Christian Rémésy, chercheur-paysan : la nutriécologie au secours de notre alimentation

Par Virginie LEGOURD Publié le 16/06/2022 Mis à jour le 24/06/2022
Point de vue

 « La nutriécologie est le seul espoir de sauver l’agriculture, l’environnement et la qualité de l’alimentation. » 

Christian Rémésy, ex-directeur de recherches à l'INRA de Clermont-Ferrand, a eu un parcours atypique de chercheur en nutrition humaine, focalisé sur l’intérêt nutritionnel des produits végétaux, tels que les fruits et légumes et le pain. Il se définit lui-même comme nutritionnsite et payan. Il a élargi ses réflexions au concept d’alimentation durable et plus récemment à la nutriécologie. Il a longtemps milité pour une amélioration de la qualité nutritionnelle des végétaux, dont le pain. Il a publié deux livres majeurs sur la qualité des aliments en lien avec l'environnement : « La nutriécologie », suivi de « Sauvons le pain ». Il nous en dit plus sur la nécessité de la nutriécologie pour l'avenir de la planète. 

Qu'est-ce que la nutriécologie ? 

Dr Christian Rémésy : Il s'agit d'un concept global qui désigne toutes les initiatives et les politiques à mener pour avoir une chaîne alimentaire plus durable. La nutriécologie va plus loin que l’agroécologie qui se limite aux systèmes agraires. Certes, l'agroécologie désigne déjà un système agricole, avec une aproche pluridisplinaire. Elle considère la ferme dans son ensemble et s'appuie sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes présents, pas forcéent bio. La nutriécologie, elle, permet d'élargir la démarche à la nutrition pour aboutir à une gestion par l’alimentation de la santé et de l’écologie. En effet, on peut s'interroger sur le fait que le discours nutritionnel soit plus centré plus sur l’agroalimentaire que l’agriculture, comme si la santé commençait au supermarché !

Est-ce la feuille de route de la nutriécologie qui a inspiré vos recherches sur le pain ? 

La nécessité de concilier la santé humaine et la protection de l’environnement est très facile à comprendre et en même temps trop abstraite pour une grande majorité de consommateurs. La révolution nutritionnelle du pain que je propose permet de passer aux travaux pratiques. Le concept de nutriécologie est chargé de sens, il fixe le cap, la marche à suivre à la chaîne alimentaire. Il doit donc se traduire par un changement des pratiques dans la filière blé pain. 

Lire : Un chercheur appelle à une révolution nutritionnelle du pain

En quoi un pain de meilleure valeur nutritionnelle peut-il servir d’exemple à la mise en œuvre concrète de la nutriécologie ?

L’offre majoritaire de pain blanc n’est pas satisfaisante sur le plan nutritionnel et elle est l’aboutissement d’une culture intensive du blé qui utilise trop d’intrants chimiques et de pesticides Il faudrait donc faire d’une pierre deux coups, aller vers des pains de haute valeur nutritionnelle, diversifier la nature des graines incorporées dans le pain pour sortir de la monoculture du blé et soutenir une agroécologie plus vertueuse. Dans le livre Sauvons le pain, j’explique en quoi le retour du levain et des graines dans le pain serait un progrès majeur pour l’alimentation humaine et pourquoi une utilisation nouvelle de graines et en particulier des légumineuses en panification serait bonne pour la santé humaine et utile pour l’agriculture. 

La nutriécologie implique donc d’amorcer une révolution nutritionnelle du pain mais quel autres changements dans la chaîne alimentaire appelle-t-elle ? 

Tous les domaines de la chaîne alimentaire sont concernés parce qu’ils impactent tous l’alimentation humaine et la protection de l’environnement. Si on analyse par exemple la consommation des produits animaux à l’aune de la nutriécologie, la feuille de route est très claire. Pour améliorer la santé humaine et réduire l’empreinte carbone de l’élevage, il faudrait réduire de moitié la part des calories animales, ce qui équivaut à ne consommer que deux portions de ces aliments par jour. Lorsqu’on prend conscience du bénéfice global d’une telle frugalité, la motivation du changement alimentaire devient plus forte et influence nos comportements. Il est possible par exemple que j’aime beaucoup la viande, mais si j’ai bien compris les difficultés écologiques à en disposer en abondance, je saurai plus facilement me restreindre et me priver de foie gras. Finalement, longtemps les recommandations sont restées trop centrées sur des besoins nutritionnels théoriques à satisfaire, ce qui  s’est révélé peu efficace en  nutrition préventive. De plus nous avions oublié que  nous ne sommes pas seuls sur terre, c’est pourquoi il faudrait toujours penser et agir avec le logiciel de la nutriécologie. 

En quoi la nutriécologie se différencie-t-elle  des vertus reconnues du régime méditerranéen ?

