Livre blanc de la fondation Nestlé France « manger bien pour vivre mieux »

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 02/10/2008 Mis à jour le 21/11/2017
Nestlé vient de créer sa fondation « manger bien pour vivre mieux ». Celle-ci aura pour vocation d’étudier les comportements alimentaires des français en mettant à contribution les sciences humaines, et de proposer des actions d’éducation nutritionnelle. Un livre blanc accompagne sa naissance pour préciser ses analyses et propositions. Nous avons voulu nous pencher un peu plus sur ce projet fort louable a priori, à l’heure où l’industrie agroalimentaire dans son ensemble est de plus en plus associée à l’augmentation des maladies de civilisation et en particulier à la crise d’obésité qui frappent les pays développés.

 

Des intentions un peu trop louables pour être exemptes de soupçons ?

« Cette fondation est l’enfant d’une tradition et d’une singularité. La tradition, c’est celle de Nestlé qui a toujours été à la pointe de la recherche en nutrition et, depuis ses origines, mené des actions de mécénat social ». Nestlé exemple de vertu en matière d’alimentation saine ? Nous y reviendrons, mais tout d’abord examinons la petite dernière du groupe.

Cette fondation se donne pour but de mieux comprendre les comportements alimentaires des français à travers la contribution des sciences humaines. Ceci afin de mieux pouvoir ensuite « agir » et participer à l’éducation nutritionnelle au niveau des familles françaises en particulier. Comment ne pas saluer ces bonnes intentions ? Le livre blanc qui accompagne la naissance de la fondation est annoncé d’ailleurs comme « un véritable panorama des habitudes alimentaires en France » faisant « le point sur l’alimentation en France, sa singularité, son évolution » (communiqué de presse du 8 septembre).

Ce livre blanc met l’accent sur l’importance des différentes valeurs dont est porteur l’acte de manger, en terme de partage, d’identité et de plaisir notamment, face au bouleversement moderne de nos habitudes alimentaires. Ces traits de la culture française pourraient tout autant revendiquer selon lui la paternité de notre « French Paradox », si précieux pour nos artères, que les facteurs nutritionnels dont il faudrait au contraire apprendre à se méfier : « une médicalisation de l’alimentation quotidienne exacerbant la dimension santé au détriment des deux autres (dimension plaisir et dimension culture/identité) pourrait mettre à mal le modèle traditionnel français peut-être plus sûrement que la transformation des pratiques alimentaires elles-mêmes », « je soutiens que c’est manger seul et diététiser qui conduit à l’obésité et à la maladie » écrivent respectivement le sociologue Jean-Pierre Poulain et le médecin Gérard Apfeldorfer cités par le livre blanc. Ce qui tombe plutôt bien pour un industriel critiqué sur le plan nutritionnel et qui ne cesse de faire la promotion de la dimension plaisir de ses produits diront les mauvaises langues !

Ainsi pour le livre blanc, « Tous nous incitent à écouter notre corps plutôt que les donneurs de conseils, à manger avec plaisir et amour plutôt qu’avec crainte et préoccupation. L’ennui c’est que nous ne les entendons pas. » Ce serait donc de notre faute à nous finalement si l’obésité progresse, et surtout pas celle des industriels qui garnissent les rayons en nous bombardant de publicité... comme Nestlé par exemple. Heureusement que nos comportements vont être étudiés et corrigés grâce à l’action de la fondation, vu que « tout le monde » semble d’accord là-dessus !

N’y a-t-il donc aucune voix en désaccord avec ce beau tableau dans le paysage français ? Voyons voir du côté de Christian Rémésy, directeur de recherche à l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA) dont les avis ont certainement été malencontreusement oubliés dans le livre blanc de la fondation : « Il n’y a pas de mauvais aliments, seulement une mauvaise alimentation, ou encore, c’est la dose qui fait le poison ! Voilà des affirmations bien souvent répétées pour minimiser la responsabilité du secteur agroalimentaire dans la montée de l’obésité. (...) Puisque le consommateur a un large choix alimentaire, il lui suffit d’apprendre à bien se nourrir ». Pour lui au contraire, l’accent ne devrait pas être mis sur la responsabilité individuelle des consommateurs mais sur l’offre mise à leur disposition, offre qui devrait au moins « correspondre aux recommandations les plus consensuelles », ce qui ne semble possible pour lui qu’avec « un encadrement rigoureux du secteur agroalimentaire » (1). Un travail récent de l’association Consommation Logement et Cadre de Vie (CLCV) a d’ailleurs montré qu’un bon nombre de céréales petit-déjeuner n’étaient pas conformes aux recommandations du Programme National Nutrition et Santé (PNNS), dont plusieurs produits Nestlé parmi les plus incriminés... (2). Le livre blanc s’en prend également au bio au passage, alors que cette dernière est aujourd’hui soutenue même par l’INRA (3). Il est vrai cependant que Nestlé n’aurait sans doute aucun intérêt à rappeler les avantages du bio alors qu’elle ne propose aucun produit issu de cette filière qui pourrait lui faire de l’ombre sur le marché de l’image santé...

