Le dopage des vieux

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 28/04/2006 Mis à jour le 17/02/2017
Deux millions de Françaises de plus de 40 ans reçoivent un traitement substitutif aux hormones femelles et ça ne choque personne. Mais les Français de plus de 40 ans à qui l'on prescrit un traitement substitutif à base de testostérone sont éminemment suspects de dopage. Démonstration avec cette enquête de l'Antenne médicale de prévention et de lutte contre le dopage du Languedoc-Roussillon, et surtout ses conclusions.

11 avril 2005

L’antenne de lutte contre le dopage de Montpellier compte d’éminents spécialistes, mais il faut croire qu’ils s’ennuient un peu. Alors, en juin 2004, ils ont demandé à 950 pharmacies de la région Languedoc-Roussillon de leur dire qui se faisait prescrire des médicaments à base de testostérone. Car bien sûr, en France, la prescription de testostérone, c’est forcément suspect. Alors que le corps médical trouve tout à fait normal que 2 millions de femmes de plus de 50 ans suivent un traitement hormonal substitutif à base d’estrogènes seuls ou d’estrogènes et progestérone.

Donc, les spécialistes de la lutte anti-dopage de Montpellier interrogent les pharmacies de la région. Sur les 950, 121 répondent. Et que disent-elles ? Que seules la moitié d’entre elles ont délivré au moins une fois ces médicaments en juin. En tout, 78 patients, dont 76 hommes ont bénéficié d’une telle prescription. 76 ordonnances, vous imaginez la question de santé publique ! A l’échelle de la région, cela représente 600 patients au maximum, et vraisemblablement moins, les pharmacies qui n’ont pas répondu n’ayant probablement pas délivré de testostérone. Qui sont ces dangereux individus ? Leur âge moyen est de 51 ans, ce qui paraît logique compte tenu de ce que l’on sait de la diminution de testostérone avec l’âge (baisse annuelle de 1% à partir de 30 ans).

A partir de là, les enquêteurs de l’antenne de lutte contre le dopage vont multiplier les analyses en sous-groupes pour tenter d’accréditer l’idée que cette consommation hormonale est plus que suspecte. Ainsi, ils s’alarment du fait que 50% des patients qui se sont fait prescrire de la testostérone ont entre 40 et 60 ans. Or, écrivent-ils « 42% des 41-60 ans ne relèvent pas d’hypogonadisme selon leur pharmacien. » Voilà un chiffre qu’il est fiable ! Le pharmacien, c’est bien connu, est le mieux placé pour rendre compte de l’état de santé d’un patient puisque c’est lui qui l’a ausculté, a prescrit les analyses et les a interprétées, fait le diagnostic et rédigé les ordonnances !
Croyant enfoncer le clou, les auteurs de cette enquête ajoutent que seuls 7% des hommes de plus de 50 ans risquent de présenter un hypogonadisme lié à l’âge, contre 22% des plus de 60 ans. Même si ces chiffres sont exacts, ils justifieraient à eux seuls que quelques centaines de personnes âgées de 40 à 60 ans en Languedoc-Roussillon fassent appel à un remplacement hormonal. Mais en réalité, comme le dit le Dr Brad Anawalt (université de Washington), un spécialiste de l’hypogonadisme « cette condition est fréquente en pratique clinique quotidienne, mais elle est très souvent ignorée et sous-diagnostiquée. » Selon des données récentes fournies par cette université, 7% des hommes de 40-49 ans présenteraient un déficit androgénique, ils seraient 12% entre 50 et 59 ans. Chez les diabétiques, les déficits sont légions : ils concerneraient un tiers de cette population. Un traitement hormonal peut changer la vie de ces patients : ils dorment mieux, sont moins dépressifs, perdent du poids et dans certains cas voient leur vie sexuelle s’améliorer. De plus, un tel traitement pourrait réduire le risque de maladies cardiovasculaires, diabète et même Alzheimer.

Mais à l’antenne anti-dopage de Montpellier, on pense que ces prescriptions de testostérone faites aux 41-60 ans sont largement injustifiées (ce qui au passage a dû être apprécié des médecins prescripteurs !). Voici comment ils analysent le phénomène : « Il existe probablement une consommation spécifique à cette tranche d’âge : inquiétude précoce devant les premiers signes du vieillissement, troubles sexuels piu de l’humeur, sentiment de désadaptation face aux exigences de performance intellectuelle ou physique que le monde professionnel requiert (sic – c’est beau comme du Châteaubriant !), dopage sportif (ça y est le mot est lâché) ou quête d’un corps idéal ? »

Je voudrais ici apporter un témoignage personnel : je reçois chaque mois des dizaines de mails d’hommes de plus de 40 ans me demandant les coordonnées de médecins français qui accepteraient de procéder à des dosages hormonaux. Vous avez bien lu : ils veulent juste s’assurer que leurs plaintes ne sont pas liées à un déficit hormonal. Vous n’imaginez pas les difficultés qu’ils rencontrent pour de simples analyses. Leur généraliste ne veut généralement pas en entendre parler. Faire croire, comme dans cette enquête, que le corps médical rédige des ordonnances de testostérone comme on prescrit du sirop pour la toux, ou pire qu’il se prête à des manœuvres suspectes, c’est méconnaître la réalité clinique. Plus grave : une telle enquête aura pour conséquence de rendre encore plus inaccessibles les traitements substitutifs à base de testostérone ; en effet, quel médecin voudrait à l’avenir prendre le risque d’être montré du doigt et accusé de complaisance ? Enfin, cette dernière question de bon sens : comment imaginer raisonnablement que le dopage puisse à ce point concerner des 40-60 ans ?

Le pourquoi de cette étude tient peut-être dans sa conclusion : « Sans doute faut-il maintenant étendre [l'enquête] sur une autre échelle territoriale pour approfondir la question. » Cela justifiera un budget (aux frais du contribuable) et permettra d’occuper quelques mois l’antenne médicale de prévention et lutte contre le dopage du Languedoc-Roussillon, qui aurait surtout besoin de prendre des vacances.
Dans l’attente du lancement de cette grande enquête nationale sur la prescription de testostérone chez les hommes de plus de 40 ans, je propose aux responsables de l’antenne anti-dopage de Montpellier un autre thème de recherche tout aussi passionnant : une étude sur la prescription de cortisone par les rhumatologues à leurs patients arthritiques. Qui sait ? De telles ordonnances cachent peut-être chez les rhumatisants la recherche effrénée de performances. Comme le record du tour du pâté de maison en pantoufles, pour faire pisser Rex le soir après la télé.

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