Les conséquences désastreuses du trop-plein d’aliments mal transformés

Par Christian Rémésy - chercheur nutritionniste Publié le 12/03/2024 Mis à jour le 12/03/2024
Point de vue

Quelles sont les conséquences désastreuses que la prolifération d’aliments transformés a provoquées sur la santé et le devenir de l’humanité, la pérennité de l’agriculture, la préservation de la biodiversité et le mode de vie des populations ?

"Le trop est l’ennemi du bien" : cette sentence populaire ne suffit pas à résumer les conséquences négatives de l’offre alimentaire actuelle. Ce trop, ce développement anarchique des aliments transformés, ne date pas de la nuit des temps, il a débuté seulement vers les années 1970 en même temps que la création des super et hypermarchés actuels. Il fit suite à la révolution verte qui orienta l’agriculture vers la production de matières premières pour l’industrie alimentaire.

Grâce à une nouvelle disponibilité de denrées agricoles bon marché, l’industrie se donna le droit de gérer l’offre alimentaire à sa convenance, avec la bénédiction des pouvoirs publics et l’adhésion des consommateurs lassés des corvées culinaires. La messe était dite, le profil des supermarchés changea définitivement, le contenu des caddies et les nouveaux produits savamment marketés modifièrent lentement mais sûrement le profil nutritionnel des populations, au point que maintenant un milliard d’hommes souffrent d’obésité ou d’une malnutrition insidieuse exprimée souvent sous forme de diabète de type 2. Quelle belle performance, difficile de produire autant de dégâts humains en si peu de temps ; en un demi siècle, le phénotype humain aura bien plus changé que dans les millénaires qui suivirent la fin du néolithique et pire encore, grâce à des facteurs épigénétiques, cet accident nutritionnel devrait se propager comme une onde négative aux générations futures.

Pourquoi donc une majorité de la population est-elle tombée dans le piège tendu par l’industrie agroalimentaire, avec la complicité de la grande distribution ? L’explication est très simple. Nous avons tous besoin de vrais aliments que les supermarchés nous proposent d’ailleurs à des prix avantageux aux dépens de l’agriculture. Ces aliments indispensables sont constitués d’un ensemble de produits bruts, ou semi préparés pour leur vente : sous forme de produits animaux (viandes, poissons, produits laitiers), sous forme de fruits et légumes frais ou en conserve, de féculents nature ou transformés utilement en pain, pâtes, semoules, couscous, flocons de céréales, de graines diverses etc. C’est la base universelle de l’alimentation humaine déclinée dans une très grande diversité de cultures culinaires. Cette base doit bien sûr être complétée par un autre ensemble de produits d’épicerie, de matières grasses, d’huiles vierges, de sucre, de miel…

À côté de ces ingrédients intemporels, il s’est développé un grand ensemble de produits plus ou moins bien transformés, souvent ultra-transformés et clairement nuisibles. Il faut reconnaître que nous ne sommes plus aptes à nous en passer complètement ; pour se faciliter la vie, il est parfois intéressant de bénéficier de quelques préparations industrielles sous forme de biscuits, de jus de fruit, de confitures, de plats préparés... Rien de plus banal, sauf que la réalité des achats est devenue tout autre, le superflu ayant pris largement le pas sur l’essentiel. C’est un cercle vicieux gravissime.

Une grande majorité de la population dispose d’un budget alimentaire limité (environ 20 % des dépenses). Pour bien faire, en priorité le budget alimentaire des ménages devrait être consacré aux vrais aliments dont nous avons un besoin essentiel. Mais comment se limiter à ces seuls achats, lorsque le supermarché nous propose des milliers d’autres produits ? Non seulement le commun des mortels n’y parvient pas et bien pire, il prend progressivement des mauvaises habitudes qui le détournent les vrais aliments dont il a besoin, d’autant que certains produits transformés paraissent très avantageux. C’est ainsi que le grand bloc des aliments industriels dont le nombre ne cesse de croître occupe maintenant près de 80 % des linéaires des supermarchés. Libéralisme oblige, aucune limite n’a jamais été affichée par les pouvoirs publics au développement incontrôlé de cette économie pseudo alimentaire. Cependant des nutritionnistes conscients du problème ont alerté le public des risques liés à la consommation d’aliments ultra-transformés d’une composition totalement artificielle, sans oser toutefois affirmer qu’il fallait réduire globalement et très fortement l’offre en produits transformés de toute nature. Il n’est pas difficile d’imaginer l’opposition farouche que feraient les lobbies agroalimentaires face une telle proposition frontale.