Commencerait-on à nous éloigner de « l’exigence nutritionnelle » proclamée par la firme comme « une ambition fondatrice au coeur du développement de l’entreprise ? »

 

Nestlé : un peu d’histoire...

Il semblerait d’ailleurs qu’un petit peu d’histoire soit bienvenue pour examiner le « sérieux et l’éthique au travail, (...) la fiabilité, une certaine idée du civisme et de la responsabilité sociale, le souci des hommes et de l’environnement » dont la firme se targue d’être l’héritière grâce aux qualités exceptionnelles qu’elle attribue à son fondateur. L’autocritique ne semble pas être la spécialité de la maison, aucune ne transparaît d’ailleurs dans le livre blanc, comme si Nestlé était justement blanc comme neige depuis 1867.

C’est vrai finalement, qui se rappelle aujourd’hui ne serait-ce que du boycott international lancé contre l’entreprise en 1977 qui dura jusqu’en 1984 ? Il s’agissait de protester contre le lait maternisé distribué par Nestlé en Afrique alors que l’eau y est la plupart du temps impropre à la consommation et pouvait conduire jusqu’à la mort des nouveaux nés. La firme avait malgré tout fait le forcing pour convaincre les professionnels de santé et les mères enceintes d’adopter ses produits (à grand renfort de publicité notamment avec le slogan « Lactogen est vraiment le meilleur lait pour votre bébé »). Le Fonds des Nations-Unies pour l’Enfance (UNICEF) et l’Organisation Mondiale pour la Santé (OMS) avaient pourtant déjà confirmé la supériorité de l’allaitement maternel à cette époque. (4)

Un Code international fut par la suite établi par ces mêmes instances en 1981 pour réguler les activités de la firme en Afrique. Nestlé finit par reconnaître ce Code après l’avoir tout d’abord combattu. Certains observateurs n’y voient cependant qu’une manière d’éteindre les critiques tandis que les pratiques mises en cause se perpétuent encore jusqu’à aujourd’hui. Jean Ziegler, rapporteur spécial pour le droit à l'alimentation du Conseil des Droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies de 2000 à mars 2008, fait partie de ceux-là. Ce dernier nous rappelle qu'en2002, l'Assemblée mondiale pour la Santé a publié un nouveau code intitulé "Stratégie mondiale pour l'alimentation du nourrisson et du jeune enfant" qui s'applique à tous les pays. Son article 44 définit les responsabilités et les obligations des fabricants de lait en poudre. Entre autre, ceux-ci ne peuvent plus dorénavant s'abriter derrière l'inaction de gouvernements locaux que les firmes ont d'ailleurs tendance à entretenir par la corruption, comme le précise le rapporteur des Nations Unies. l'UNICEF déplore toujours la mort de 4000 enfants chaque jour suite à l'ingestion de lait en poudre mélangé à de l'eau insalubre, alors qu'ils pourraient survivre s'ils étaient nourris au sein. Jean Ziegler préfère appeler Nestlé "la pieuvre de Vevey", on comprend mieux pourquoi... (5) « Cette affaire est l’une des plus documentées en son genre » nous dit Marion Nestle, professeur de nutrition, de sciences de l’alimentation et de santé publique à l’université de New-York. Cette chercheuse s’est fait une spécialité de mesurer l’influence des firmes agroalimentaires dans le domaine de la nutrition, et présente cette histoire comme cas d’école pour montrer jusqu’où les stratégies de communication employées par les multinationales de l’agroalimentaire peuvent aller pour défendre leurs intérêts. Ce qui écorche un peu plus l’image d’Epinal de l’entreprise présentée dans le petit livre blanc...

Du coup on serait tenté de voir surtout dans cette nouvelle fondation un ingénieux outil de communication de plus, destiné à redorer le blason de la marque mise à mal par les nutritionnistes à l’heure de l’obésité galopante. Cela rappelle d’ailleurs le Centre de Coordination pour la Nutrition que Nestlé créa « pour restaurer sa crédibilité, améliorer son image après du public et mettre fin au boycott », au moment où la firme était au coeur de la tourmente décrite ci-dessus, un outil de gestion de crise mis au point par une agence de communication qui y bâtit sa réputation de faiseurs de miracle.

