Passionné de barbecue, Raphaël Guillot est l'auteur du Guide pratique du fumoir, une formation pour apprendre le fumage des aliments au barbecue. Pour lui, le barbecue, c'est toute l'année, et pas uniquement pour cuire de la viande !

On croit avoir tout tenté. Tout essayé pour prévenir et guérir les maux de l’alimentation moderne. Avec deux maîtres mots : nutriments et apports. Lipides, glucides et calories sont les piliers fondateurs de l’alimentation santé. Et pourtant ! Depuis le début du 20e siècle et l’avènement de l’industrie alimentaire les maladies liées à l’alimentation s’aggravent et se multiplient. Et si on s’était trompé ? Et si la clé de notre santé, ça n’était pas ce qu’on mange, mais la façon dont on le prépare ?
A l’origine de ce qui fait déjà tanguer le monde de la recherche en nutrition, il y a l’intuition lumineuse doublée de la rigueur scientifique d’une femme qui suit cette piste depuis déjà 25 ans (lire entretien). De son laboratoire de l’école de médecine du Mont Sinaï à New York où ConsoSanté l’a rencontrée, Helen Vlassara traque les produits de glycation avancés, des composés chimiques qui apparaissent lorsqu’on fait cuire des aliments à très haute température. Nom de code : AGE (Advanced Glycation End products).
Les AGE sont une mauvaise nouvelle pour l’organisme car ils accélèrent le vieillissement. Comment ? En se liant aux protéines et en créant des « ponts » entre elles (voir schéma). Quand ils s’attaquent aux molécules de collagène, celui-ci perd de son élasticité. Résultat : la peau, les tendons sont distendus, ce qui contribue à l’apparition des rides, et le vieillissement cutané s’accélère. Les AGE peuvent déformer des récepteurs dans les membranes cellulaires et empêcher le flux normal des échanges avec l’extérieur, ce qui peut signifier pour la cellule une condamnation à mort ou une lente dégénérescence. Les AGE favorisent aussi un autre moteur du vieillissement, les radicaux libres.
Une partie des produits de glycation avancés se forme directement dans notre corps. Si les conditions sont favorables : sucre sanguin, pH, température, votre corps fabrique des AGE tout seul. Vous ne vous en rendez pas compte mais pendant que vous dormez, bougez et même au moment où vous lisez cet article, des produits de glycation avancés se forment dans votre organisme. Le contrôle que l’on peut exercer sur ces AGE dits endogènes est assez limité ; ils nous font cuire à petit feu de l’intérieur. Jusqu’à une date très récente, on a cru que seuls comptaient ces AGE fabriqués par l’organisme.
C’est là qu’Helen Vlassara entre en scène. Elle a montré que la source d’AGE la plus importante est… l’alimentation. Tout est parti, presque par hasard et de manière cocasse, d’une simple collation. Il y a 10 ans, après un congrès sur les AGE et le diabète, Helen Vlassara s’est trouvée nez à nez avec une grosse part de gâteau qui lui a inspiré LA question : est-ce que les AGE contenus dans les aliments sont absorbés par notre organisme ? Sitôt rentrée, elle a cuisiné à son collègue et cobaye
1. Le glucose est sous forme cyclique 2. La molécule de glucose s’ouvre libérant des extrémités aldéhyde 3. et 4. Ces extrémités se fixent aux fonctions amines du collagène |
le docteur Theodore Koschinsky une préparation d’œufs et de sucre semblable à une meringue. Puis elle a mesuré le taux d’AGE dans son organisme. Bilan : ses AGE avaient grimpés en flèche. Cette expérience anecdotique mais fondatrice a même fait l’objet d’une publication dans un magazine scientifique peu de temps après (1).
Ces AGE alimentaires - dits exogènes - sont aussi appelés produits de la réaction de Maillard, ou PRM. Les aliments ne contiennent pas tous les mêmes quantités d’AGE, et si le beurre et les produits gras semblent tenir le haut du panier, les valeurs données par les différentes équipes qui travaillent sur ce sujet varient selon les outils de mesure.
