Nutrition : les tactiques d’influence des lobbies industriels

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 20/11/2018 Mis à jour le 20/11/2018
Enquête

Dans Santé, mensonges et (toujours) propagande, Jérémy Anso détaille les stratégies des industriels de l’agro-alimentaire pour influencer les recommandations nutritionnelles. Extraits. 

Les groupes industriels débordent d’imagination et d’énergie quand il s’agit de défendre leurs intérêts, leurs marques et leurs produits. Jérémy Anso montre que les stratégies des industriels, quel que soit leur secteur d’activité (agro-alimentaire, tabac ou encore pharmacie), sont très proches. Il s’agit, en bref, de faire en sorte que les mesures réglementaires ne soient pas trop contraignantes, de ralentir les prises de décisions qui pourraient être défavorables, dans le but de continuer à faire autant de profit que possible. Les industriels utilisent diverses tactiques pour influencer le discours scientifique, les politiques de santé publique et l’opinion publique. En voici des exemples.

Les stratagèmes de l’industrie agroalimentaire

Si on devait les résumer, voici les principales activités politiques de l’industrie agroalimentaire pour influencer l’opinion publique et promouvoir ses intérêts :

  • Façonner ou travestir les preuves scientifiques liant ses produits à la santé publique ;
  • Nouer des liens avec les décideurs politiques, les leaders d’opinion et les organisations publiques de santé ;
  • Rechercher le soutien de ses consommateurs fidèles ;
  • S’inviter dans tous les débats, publics ou scientifiques, sur l’alimentation et la santé publique ;
  • Faire du chantage à l’emploi et l’économie.

L’industrie agro-alimentaire est par exemple présente lors d’événements scientifiques tels que les Journées francophones de nutrition (lire plus bas). Plusieurs membres de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) ont également des liens étroits avec cette industrie.

Illustration de ces stratagèmes avec l’industrie laitière

Jérémy Anso : « Depuis 1974, l’industrie laitière, un poids lourd de l’agro-alimentaire français, avec un chiffre d’affaires annuel de plus 30 milliards d’euros, possède un organe de promotion : le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel), financé par tous les acteurs de la filière avec un budget annuel de plus de 39 millions d’euros en 2017. Sur ce budget, 3,5 millions d’euros ont été investis en 2017 dans les affaires publiques, autrement dit, le lobbying politique. Les missions du Cniel consistent à "promouvoir collectivement le lait et les produits laitiers auprès des consommateurs pour contribuer au développement des ventes", mais également "anticiper les attaques contre le secteur et y répondre en s’appuyant sur une expertise scientifique incontestable". Des missions parfaitement compréhensibles pour un tel organisme. Ce qui peut troubler, en revanche, ce sont les méthodes utilisées pour parvenir à ces fins. L’industrie laitière décline ses actions de promotion sur des "cibles" parfaitement identifiées comme les enfants, les enseignants mais aussi les professionnels de santé.

Par exemple, le Cniel est partenaire de l’Éducation nationale depuis longtemps. Dès 1982, l’Éducation nationale a ouvert les portes de ses établissements à l’industrie laitière (mais également à celles du sucre et de la viande) à l’occasion de la fameuse «Semaine du goût». Le Cniel en profite pour mettre à disposition des enseignants des mallettes pédagogiques et vient parler de l’importance des produits laitiers aux enfants sous couvert d’éducation à la santé.
L’industrie laitière est également très active dans la création d’organismes indépendants en apparence, mais qui servent d’une manière ou d’une autre ses intérêts. Elle a ainsi créé le Centre de recherche et d’information nutritionnelles (Cerin) qui a pour rôle d’entretenir des liens avec le milieu scientifique et propose de « délivrer aux professionnels de santé et de santé publique, ainsi qu’aux journalistes une information nutritionnelle complète et validée, sur le lait et les produits laitiers[…]».

Autre cible : l’industrie laitière est un soutien de poids des associations de médecins ou d’autres professionnels de santé. Un exemple avec les Journées francophones de nutrition (JFN), qui regroupent tous les ans plus de 2000 professionnels de santé, dont environ 460 médecins, 560 diététiciens et plus de 340 chercheurs. Pour l’édition 2018, l’Institut Danone était un partenaire «platine», la plus haute distinction (qui se paie en conséquence), aux côtés de Nestlé, partenaire «or», ou encore de Yoplait et du Cerin. «Platinés» ou «dorés», tous ces partenaires disposent de leur stand, et généralement d’une session plénière pour s’exprimer devant un parterre de professionnels. Au cours de ces JFN, Nestlé, Lactalis et Danone avec sa filiale Nutricia offrent des récompenses à plusieurs chercheurs ; une pratique qui permet de s’octroyer la sympathie d’un scientifique, d’un prescripteur et d’un potentiel leader d’opinion, et par la même occasion, de s’offrir une belle opération de communication : l’industriel bénéficie de retombées médiatiques et se positionne comme un acteur majeur de la recherche.

Comment limiter l’influence de l’industrie ?

Pour Mélissa Mialon, chercheuse en santé publique à l'université de São Paulo (Brésil), « la première chose est la transparence évidemment, ce qui passe par les déclarations d’intérêts, le partage public des agendas de nos ministres (comme c’est le cas dans certains États australiens), les lois limitant les financements de la vie politique par des acteurs privés (comme c’est le cas en France), le refus pour les organisateurs d’un congrès d’accepter des orateurs qui ont un conflit d’intérêts, ou des sponsors qui pourraient ternir l’image de leur manifestation. »

De son côté, Isabelle Robard, avocate et docteur en droit, spécialisée dans le droit de la santé demande dans la préface à Santé, mensonges (et toujours) propagande, que les règles de déclaration des liens d’intérêt s’appliquent aussi aux experts en nutrition. Aujourd’hui, seuls les liens avec l’industrie pharmaceutique doivent être déclarés, pas ceux avec l’industrie agro-alimentaire.

Pour en savoir plus sur les liens d’intérêt et leurs conséquences pour notre santé, lire Santé, mensonges et (toujours) propagande de Jérémy Anso

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