L’industrie laitière, comme celle du sucre, dit aux élèves ce qu’il faut manger (et boire)

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 10/02/2014 Mis à jour le 06/02/2017
Comme le CEDUS, l'industrie laitière dispense, avec la bénédiction de l'Education nationale, son "information nutritionnelle" dans les écoles et collèges, histoire "d'éduquer" les "futurs consommateurs". Un sacré fromage !

LaNutrition.fr a révélé le 29 janvier 2013 l'étonnant partenariat entre l'industrie du sucre (CEDUS) et l'Education nationale pour prodiguer des "conseils de nutrition" aux élèves, aux enseignants et même aux familles. L'affaire tourne aujourd'hui au scandale.

Nous écrivions à ce propos que l'Education nationale avait confié au renard les clés du poulailler.

Aujourd'hui nous pouvons assurer les parents que le poulailler est vraiment bien gardé.

Car outre le renard de l'industrie du sucre, celui de l'industrie laitière veille à ce que les élèves reçoivent le "bon" message : des produits laitiers pour tous, chaque jour, et pas qu'un peu !

Sucre, lait... Qu'attendent le renard des jus de fruits, du Nutella ou des corn flakes ?

"12 millions de futurs consommateurs", a calculé l'industrie laitière

Il faut dire que le poulailler scolaire a de quoi attirer la convoitise. Car, comme le rappelle ingénument un document de l'industrie laitière, "La France compte 12 millions d'élèves, futurs adultes consommateurs..."

Alors pourquoi se gêner ?

La campagne de promotion en cours, qui en est à sa quatrième édition, s'appelle : "A table pour grandir". Elle est organisée par le Cniel, le Centre National Interprofessionnel de l'Economie Laitière. Et dotée de moyens conséquents.

Voici par exemple comment un certain Philippe Rochard, responsable des "actions scolaires" au Cniel présentait la « campagne » 2012-2013 : « Grâce à ce partenariat avec l'éducation nationale, nous projetons de toucher 1000 collèges soit environ 400 000 adolescents. De plus, cette opération est relayée par les cuisiniers des restaurants scolaires, par le réseau des infirmières scolaires et l'ASCOMED (l'association des médecins scolaires), conseillers des Recteurs et des Directeurs d'académie ».

En fait, le "partenariat" entre l'industrie laitière et l'Education Nationale dure depuis plus de 28 ans. Une relation longue, fraternelle et sûrement fructueuse puisqu'elle a donné lieu à la signature de 25 conventions avec les rectorats d'académie.

Le Cniel a en effet mobilisé via une agence de communication plus de 200 diététiciens du réseau Diet France. Objectif de leurs interventions dans les écoles : "positionner les produits laitiers dans l'équilibre alimentaire".

Des interventions qui se déroulent selon un rituel bien rodé pour une conclusion sans surprise. Compte-rendu d'une école de l'Académie d'Aix-Marseille : "Les CM1et CM2 ont eu une intervention de la part d'une diététicienne (Mme Malige du Cniel) sur "A table pour grandir" et particulièrement sur les produits laitiers. Des livrets (un cahier d'exercices et un petit livre de recettes à base de produits laitiers) ont été remis à chaque élève."

Ces "conventions de partenariat" ont au moins cette vertu pédagogique de confirmer ce qu'on enseigne dans les Fables de La Fontaine : le renard est rusé !

Dans le terrier du renard

Par exemple, les élèves sont encouragés à se rendre dans le terrier - pardon, sur le site du Cniel. Où les attend une habile propagande.

Le site propose ainsi un "calculateur de calcium" d'où il ressort que si votre enfant ne mange aucun laitage parce qu'il n'aime pas ça ou qu'il ne les tolère pas ou que ce n'est pas la règle dans la famille, ses "apports en calcium ne sont pas suffisants pour couvrir [ses] besoins quotidiens". Il est invité(e) en conséquence "à augmenter [sa] consommation de produits laitiers."

Pas un mot sur le fait que 70% de la population terrestre ne consomme pas ou très peu de laitages et ne souffre pas de carence en calcium, un minéral ubiquitaire que l'on trouve dans l'eau, les fruits, légumes, oléagineux, etc. Pas un mot sur cette évidence : pendant 7 millions d'années nos ancêtres n'ont jamais consommé la moindre goutte de lait (hormis celui de leur maman) - sans jamais manquer de calcium.

Les documents du Cniel affirment aussi que les laitages contiennent "le calcium le plus assimilable par l'organisme". Un autre mensonge, puisque ce sont les légumes, en particulier les crucifères, qui détiennent le record de biodisponibilité du calcium.

Lire : Où trouver du calcium en dehors des laitages.

Le jeu "culture lait" propose aux enfants de tester leurs connaissances sur les laitages. Question : "Tu n'es plus un bébé et pourtant tu dois (sic) continuer à boire du lait et manger des produits laitiers. A ton avis, pourquoi ?"
Réponse : "Parce que mes os et mes dents seront solides. (...) Le calcium laitier est le meilleur pour les os et les dents."
Et un autre gros mensonge ! Toutes les études scientifiques montrent en effet que la consommation de laitages ne prévient pas les fractures et qu'il ne sert donc à rien d'en consommer 4 par jour comme le prétend fallacieusement le Cniel.

Lire : Boire du lait ne protège pas des fractures, nouvelles preuves.

 

Ce n'est pas bien de mentir aux enfants. Et aux adultes ?

C'est à grand renfort de « kits et mallettes pédagogiques » du même tonneau que le Cniel forme aussi les professeurs d'école, de collège, les médecins de l'Education nationale et les infirmières. Pas étonnant que le système s'auto-entretienne depuis 28 ans.

Ainsi, le Cniel, assure être "alerté par les médecins de l'Education nationale sur la déficience en matière de calcium qui touche les jeunes de la tranche d'âge du collège." Ce qui justifie en retour de nouvelles interventions des diététiciennes du Cniel sur le caractère indispensable des laitages !
Au fait, cette déficience en calcium, elle est établie comment ? Avec le très scientifique "calculateur de calcium" du Cniel !

Le plus troublant est que cette propagande élude ou nie les problèmes de santé qu'une consommation chronique de laitages peut poser aux 40% d'enfants et adolescents qui ne tolèrent pas le lactose, et à ceux qui ont un risque de maladie auto-immune comme le diabète de type-1.

Reste à savoir comment et pourquoi les renards des industries agro-alimentaires s'introduisent avec une telle facilité dans l'univers scolaire. Nous vous le dirons dans un prochain document !

Notre avis : L'industrie agro-alimentaire, déjà omniprésente sur les écrans publicitaires, n'a rien à faire dans l'éducation nutritionnelle des élèves, des professeurs ou des médecins scolaires. Ni le sucre ni le lait ne sont des aliments indispensables à la santé et à la croissance, même si un enfant peut consommer un peu de sucre, et des produits laitiers avec modération - s'il les aime et surtout s'il les tolère. Mais il s'agit là de décision familiale. LaNutrition.fr va prochainement prendre des initiatives pour demander à la représentation nationale et aux ministères de mettre un terme aux pratiques de propagande nutritionnelle dans les établissements scolaires.

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