Une chose est cependant certaine : les modes de cuisson sont déterminants. Ce sont eux qui sont responsables de la quantité d’AGE que l’on va trouver dans notre assiette. Ce lien entre mode de cuisson et réaction de Maillard n’est pas un scoop : les cuisiniers le connaissent depuis longtemps. D’avis de cuisinier, la réaction de Maillard est même une bénédiction. Pourquoi ? Parce que c’est elle qui donne aux aliments leur couleur dorée et leur fumet appétissant. Le rôti tout juste sortit du four avec sa belle couleur caramélisée ? C’est la réaction de Maillard. L’arôme puissant du café torréfié ? Encore la réaction de Maillard. La belle croûte dorée du pain ? Toujours la réaction de Maillard. Incontestablement, tout cela stimule nos yeux, notre odorat et ravit nos papilles. Hélas, en matière d’alimentation, ce qui est bon… n’est pas toujours bon pour la santé. En d’autres termes ce rôti de porc bien grillé dont vous vous délectiez ce midi est peut-être en train de se venger sur les pauvres cellules de votre organisme.
Mais que font exactement les AGE dans notre organisme ? Hélas, ils ne font pas que passer. Au programme : visite de l’organisme via la circulation sanguine ou passage dans les cellules. Dans tous les cas, ce ne sont pas des visiteurs bien intentionnés et ils perturbent notablement le train-train de leur hôte. Surtout si l’hôte en question souffre déjà d’une insuffisance rénale et que ses reins peinent à éliminer les AGE circulants déjà dans son organisme.
Dans une étude de 2004, Helen Vlassara a montré que les patients atteints d’insuffisance rénale sont plus sensibles aux AGE. Elle a recruté 189 patients qu’elle a séparés en deux groupes. Chacun de ces groupes s’est vu prescrire un régime spécial, riche en AGE ou pauvre en AGE. Après 4 semaines de ce régime, le Dr Vlassara a mesuré les marqueurs de l’inflammation chez ses cobayes. Bilan : l’état inflammatoire était beaucoup plus faible chez ceux qui avaient mangé des repas pauvres en AGE. (2) Les AGE pourraient donc être responsables de l’inflammation chez ces patients, ce qui est loin d’être anodin puisque les inflammations chroniques augmentent les risques de maladies cardiovasculaires !
L’année suivante, Le Dr Vlassara a montré que même chez les personnes en bonne santé, la consommation de grandes quantités d’AGE dans les assiettes induit un état inflammatoire. (3)
Les patients diabétiques sont également particulièrement sensibles aux dégâts causés par les AGE. Pourquoi ? Ils ont plus de sucre dans leur sang. Comme les AGE sont produits à partir du sucre, les diabétiques produisent plus d’AGE. Équation simple et destructrice : les effets néfastes des AGE se manifestent beaucoup plus vite chez les personnes diabétiques que chez celles qui présentent une glycémie normale. Plusieurs études ont permis au Dr Vlassara de montrer que les AGE aggravent l’état de santé des patients diabétiques. La preuve ? L’administration de certaines substances capables de « contrecarrer » les effets des AGE permet de réduire la survenue des complications du diabète. (4) Le simple fait de limiter les apports alimentaires en AGE a même permis au docteur Vlassara d’améliorer la santé de patients diabétiques : diminution de la résistance à l’insuline et des complications que le diabète soit d’origine génétique ou non. (5)
Et la liste des dégâts causés par les AGE sur notre organisme ne s’arrête pas là : maladies cardiovasculaires, cholestérol, inflammation, cataracte… Les chercheurs n’en finissent pas de trouver de nouvelles conséquences des AGE.
