Les révoltés du potager

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 27/09/2006 Mis à jour le 10/03/2017
L’association Kokopelli se bat pour promouvoir des produits et des pratiques qui échappent à la main-mise des industriels soutenus par l’Etat. Comme diffuser librement des semences anciennes, ce qui est interdit. Ou proposer des alternatives aux pesticides, comme le fameux « purin d’ortie », ce qui est également interdit. Mais en menaçant de prison ces agitateurs sympathiques, l’Etat et les industriels ont provoqué une levée de bouclier. Kokopelli se confie sur LaNutrition.fr.  

 

LaNutrition.fr a demandé à Raoul Jacquin, paysan, chargé de communication à l’association Kokopelli, d’expliquer les enjeux de la guerre actuelle autour des semences et du «purin d’ortie».

 

LaNutrition.fr : Qu’est-ce que l’association Kokopelli, quel est son objet ?

Raoul Jacquin : Elle fait suite à l’association Terre de semences créée en 1994. Kokopelli a été fondée en 1999. Son but, c’est la promotion de semences anciennes et d’humus.

 

Combien êtes-vous ?

Il y a dix salariés à Alès, dans le Gard, 12 producteurs professionnels, certifiés agriculture biologique. Nous avons 4500 membres, en augmentation de 25% par an. Les membres sont des paysans, des maraîchers, des jardiniers du dimanche, beaucoup de particuliers.

 

Combien de semences proposez-vous ?

Terre de Semences avait 300 à 400 variétés, il s’agissait de la mise en commun de fonds d’amateurs. Depuis le mouvement a fait boule de neige, il y a eu des échanges avec des structures internationales. Aujourd’hui, il y a plus de 2000 variétés, réparties en deux gammes. Une gamme boutique accessible à tous, que l’on peut se procurer par exemple sur les marchés ou dans les Biocoop. Les adhérents de Kokopelli ont accès à une gamme dite « collection ». Cela représente 800 à 100 variétés en petite production. On demande aux adhérents de nous aider à entretenir ces semences. Il faut ajouter qu’on n’est pas totalement sûrs de la capacité de reproduction de ces semences, qui nous ont été confiées par des amateurs.

 

Quelle est la particularité de ces semences ?

Ce sont des semences de population, anciennes, qui remontent au début de l’agriculture il y a 10000 ans. Elles sont reproductibles, contrairement aux semences du commerce.

 

Vous voulez dire que les semences du commerce ne permettent qu’une récolte ?

Les semences du commerce sont en grande partie des hybrides, elles sont apparues il y a un siècle, cela fait quatre générations que l’on vit avec elles. A cause d’elles, on s’est habitué à acheter chaque année des semences stériles ! Vendre des semences qui sont stériles, quand on pense au sens du mot « semence », c’est quand même aberrant.

 

Ces semences stériles, c’est donc de l’histoire ancienne !

Oui, leur histoire commence à la fin du XIXème siècle lorsque des Américains ont mis au point les premiers hybrides du maïs. (1) En France, à partir de 1932, des semenciers parmi lesquels la famille de Vilmorin, qui, au milieu du XIXème siècle avait recensé les semences potagères existantes, ont fait publier par l’Etat un catalogue des espèces et variétés, qui est un document officiel. Il comporte deux tomes : dans le premier on trouve les espèces de grandes cultures (blé, soja, pommes de terre) et dans le second les espèces potagères, sauf quelques unes comme le panais. Toute nouvelle variété doit être inscrite au catalogue officiel pour être commercialisée. Si une semence ne figure pas dans ce catalogue, elle est hors-la-loi.

 

Quelle est la conséquence d’un tel catalogue ?

Aujourd’hui, un professionnel ne peut cultiver une espèce ou une variété que si elle est inscrite dans le catalogue. Donc si vous vendez sur un marché une variété de carottes qui vous a été transmise par votre arrière grand-mère, vous pouvez recevoir la visite des inspecteurs de la DGCCRF (2) avec à la clé des amendes et même la menace de la prison !

 

Les espèces du catalogue sont-elles toutes stériles ?

Elle le sont dans une proportion qui va de 60 à 70%. Sinon, ce sont des clones. Pour la carotte, il y a plus de 70% d’hybrides. Pour la tomate, il y a 400 variétés, 90% sont des hybrides.

 

Donc vous distribuez des semences qui ne sont pas au catalogue, et cela a fait grincer des dents…

Oui. En 1997, le ministère de l’agriculture et la DGCCRF nous ont dit : on ouvre une liste de semences d’amateurs dans le tome 2. Cela ressemblait à une volonté d’apaisement, mais c’était un piège. D’abord, nous avons calculé que pour satisfaire aux conditions d’inscription d’une semence de ce type, il faudrait débourser 1500 euros. Multipliez par 2000 variétés et vous voyez ce que cela représente. Ensuite, ce qui nous a fait nous insurger, c’est le terme « amateurs ». Cela voulait dire qu’en confiant aux seuls amateurs la responsabilité de maintenir ces semences, les pouvoirs publics misaient sur le fait qu’elles auraient disparu en 2 ou 3 générations. En plus, en tant que professionnel, paysan ou maraîcher, on ne pouvait toujours pas les amener sur les marchés. Donc nous sommes passés outre.

