interleukine-6 et le TNF-alpha, eux-mêmes modulés par le stress.

Ces changements hormonaux et immunitaires perdurent-ils, ou au contraire des mécanismes d’adaptation interviennent-ils au fil des ans ? Pour le savoir, l’équipe de Columbus a soumis 31 couples plus âgés (moyenne d’âge 67 ans, 42 ans de mariage) aux mêmes tests. Avant de constater que les attitudes négatives affichées pendant les discussions conflictuelles étaient là aussi associées à des marqueurs hormonaux et immunitaires perturbés. Janice Kiecolt-Glaser ne dit pas si elle va à présent décompter les divorces dans ce groupe de jeunes septuagénaires.


Le "loft" du couple

De 1989 à 1992, John Gottman et son équipe de l’université de Washington (Seattle) ont étudié les attitudes et les réactions de 130 jeunes couples, par tous les moyens possibles : caméras individuelles, microphones, électrocardiogrammes et même… détecteurs de mensonges.

 

Leur but ? Savoir si les partenaires étaient à l’écoute l’un de l’autre, et si les réponses qu’ils se témoignaient étaient positives (chaleur, validation, intérêt, affection, humour) ou négatives (colère, tristesse, persiflage, dégoût, tension, peur, silence). Gottman estime que les données qu’il a recueillies lui ont permis de prédire le divorce avec 83% de certitude et la réussite du mariage avec 80% de certitude. Selon lui, les couples qui restent ensemble sont ceux qui parviennent à partager cinq fois plus de moments positifs que de moments négatifs. Les couples qui laissent ce ratio se dégrader vont à l’échec. Mais, ajoute-t-il, les conflits qui agitent un couple ne sont pas toujours malsains et n’ont aucun rapport avec le taux de divorce. Les relations explosives, qui oscillent entre violence verbale et réconciliations passionnées ne sont pas synonymes d’échec. Au contraire – et il rejoint les observations de l’université de l’Ohio -, ce sont les réactions négatives aux tensions quotidiennes qui font le lit des problèmes. Dans les couples stables, dit-il, les querelles qui ne s’accompagnent pas de sarcasmes, de dédain et d’autres réponses négatives peuvent être vues comme un moyen de résolution des problèmes. Gottman a donc défini un modèle de couple à risque. Celui ou la femme introduit une interaction négative, par exemple des railleries ; le mari refuse d’entrer dans le jeu (domination) ; l’épouse répond en se plaignant ; et le mari ne réussit pas ou ne souhaite pas désamorcer le conflit (tension).

 

Parmi les autres attitudes prédictives d’un divorce ou d’un mariage réussi :

  • Les partenaires qui se plaignent l’un de l’autre dès après le mariage comptent parmi les couples les plus stables ; la colère, lorsqu’elle est correctement exprimée semble « vacciner » contre la détérioration ;

  • Les hommes qui participent aux tâches ménagères ont plus de chances de connaître un mariage heureux, une meilleure santé, et une vie sexuelle plus riche que les autres ;

  • Les femmes dont les partenaires adoptent des attitudes d’indifférence ou de dédain connaissent des troubles de santé, que John Gottman a quantifiés. Il se dit d’ailleurs capable de prédire le nombre d’épisodes infectieux dont elles souffriront au cours des quatre prochaines années. Une confirmation du travail de l’université de l’Ohio sur les marqueurs prédictifs du stress et de l’immunité.

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