Comment se forment les AGE ? |
Que sont les AGE exactement ? Des produits chimiques qui résultent d’une réaction entre un sucre et un acide aminé. Cette réaction chimique s’appelle « Réaction de Maillard », du nom du chimiste français qui l’a découverte en 1912. Cette transformation ne fait pas intervenir d’enzyme, elle a lieu spontanément : dans un premier temps, le groupement carbonyle du sucre réagit avec une fonction amine et donne ce que l’on appelle une base de Schiff. Ensuite cette base de Schiff va elle-même subir un réarrangement moléculaire pour donner ce qu’on appelle un produit d’Amadori. Ce dernier entre dans la phase terminale de la réaction de Maillard et aboutit à la formation des AGE, parfois appelés produits de la réaction de Maillard ou produits terminaux de la glycation. Les premières étapes de la réaction sont réversibles : on pourrait revenir en arrière et retrouver nos inoffensifs sucres et acides aminés. Malheureusement les étapes finales sont irréversibles : quand un AGE est là, il y reste ! Et à moins d’être éliminés grâce à nos reins dans les urines, les AGE s’accumulent dans notre organisme avec des conséquences majeures. |
Tout ça à cause des modes de cuisson ! Au banc des accusés : frire, griller, brunir, rôtir, dorer. D’abord regardée de haut par les nutritionnistes sur les plate-bandes desquels elle s’est aventurée, Helen Vlassara commence à intéresser les chercheurs qui travaillent sur le vieillissement et l’origine des maladies dites de civilisation. L’hypothèse selon laquelle « quelque chose dans l’alimentation », mais pas forcément le trio graisses/protéines/glucides serait responsable ou en partie responsable du diabète, des maladies cardiovasculaires ou même de l’obésité est particulièrement séduisante. Selon Helen Vlassara, ces maladies se développent dans tous les pays sur fond d’industrialisation alimentaire. Plus de 70% des aliments que nous consommons sont préparés industriellement, c’est-à-dire le plus souvent chauffés, extrudés, bref, dans des conditions propices à la formation d’AGE. Le Coca-Cola, boisson emblématique des Etats-Unis serait une mine de ces composés indésirables. A la maison, la cuisson au micro-ondes n’arrangerait rien à l’affaire, sans compter bien sûr le développement des friteuses.
Si Helen Vlassara voit juste, on pourrait disposer grâce à ses découvertes, d’un formidable moyen pour réduire le risque de maladies chroniques et surtout le risque de complications. Quoi qu’il en soit, le simple fait de diminuer les AGE dans les aliments que nous avalons réduit les pontages et les radicaux libres, donc limite les effets du vieillissement. En diminuant les aliments industriels, les plats préparés, les fritures, en faisant bouillir nos aliments, en pochant ou cuisant au bain-marie ou à la vapeur, on limite considérablement la quantité de produits de la réaction de Maillard. La preuve ? Prenez un simple blanc de poulet, faites le bouillir pendant 1 heure, mangez-le. Vous venez d’ingérer la bagatelle d’environ 11 000 unités d’AGE. Maintenant prenez le même blanc de poulet, faites le frire pendant 8 minutes, mangez-le également. Vous venez de vous régaler de près de 74 000 unités d’AGE avec le même repas ! Faire le sacrifice d’une viande bien grillée pour le bien de nos artères, nos yeux, notre système immunitaire… Ça vaut peut-être le coup non ?
Pour vous y aider, LaNutrition.fr publie pour la première fois en France un tableau des sources d’AGE tel qu’il a été dressé par l’équipe d’Helen Vlassara (voir p.8).
(1) Orally absorbed reactive glycation products (glycotoxins): an environmental risk factor in diabetic nephropathy.Koschinsky T, He CJ, Mitsuhashi T, Bucala R, Liu C, Buenting C, Heitmann K, Vlassara H. Proceedings of the National Academy of Sciences en 1997.
(2) Glycoxidation and inflammation in renal failure patients. Peppa M, Uribarri J, Cai W, Lu M, Vlassara H. Am J Kidney Dis. 2004 Apr;43(4):690-5.
(3) Diet-derived advanced glycation end products are major contributors to the body's AGE pool and induce inflammation in healthy subjects. Uribarri J, Cai W, Sandu O, Peppa M, Goldberg T, Vlassara H. Ann N Y Acad Sci. 2005 Jun;1043:461-6. Review
(4) Advanced glycation end products and diabetic complications: a general overview. Peppa M, Vlassara H. Hormones (Athens). 2005 Jan-Mar;4(1):28-37. Review.