 

Que s’est-il passé ?

En mars 2004, les inspecteurs de la DGCCRF sont venus chez nous, ils ont pris quelques sachets de graines, nous ont fait des remarques sur l’étiquetage et sur nos statuts. Nous nous sommes mis en conformité. Mais en décembre 2005, nous avons été assignés au Tribunal d’Alès par la DGCCRF pour cette histoire de catalogue. Le 14 mars 2006, le Tribunal nous a relaxés. La DGCCRF a fait appel du jugement, et nous revoilà jugés devant la Cour d’Appel de Nîmes le 31 octobre. Il faut noter que la DGCCRF n’est pas seule puisque s’y sont associés le Groupement National Interprofessionnel des Semences (GNIS) et le Comité technique permanent de la sélection (CTPS). Ces deux structures sont gérés pour moitié par l’Etat, pour moitié par l’industrie.

 

Sur quoi le Tribunal d’Alès s’est-il basé pour vous relaxer ?

Madame la juge s’est basée sur les lois européennes que le gouvernement français ne respecte pas, dans ce domaine comme dans d’autres. L’Europe prévoit clairement le maintien des variétés de plantes à risque d’érosion génétique. Plusieurs gouvernements européens aident, soutiennent, subventionnent les associations comme la nôtre, mais en France, le gouvernement nous traîne en justice !

 

Quelle est la réaction du public ?

Nous avons reçu des milliers de courriels, de lettres. Nous avons lancé un appel à souscription car ces procès nous coûtent cher.

 

Continuons avec les ennuis, cette fois à propos du purin d’ortie.

Il faut comprendre que dans ce dossier c’est la même démarche qui est poursuivie par l’Etat et l’industrie. On s’attaque non seulement aux semences mais à ce qui peut contribuer à les faire vivre comme le purin d’ortie. Pour ces gens-là, il est intolérable d’utiliser de l’ortie comme fongicide, ils préfèrent qu’on emploie des pesticides chimiques.

 

Cela part d’un texte de loi…

Oui d’une loi d’orientation de janvier 2006, qui stipule notamment qu’en 2015 on n’aura plus le droit de faire saillir des vaches par un taureau, il faudra passer par un centre d’insémination artificielle !

 

Est-ce l’Europe qui oblige à procéder ainsi ?

Non, c’est purement français.

 

Le rapport avec le purin d’ortie ?

Eh bien une association des amis de l’ortie a sorti un livre il y a déjà plusieurs années. Entre-temps, le gouvernement, qui se faisait taper sur les doigts par l’union européenne pour sa gestion laxiste des pesticides, a sorti le 1er juillet 2006 un décret stipulant que tous les produits sanitaires qui n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché sont interdits. Le 31 août 2006, les inspecteurs de la DGCCRF et ceux de la Protection des Végétaux ont débarqué avec des gendarmes chez Eric Petiot, paysagiste, formateur et coauteur de l'ouvrage Purin d'Orties et Compagnie. Ils ont saisi des documents, détruits des bidons. Ils lui ont interdit d'enseigner les recettes de produits naturels non homologués et l’ont menacé de 75000 € d’amende et deux ans de prison. La même chose est arrivé à Bernard Bertrand, l’éditeur du livre. Mais ce jour-là, Daniel Mermet, le journaliste de France Inter était sur place pour accueillir les inspecteurs.

 

Et maintenant ?

Devant la levée de boucliers, le ministère nous a expliqué que non, ils n’avaient pas vraiment l’intention d’interdire la communication autour du purin d’orties et des autres traitements naturels et ils nous ont invité autour de la table cette semaine. A suivre !

 

Le site internet de Kokopelli : http://www.kokopelli.asso.fr/

 

(1) Dans les années 1920, George Schull de l’Institut Carnegie et Donald Jones de la station d’agriculture expérimentale du Connecticut ont joint leurs efforts, qui ont conduit au développement de techniques d’hybridation des semences.

(2) la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes se présente comme une structure dont « l'objectif est d'informer de façon loyale les consommateurs et de contribuer ainsi à donner confiance dans l'acte d'achat. Elle affirme favoriser « le développement de dispositifs de valorisation de la qualité » et se pose comme « le garant de cette qualité supérieure annoncée. »

Elle se fixe aussi comme objectif de « détecter et sanctionner les pratiques préjudiciables aux consommateurs » et « préserver la sécurité physique et la santé des consommateurs. » Enfin, elle précise que « ses actions sont renforcées dans les domaines à risque comme les résidus de pesticides dans les aliments d'origine végétale. »

La DGCCRF est une organisation unique dans la structure des Etats démocratiques en ce sens que son fonctionnement n’est soumis à aucun rétro-contrôle.

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