 

Retour sur la situation actuelle

Qu’en est-il maintenant de la situation française ? On peut à ce propos utilement rappeler que Nestlé France compte parmi les clients de l’agence de communication Protéines (comme d’autres gros du secteur, McDonald, Danone, Kellog’s, Ferrero, ou l’Union des Industries pour la Protection des Plantes (UIPP) principal défenseur des pesticides devant l’éternel) (6), spécialisée dans la gestions de crise et dans la promotion des entreprises sur le secteur de la santé (7). La plupart des points abordés dans le livre blanc ne font d’ailleurs que reprendre le credo des promoteurs de l’agence développée dans leur livre « Désirs de santé » paru récemment : primauté de la responsabilité des individus sur celle de l’offre proposée par les industriels, rôle crucial dévolu aux familles, vision angélique des entreprises (d’où l’inutilité de la règlementation du secteur privé par l’Etat au profit d’autocontrôles)... Le livre blanc met également en avant l’engagement de Nestlé en matière de nutrition en évoquant sa participation dans des démarches présentées comme de nouvelles initiatives dans la lutte contre l’obésité. Il ne précise pas pour autant que ces travaux (l’étude Fleurbaix-Laventie Ville Santé et le programme Epode qui en découle) sont des projets émanant de l’agence Protéines, et dont les résultats ont été contestés dans le livre de Thierry Souccar « Santé, mensonges et propagande » en 2003 (8). En matière de lutte contre l'obésité, Nestlé pourrait sans doute être mieux inspirée en répondant par exemple aux demandes de l'association de défense des consommateurs UFC-Que Choisir. Cette dernière souhaite notamment l'interdiction de la publicité pour les aliments déséquilibrés adressés aux enfants, qui représentait tout de même 87% des publicités alimentaires en 2007. C'est d'ailleurs déjà le cas en Suède ou en Angleterre qui a même élargi cette règle aux adolescents. Nestlé a été d'ailleurs directement interpelée à ce sujet par L'UFC Que-Choisir qui rappelle que l'entreprise fait partie des quatre plus gros annonceurs dans le domaine en France (9).

Quelle indépendance attribuer dès lors à cette fondation, habillée des meilleurs intentions du monde ? « Tous les scientifiques [de la fondation] sont très attachés à leur indépendance de pensée » nous rassure Jean-Paul Laplace, membre de la fondation lui-même, qui ne nourrit « aucune crainte que cette indépendance soit un jour menacée au sein de la Fondation ». On appréciera cette adoubement de la part du président de l’Institut Français de Nutrition, qui n’est pas connu pour être l’organisme le plus éloigné des intérêts des industriels, surtout que Nestlé siège justement dans son comité scientifique... (10).

Qui plus est, le comité de scientifiques sera piloté par une spécialiste d’études de consommation déléguée par Nestlé France. Celle-ci est sous le contrôle du conseil d’administration de la fondation présidée par le PDG de Nestlé France « qui donnera son accord final pour le financement des recherches et des actions soutenues par la Fondation ». La fondation est pourtant censée malgré tout « garantir l’indépendance de ses activités par rapport à celles de l’entreprise Nestlé »...

« Toute fondation est comme l’enfer, pavée de bonnes intentions » conclut le livre blanc en épilogue, avant de décrire les points sur lesquels la fondation s’engage pour réaliser ses intentions. Parions que ses travaux pourront sans doute apporter quelques lumières sur nos comportements et les desseins qu’elle s’est assignée, mais on nous permettra de rester sceptique sur la finalité philanthropique de l’opération. Jusqu’à nouvel ordre, les industries de l’agroalimentaire ne sont pas des oies blanches, surtout lorsqu’elles ont la prétention de vouloir participer à titre de bienfaiteur à l’éducation nutritionnelle du public alors qu’elles restent juge et partie en la matière.

 

(1) Christian Rémésy « Y’a-t-il de mauvais aliments? Où un système alimentaire trop imparfait ? Peut-on envisager des solutions nouvelles ? » « Nourriture et responsabilité citoyenne » http://www2.clermont.inra.fr/univete/dossiers/2007/resume.pdf

(2)

(3) rapport de l’INRA « Agriculture et biodiversité » été 2008, voir notamment l’article « Miracle à L’INRA » du Canard Enchaîné (13 août 2008)

(4) Marion Nestle, Food Politics, University of California Press, 2007 http://www.foodpolitics.com/

(5) Jean Ziegler, L'empire de la honte, Fayard, 2005
(6)

(7) www.proteines.fr

(8)

(9) http://www.quechoisir.org voir "le collectif : protégeons nos enfants !" dénonce la dérobade de l'indsutrie alimentaire et de la grande distribution, communiqué de presse du 18/03/08, ainsi que "les anglais à la pointe", communiqué du 05/01/08

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