La curcumine pour prévenir le déficit cognitif

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 11/09/2008 Mis à jour le 10/03/2017
Rencontre avec Sally A. Frautschy, chercheuse à l’université de Californie Los Angeles.

Quelle est votre profession ?

Je suis chercheuse au Centre de recherche sur la maladie d’Alzheimer de l’université de Californie Los Angeles (UCLA) et au Veterans Administration Medical Center. Mon laboratoire mène des recherches visant à mieux comprendre les mécanismes cellulaires, biochimiques et génétiques qui perturbent les fonctions cognitives des malades d’Alzheimer. Nous nous intéressons en particulier à tester des composés courants connus pour leur innocuité.

Pourquoi vous intéressez-vous à la curcumine, la molécule trouvée dans le curcuma ?

Le curcuma est extrait du rhizome de Curcuma longa. La curcumine est la substance qui colore cette épice en jaune. Elle possède des propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires. Or, la maladie d’Alzheimer est associée à des dommages oxydatifs et à une inflammation. Elle est également caractérisée  par une accumulation de protéines bêta-amyloïdes et par leur agrégation sous la forme de « plaques amyloïdes ». Sachant que le risque de développer la maladie d’Alzheimer est diminué par la consommation d’antioxydants et d’anti-inflammatoires, notre laboratoire a testé l’effet de la curcumine sur des modèles de la maladie d’Alzheimer, in vitro et in vivo sur des animaux.

Quels ont été vos résultats ?

Nous avons découvert, comme nous nous y attendions, que cette molécule diminue les dommages oxydatifs et l’inflammation. Mais ce n’est pas tout. Nos travaux ont montré qu’elle réduit aussi l’accumulation de plaques amyloïdes et la perte de synapses neuronales et qu’elle favorise la phagocytose des protéines amyloïdes ainsi que leur élimination. La curcumine contribue ainsi à prévenir la perte des synapses et le déficit cognitif causé par les protéines amyloïdes.

Quels sont les modes d’action du curcuma ?

En fait, la curcumine a de multiples modes d’action. Elle bloque l’accumulation et l’agrégation des protéines amyloïdes, elle corrige les dégâts causés par l’inflammation, elle bloque la peroxydation des lipides qui accélère normalement la disparition des connections neuronales… Pour toutes ces raisons, nous la considérons comme la molécule la plus prometteuse parmi toutes celles qui sont développées pour lutter contre la maladie d’Alzheimer.

Menez-vous des études sur l’homme ?

Nous menons depuis 4 ans un essai en double aveugle contre placebo pour tester l’efficacité de la curcumine sur des malades d’Alzheimer. Nous devrions avoir les premiers résultats début 2008. Notre équipe mène actuellement un petit essai clinique. Pour l’instant, nous ne pouvons pas dire si les résultats seront positifs. Si ça ne marche pas, nous avons à disposition une autre forme de la molécule qui augmente son absorption intestinale. Car le problème principal qui se pose à  son utilisation chez l’homme, c’est de trouver sous quelle forme elle doit être délivrée sans qu’elle soit « glucuronisée » par l’organisme, c’est-à-dire « marquée » pour être éliminée par les reins.

Est-ce qu’il y moins d’Alzheimer dans les pays où l’on a l’habitude de manger du curcuma ?

Oui. Des chercheurs sont parvenus à identifier une communauté habitant la région de Ballabgarh en Inde au sein de laquelle il existe une incidence et une prévalence de la maladie d’Alzheimer extrêmement faibles. On sait qu’il existe une susceptibilité génétique à la maladie d’Alzheimer, liée à la présence d’un gène appelé ApoE4. Celle-ci est très rare en Inde, en particulier dans cette communauté. Les études suggèrent malgré tout que le facteur environnemental joue un rôle prépondérant par rapport au facteur génétique. Une autre étude menée cette fois à Singapour a mis en évidence que les personnes qui consomment du curry (un mélange d’épices dont fait partie le curcuma) « occasionnellement », « souvent ou très souvent » obtiennent de bien meilleurs scores aux tests cognitifs que ceux qui n’en mangent « jamais ou rarement ». Pour l’instant cependant, le lien entre consommation de curcuma et réduction du risque d’Alzheimer est très probable mais n’a pas encore été prouvé.

Conseilleriez-vous de consommer du curcuma ?

Les données scientifiques suggèrent, en tout cas chez les rongeurs,  qu’un des métabolites de la curcumine, le tétrahydrocurcumine, ainsi que la curcumine elle-même allongent la durée de vie, comme le fait la restriction calorique. Il y a des chances que cet effet soit retrouvé chez l’humain. Les activités anti-cancéreuses, anti-inflammatoires et antioxydantes de la curcumine observées chez les modèles animaux n’ont pas encore été prouvées chez l’homme. En revanche, ses effets hypocholestérolémiants sont aujourd’hui reconnus. Le curcuma est sûr, peu cher et très probablement bénéfique, il n’y a donc pas de raison de s’en priver. Le plus gros problème que nous avons à résoudre cependant, c’est que l’intestin humain « glucuronise » la curcumine, en tout cas beaucoup plus que le fait l’intestin des rongeurs chez lesquels nous avons mené des expérimentations. Il est donc beaucoup plus rapidement éliminé par l’organisme.

Y a-t-il des moyens d’améliorer l’absorption de la curcumine ?

Une entreprise américaine (Sabinsa) commercialise du curcuma associé à un composé du poivre qui réduit ce processus de glucuronisation. Par ailleurs, de nombreuses équipes de recherche, dont la nôtre, tentent de résoudre le problème de l’absorption de la curcumine chez les humains. Les études sur les rongeurs suggèrent que le fait de la dissoudre - ce qui n’est pas une mince affaire avec un tel composé, même en laboratoire- améliore son absorption et ses effets.

Concrètement, comment s’y prendre pour dissoudre la curcumine ?

S’il est en solution aqueuse, il faut ajouter de la vitamine C qui va protéger la curcumine et éviter qu’elle ne se transforme par hydrolyse en vanilline. Nous sommes parvenus à dissoudre la curcumine dans des solutions aqueuses d’hydroxyde de sodium et de dimethyl sulfoxide (DMSO). Le problème c’est que ces deux produits ne sont pas comestibles. On peut en dissoudre de petites quantités dans de l’alcool mais à des concentrations insuffisantes. Si vous avez la patience de la dissoudre dans de l’huile chaude ou dans du beurre clarifié comme le font les indiens, c’est le meilleur moyen d’augmenter son absorption. Le mieux pour avoir la bonne quantité de curcumine c’est de faire chauffer 30 ml d’huile à 220°C et d’y dissoudre 500 mg de curcuma durant 2 minutes. Certains malades du sida le dissolvent dans du lait de coco, un liquide riche en graisses. Il semble que c’est le moyen de dissolution le plus facile, même si le bénéfice de cette préparation n’a pas encore été testé scientifiquement. En utilisant du lait de coco et en rajoutant des fruits frais riches en vitamine C (fraises, kiwi, agrumes…) vous pouvez préparer un « smoothie », un cocktail onctueux et rafraîchissant, qu’il faut boire immédiatement si on veut en tirer le maximum de bénéfices.

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