Lire : Comment l'industrie agroalimentaire nous pousse à manger plus

Alors l’État, qui doit toujours ménager les lobbies, a conçu pour se donner bonne conscience, un Nutri-score censé améliorer la qualité des aliments industriels. Résultat, cette initiative a permis, de bonifier la composition nutritionnelle de certains produits, mais au bilan, c’est comme si les autorités de santé publique s’étaient tirées elles-mêmes une balle dans le pied, puisque cet apparent contrôle de l’offre industrielle a renforcé le grand ensemble des aliments transformés aux détriments des aliments de base qui ne bénéficient pas d’un Nutri-score. Les concepteurs du Nutri-score ont sans doute mal perçu le biais ce cet étiquetage, en focalisant leur attention sur des produits industriels plus standard. Résultat, le mal est fait, et le trop d’aliments transformés a ouvert la voie à des désordres nutritionnels sans fin. Cette offre est et restera fondamentalement déséquilibrée parce qu’elle ne contient plus les matrices végétales indispensables à l’entretien du microbiote intestinal, parce qu’elle est appauvrie en minéraux et micronutriments essentiels et enrichie en calories vides (sucres, gras, amidon, ingrédients purifiés divers) parce qu’elle est riche en sel, parce qu’elle est formulée avec trop d’additifs, d’arômes, d’émulsifiants, d’agents de texture etc… Elle n’est pas adaptée au statut et aux besoins nutritionnels de l’homme, dont elle va changer durablement le phénotype, tout en augmentant les dépenses de santé.

Une alimentation composée en majorité d’aliments transformés prive l’agriculture d’une rémunération légitime

Que l’homme accepte de se transformer durablement n’est pas une mince affaire. Notons aussi que dans cette évolution, il est en train de perdre ses racines alimentaires, son patrimoine culinaire, ce qui le rend de plus en plus dépendant d’une nourriture industrielle et l’expose à des risques accrus de malnutrition. Mais il y a aussi d’autres conséquences négatives, une alimentation composée en majorité d’aliments transformés prive l’agriculture d’une rémunération légitime, lui laissant une part congrue, puisque l’essentiel de la valeur ajoutée est captée par l’industrie alimentaire et la grande distribution. Je ne suis pas sûr que les agriculteurs en aient pris réellement conscience, eux qui pensent trouver leur salut dans l’agrandissement de leur ferme, et l’assouplissement des normes pour l’utilisation des pesticides. Dans cette chaîne alimentaire dénaturée, il est clair qu’une bonne biodiversité ne pourra plus garder sa place, renforçant le caractère prédateur de l’espèce humaine dont une grande majorité est simplement victime d’un système qu’elle contribue à entretenir, sans jamais l’avoir réellement choisi.

Alors que faire, changer le contenu de leur assiette pour ceux qui en ont pris conscience et qui ont la faculté de le faire, et militer pour sonner la fin de la récréation alimentaire et de la dînette industrielle ? Tout le monde peut s’y mettre, les partis politiques, les associations de consommateurs, les maires, des collectifs de citoyens, les médecins, les nutritionnistes, les médias, l’homme de la rue. J’entends déjà les lamentations sur les emplois perdus et le risque de chômage dans l’industrie agroalimentaire. Sachez que le retour vers une alimentation moins transformée pourrait se faire à budget alimentaire constant et générer autant d’emplois que dans le système industriel actuel ; ils seraient seulement de nature et de localisation différentes. Une reprise en main salutaire de notre alimentation ne pourrait qu’asseoir sa valeur économique et son importante sociale. Une alimentation moins riche en aliments transformés permettrait un soutien réel à l’agriculture et au renouveau des campagnes. Ce serait une priorité donnée à la gestion de la santé par l’alimentation, une révolte contre l’épidémie d’obésité et contre les autres formes de malnutrition, à l’origine de tant de pathologies insidieuses, la volonté ferme de développer une chaîne alimentaire bénéfique pour l’homme et la planète.

Que cette tribune serve de premier manifeste pour amorcer une nouvelle ère alimentaire durable, après un demi-siècle de dérives, que l’on n’a pas su ou pu prévenir suffisamment tôt. Nous avons la possibilité et la responsabilité de préserver l’avenir humain en adaptant nos choix alimentaires et en nous engageant pour cette cause. La route sera longue mais il n’y pas d’autre issue.

Pour aller plus loin, lire : Sauvons notre alimentation

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