Dans le Guide du chasseur-cueilleur égaré au 21ème siècle, Heather Heying et Bret Weinstein examinent notre vie moderne avec leur regard de biologistes de l’évolution. Une lecture stimulante et provocante. Entretien avec les auteurs.

Dr C. Robert Cloninger : Quand j’ai commencé mes recherches, il n’existait pas de modèle global permettant de décrire la personnalité d’un individu sur les plans clinique, aussi bien que biologique, génétique ou neurologique. Il existait et existe encore des modèles d’étude de la personnalité, mais ils ne s’intéressent qu’à ses aspects psychologiques, sans relation aucune avec la biologie. Mon modèle tente de lier ces disciplines. Il se base surtout sur un questionnaire individuel permettant de tirer des conclusions sur la personnalité de celui qui répond. Et se double de l’analyse de marqueurs biologiques, sur lesquels nous travaillons activement.
Ces deux dimensions contribuent à la personnalité, mais il est nécessaire de bien les définir. Le tempérament fait appel à des émotions basiques comme la peur ou la colère, issues de notre système limbique, qui nous sont en grande partie transmises par nos parents. J’ai proposé trois dimensions du tempérament : la recherche de la nouveauté, l’évitement de la peine, le besoin de récompense.
Je vais vous donner quelques exemples forcément caricaturaux. Les individus qui ont des scores élevés en recherche de la nouveauté ont un besoin permanent de sensations et d’expériences nouvelles. Ce sont des impulsifs, des réactifs qui aiment transgresser les règles. Les personnes qui ont des scores bas en évitement de la peine sont des optimistes, des preneurs de risque. Pour le besoin de récompense, les scores les plus bas s’observent chez des personnes insensibles aux signaux sociaux. Les scores élevés chez celles qui répondent promptement aux appels sentimentaux. Tous ces traits sont indépendants les uns des autres…
Oui. Je vais prendre un exemple. Une personne dont le score est élevé en recherche de la nouveauté sera plutôt extravertie, créative et mûre si elle a en même temps un score bas en évitement de la peine (optimisme) et un score élevé en besoin de récompense (sociabilité). En revanche, cette personne peut développer une personnalité antisociale et alcoolique, si elle a des scores bas en évitement de la peine (désinhibition) et besoin de récompense (insensibilité).
Le caractère, dont le siège serait le néo-cortex est en partie «déterminé» par le tempérament. Mais il est surtout fondé sur les valeurs et les buts auxquels nous adhérons, qui sont le fruit de nos expériences. Il s’articule autour de quatre dimensions : autonomie, coopération, stabilité affective, transcendance. Pour illustrer mes propos, un individu qui aurait des scores élevés dans chacun de ces quatre traits serait à la fois responsable, chaleureux, serein et imaginatif.
Les travaux conduits jusqu’ici montrent que ces troubles apparaissent quand les scores dans certains traits de caractère sont bas. Par exemple, tous les troubles de la personnalité se distinguent par un score d’autonomie faible, c’est-à-dire un manque de contrôle de soi ou d’ego. Aux yeux de ces individus, les problèmes qu’ils rencontrent sont la faute des autres. Lorsqu’ils échouent, ils se sentent honteux et coupables, mais font preuve de vanité lorsqu’ils réussissent… De même la plupart des personnes souffrant de trouble de la personnalité ont un score bas en coopération, c’est-à-dire qu’ils ont tendance à être intolérants, narcissiques, hostiles, rancuniers, opportunistes…
Nous commençons à y voir plus clair. Tout d’abord, le modèle fonctionne sur le plan clinique, c’est-à-dire qu’il identifie avec une grande fiabilité les troubles de la personnalité, et les personnes susceptibles d’en être victimes. Ensuite, nous avons des études qui montrent que, selon les traits dominants du caractère, certaines parties du cerveau sont actives. Enfin, nous avons pu lier certains aspects du tempérament à des marqueurs biologiques et génétiques.
Vous avez raison. Ma première approche a consisté, à partir d’études chez l’animal, à faire correspondre chaque trait de tempérament à un neurotransmetteur, c’est-à-dire un messager chimique du cerveau. Pour la recherche de la nouveauté, c’était surtout la dopamine ; pour l’évitement de la peine, la sérotonine, pour le besoin de récompense, la noradrénaline. Pour une bonne partie, cette hypothèse a été validée par des travaux cliniques. Ainsi, des travaux d’imagerie cérébrale montrent que, selon le tempérament dominant, les régions à dopamine, sérotonine ou noradrénaline reçoivent un flux sanguin plus élevé. Mais le niveau d’un neurotransmetteur n’est pas, comme je le croyais, directement associé au niveau d’un trait de tempérament.
Non seulement d’autres neurotransmetteurs et d’autres substances servent de support aux traits de tempérament, mais surtout le type de récepteurs joue un rôle important. De la même manière, nous ne croyons plus qu’un seul gène, par exemple celui du transporteur de la sérotonine, ou qu’un petit groupe de gènes puissent expliquer les différences de tempérament entre les individus. Nous avons montré qu’un gène, par exemple celui qui code pour un récepteur particulier de la dopamine, explique au mieux 3 à 4% des variations dans la recherche de la nouveauté. Les interactions sont très nombreuses entre les gènes impliqués.
En l’état actuel des choses, non, même si l’équipe de Gilberto Gerra, à Parme a obtenu des corrélations intéressantes entre certains marqueurs hormonaux et les scores réalisés avec notre questionnaire. De notre côté, nous avons analysé 60 marqueurs différents et avons trouvé qu’ils peuvent rendre partiellement compte de la personnalité, mais partiellement seulement.
Nous travaillons avec des laboratoires pharmaceutiques à l’élaboration de molécules plus ciblées. Aujourd’hui, les médicaments qui visent à traiter les troubles neuropsychologiques sont assez grossiers. On donne à tous les dépressifs les mêmes molécules, quelle que soit la réalité biologique de chaque individu. Nous aimerions avoir des molécules mieux adaptées. Pour cela, il faut à la fois disposer d’un bon questionnaire clinique et savoir quel dysfonctionnement corriger.
Les cliniciens sont de plus en plus nombreux à utiliser le questionnaire que nous avons mis au point, parce qu’ils le trouvent utile. Quant à la communauté scientifique, elle suit nos travaux avec intérêt, parce que c’est aujourd’hui la voie la plus avancée dans l’analyse globale de la personnalité.
Pour en savoir plus consultez notre dossier sur la psychobiologie.
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