(5) Advanced glycation in health and disease: role of the modern environment. Vlassara H. Ann N Y Acad Sci. 2005 Jun;1043:452-60. Review
Les méfaits des AGE |
|
|
Repas riche en AGE |
Repas pauvre en AGE | ||||
| Aliment | Quantité | AGE (KU) | Aliment | Quantité | AGE (KU) |
Petit déjeuner | Rice Krispies | 30 | 600 | Flocons d'avoine | 30 | 4 |
Cacao | 250 | 656 | Jus d'orange frais | 250 | 1 | |
Déjeuner | Blanc de poulet pané frit avec peau | 90 | 8965 | Blanc de poulet bouilli sans peau | 90 | 1011 |
Frites de fast food | 100 | 1522 | Riz blanc | 100 | 9 | |
Goûter | Chips | 30 | 865 | Pop corns | 30 | 10 |
Dîner | Thon grillé | 90 | 4602 | Saumon fumé | 90 | 515 |
Brocolis, carottes, céléri poelés | 100 | 226 | Tomate | 100 | 23 | |
Total |
17436 |
1573 |
Du petit déjeuner au dîner en passant par le petit en cas de quatre heure, il est toujours possible de composer son menu pour garantir un minimum d’AGE dans l’assiette. Ne pas oublier le maître mot : fuir le frit !
LaNutrition.fr publie pour la première fois en France un tableau des sources d’AGE tel qu’il a été dressé par l’équipe d’Helen Vlassara
Aliment | AGE (UE/g ou |
| Aliment | AGE |
Viandes |
| Produits laitiers | ||
Bœuf rôti | 60 708 | Beurre | 264 873 | |
Hamburger | 54 176 | Brie | 55 979 | |
Jambon fumé | 23 491 | Feta | 84 235 | |
Poissons | Lait écrémé | 5 | ||
Merlan pané frit 25 minutes | 87 743 | Lait infantile | 4 861 | |
Poisson bouilli 90 minutes | 7 600 | Lait maternel | 52 | |
Saumon fumé | 5 718 | Mozzarella | 16 777 | |
Thon blanc Albacore à l'huile | 17 396 | Parmesan | 169 020 | |
Œufs | Matières grasses | |||
Œufs frits avec margarine | 27 494 | Margarine 60 % MG | 175 192 | |
Tofu | Mayonnaise | 94 010 | ||
Tofu grillé | 41 067 | Mayonnaise allégée | 22 011 | |
Fruits et légumes | Sauce salade | 9 | ||
Avocat | 15 772 | Pâtes et riz | ||
Banane | 87 | Pâtes cuites 8 minutes | 1 123 | |
Carottes en conserve | 103 | Riz blanc cuit 10 minutes | 88 | |
Frites fastfood | 15 219 | Snacks et petit-déjeuner | ||
Frites maison | 6 939 | Chips de pomme de terre | 28 818 | |
Haricots rouges cuits 1 heure | 2 983 | Chocolat en poudre | 2 622 | |
Haricots verts en conserve | 179 | Corn flakes | 2 320 | |
Maïs en conserve | 195 | Flocons d'avoine | 143 | |
Melon | 201 | Frosties | 4 270 | |
Noix de cajou grillées | 98 082 | Glace à la vanille | 352 | |
Noix grillées | 78 874 | Miel | 87 | |
Olives | 16 686 | Miel pops | 12 431 | |
Patates douces rôties 1 heure | 723 | Sucre blanc | 0 | |
Pâtes cuites 8 minutes | 1 123 | Pain | ||
Pomme | 127 | Pain complet croûte | 730 | |
Pommes de terre bouilles 25 minutes | 174 | Pain complet mie | 1 080 | |
Pommes de terre rôties 45 minutes | 2 180 | Boissons | ||
Raisin | 201 | Jus de pomme | 20 | |
Tomate crue | 234 | Jus d'orange en brique | 56 | |
Jus d'orange frais | 3 | |||
Cola | 86 |
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Découvrir la boutiquePassionné de barbecue, Raphaël Guillot est l'auteur du Guide pratique du fumoir, une formation pour apprendre le fumage des aliments au barbecue. Pour lui, le barbecue, c'est toute l'année, et pas uniquement pour cuire de la viande !
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