Les incinérateurs donnent-ils le cancer ?

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 05/12/2006 Mis à jour le 15/02/2017
Le fait de vivre à proximité d’un incinérateur peut-il poser des problèmes de santé ? Avec les incinérateurs actuels, peu de risques. Cependant les personnes qui vivaient près d’un incinérateur dans les années 70-80 auraient en effet davantage de cancers. Mais pas plus de dioxines dans le sang.

En 2003, l’Institut de veille sanitaire (InVS) a entrepris une étude pour évaluer le risque de cancer lié à l’exposition aux fumées des incinérateurs d’ordures ménagères. Les premiers résultats de ce travail viennent d’être publiés : les personnes qui vivaient à proximité d’un incinérateur dans les années 70-80 seraient plus fréquemment atteintes de cancer.

Les chercheurs se sont intéressés aux habitants de 4 départements : l’Isère, le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et le Tarn et ont comparé le nombre de cancers chez les riverains d’un incinérateur avec le nombre de cancers dans la population générale. Verdict : le risque est légèrement supérieur pour les riverains, mais pas pour tous les cancers. 7 à 10 % de risque supplémentaire pour le cancer du foie en fonction de la proximité de l’incinérateur. 2 à 8 % pour les lymphomes malins non hodgkiniens. 9 à 13 % pour les sarcomes des tissus mous.

Faut-il s’alarmer ? Certes, ces chiffres peuvent paraître inquiétants. Mais ne vous précipitez pas pour déménager si votre maison est située à proximité d’un incinérateur. Premièrement, ces cancers sont des maladies peu fréquentes et représentent donc peu de cas. Deuxièmement : la situation d’aujourd’hui ne peut pas être comparée avec celle des années 70.

Les résultats ne peuvent pas être extrapolés aux incinérateurs actuels qui sont moins polluants et mieux contrôlés qu’auparavant (lire interview). Par ailleurs, le nombre d’incinérateurs a été divisé environ par trois depuis 1998. Les installations existantes ont été mises aux normes et de nombreux incinérateurs ont été détruits au profit de nouvelles installations.

Deuxième question soulevée par l’institut de veille sanitaire : les riverains sont-ils plus exposés aux dioxines ? Les chercheurs ont recruté 1085 personnes de 30 à 65 ans vivant près d’une unité d’incinération des ordures ménagères et leur ont fait des prises de sang pour mesurer leurs taux de dioxines.

Résultat : le fait de vivre à proximité d’un incinérateur ne provoque pas d’augmentation significative du taux de dioxine dans le sang. En revanche ceux qui consomment des produits locaux comme le lait, les œufs ou les graisses animales voient leur taux de dioxine grimper : de 5% de plus pour une consommation de 3 oeufs par semaine à un peu moins de 20 % pour une consommation quotidienne de 380 ml de lait entier ou de 38 grammes de fromage.

Ces résultats vont dans le sens des propos du toxicologue Jean-François Narbonne : il n’y a pas globalement de différence significative d’imprégnation par les dioxines entre les riverains d’incinérateurs et les résidents non soumis à une source connue de dioxines.

Que sont les dioxines ? 

Les dioxines sont des molécules cycliques composées d’atomes de carbone, hydrogène, oxygène et de chlore ou de brome. Elles sont surtout produites par l’industrie métallurgique, les papeteries et lors de l’incinération industrielle et domestique des déchets ménagers. La combustion du bois (en particulier lors d’incendies de forêts) est aussi une source de dioxines.

Chez l’animal, les dioxines diminuent l’immunité, réduisent la fertilité et provoquent des cancers après exposition à des doses relativement faibles. Chez l’homme, la TCDD (principale dioxine) est classée comme cancérogène par l’Agence internationale de recherche sur le cancer. La dose journalière admissible dans l’alimentation humaine (DJA) est de 2 picogrammes par kg de poids corporel et par jour en Europe (2001) et de 1 à 4 pg/kg/j selon l’OMS.  

 

Sources : InVS « Étude d’imprégnation par les dioxines des populations vivant à proximité d’usines d’incinération d’ordures ménagères », novembre 2006 ; « Incidence des cancers à proximité des usines d’incinération d’ordures ménagères », novembre 2006 

4 questions au toxicologue Jean-François Narbonne

 

Que vous inspire cette étude ?

C’est une très bonne étude, la plus grande jamais réalisée, nous la demandions depuis des années, mais on nous disait qu’il n’y avait pas d’argent. Il aura fallu le plan cancer pour pouvoir déclencher cette étude. Il y a vingt ans, quand on demandait des filtres sur les incinérateurs, le corps médical disait « Circulez, y’a rien à voir ! »

Dans cette étude, le risque de cancer est réel, mais pas très élevé

Globalement, le risque de cancer reste limité, de l’ordre de 10% de plus, mais il concerne surtout les gens surexposés. Or tous les gens qui habitent sous le panache de fumée d’un incinérateur ne sont pas surexposés. Il faudrait regarder de près cette population de personnes surexposées : chez elles, le risque de cancer est vraisemblablement multiplié par 2 ou 3.

La contamination de cette population surexposée se fait surtout par l’alimentation ?

Oui, il s’agit d’aliments produits localement ; on voit que les fruits et légumes n’entraînent guère de risque, la charcuterie non plus, parce que les porcs sont abattus assez jeunes et qu’en plus ils ne vont pas paître dans les champs, on leur donne des aliments industriels qui ne sont pas contaminés. En revanche, ce qui est souvent en cause, c’est ce qui vient des bovins, notamment les laitages et les produits de la pêche en zone côtière.

Quels risques posent les incinérateurs actuels ?

Les incinérateurs qui ont commencé à ne plus polluer sont ceux qui obéissaient à la norme 91, c’est-à-dire la norme européenne de 1989 traduite en 1991 dans le droit français. Mais on a laissé jusqu’en 1994 aux vieux incinérateurs pour se mettre en conformité. Et on a attendu 2003 pour fermer le dernier incinérateur polluant. Aujourd’hui, le pire est passé. Les usines sont équipées de filtres qui les rendent infiniment moins polluantes que les incinérateurs en fonctionnement dans les années 1980. Le risque est donc faible et il n’y a aucune raison sanitaire de refuser les incinérateurs. Ce qui ne signifie pas qu’il faut s’attendre à ne plus voir de cancers. Mais ils seraient dus à une exposition remontant aux décennies précédentes.

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