Il y a un côté naïf, voire chauvin, des partisans du régime méditerranéen de vouloir toujours valoriser les aliments spécifiques au pourtour méditerranéen ; on est allé jusqu’à présenter le vin comme une boisson indispensable à la protection cardio-vasculaire. Il est clair que les enquêtes épidémiologiques sur le régime méditerranéen ont été très éclairantes pour comprendre les relations entre alimentation et santé. Mais à l’heure de la crise écologique et d’une nutrition préventive globale, les modèles alimentaires durables doivent être universalisés. La seule question qui vaille est : que dois je manger pour bien me porter et  comment puis je le faire pour l’équilibre écologique de mon territoire ? 

Mais est-ce toujours possible ? Prenons par exemple le cas de l’huile d’olive, si favorable à la santé…

L’huile d’olive est à la mode car elle bénéficie de l’aura du régime méditerranéen. Elle est consommée au nord comme au sud de la France. Le résultat de cette frénésie est une catastrophe écologique qui a généré la monoculture de l’olivier. S’adapter au niveau régional, c’est rechercher les cultures oléagineuses locales susceptibles de fournir l’équilibre en acides gras essentiels dont nous avons besoin. C’est tout-à-fait possible avec les diverses variétés de tournesol (oléique, linoléique), de colza, parfois de soja ou grâce à des huiles très riches en oméga-3 (telles que l’huile de lin) pour complémenter celles qui en sont peu pourvues. Finalement, il devrait être possible de bien s’alimenter avec des ressources végétales locales et c’est un des buts de la nutriécologie, qui a une portée bien plus large que le seul modèle méditerranéen.

Pourquoi la démarche de la  nutriécologie pourrait-elle s’avérer plus efficace pour gérer la santé humaine que les recommandations nutritionnelles conventionnelles ?

Longtemps les recommandations nutritionnelles ont été totalement égocentrées, chaque personne étant invitée à choisir certains aliments pour satisfaire ses propres besoins en nutriments et micronutriments. Cette démarche, souvent empreinte de « nutrionnisme » pour reprendre le terme créé par Gyorgi Scrinis, a rarement généré des comportements équilibrés et durables. L’origine des aliments est passée sous silence, le mangeur est invité à faire ses choix pour suivre des diktats théoriques. Evidemment, la personne ne trouve pas son compte dans ce type de recommandations, bien trop éloignées de la convivialité humaine et déconnectées des problèmes écologiques. Soit l’individu devient orthorexique (et pénible pour les autres),  soit il lâche prise et adopte un comportement alimentaire incohérent. 

Que faire alors ?

Il faut relier ses choix alimentaires à la nécessité de soutenir une agriculture de proximité, de privilégier les produits bio et naturels, de limiter les produits transformés industriels. En ayant cette préoccupation à l’esprit, le consommateur parvient plus facilement à diversifier et équilibrer son alimentation, à disposer de meilleurs légumes en provenance de marchés locaux. Il est encouragé à varier ses recettes de cuisine en fonction de la saison. Au final, il s’en portera mieux et aura la satisfaction que son alimentation est l’aboutissement d’une chaîne alimentaire écologique et sociale plus vertueuse. Heureusement comme Monsieur Jourdain  pour la prose, beaucoup font de la nutriécologie sans le savoir.

En quoi la nutriécologie pourrait-elle servir de fil directeur pour l’agriculture et l’ensemble de la chaîne alimentaire ?

Nous sommes confrontés à une double nécessité, se nourrir le plus largement possible avec les ressources alimentaires disponibles à l’échelon régional et en même temps, adapter l’offre alimentaire aux besoins nutritionnels spécifiques humains. Une telle articulation ne se fait rarement toute seule par l’unique loi de l’offre et de la demande. Si la restauration collective ne passe pas commande auprès de l’agriculture régionale des denrées alimentaires nécessaires à la confection d’une bonne nourriture, elle s’industrialise, et sa qualité se dégrade.
Je pense que le fonctionnement de la chaîne alimentaire n’a jamais bénéficié d’une approche globale cohérente pour la santé humaine, pour le soutien à l’agriculture biologique, qu’une commande claire et loyale n’a jamais été faite à l’agriculture, et qu’un cahier des charges suffisant n’a jamais contraint l’industrie alimentaire à ne réaliser que des bonnes transformations, malgré l’évidence du caractère nocif des aliments ultra-transformés. Il est clair que la nutriécologie n’est pas encore entrée dans les meurs, ignorée dans les décisions politiques, marginalisée dans la Politique Agricole Commune, absente des recommandations de santé publique, seulement mise en œuvre sans soutien particulier par des citoyens responsables. Je m’en suis étonné, révolté, en publiant La Nutriécologie, pensant que nous avions besoin de ce néologisme signifiant, qu’il pourrait entrer dans le vocabulaire courant au même titre que l’agroécologie. Je n’ai pas encore été assez entendu, peut être que ce concept est trop positif pour pénétrer efficacement une chaîne alimentaire sociale et écologique par trop imparfaite. Je vous invite par contre à vous en imprégner en lisant mon livre, pour être aussi des pionniers de ce seul futur alimentaire possible. Vous verrez, La Nutriécologie est actuellement notre seul espoir de résilience pour remettre sur de bons rails une chaîne alimentaire incontrôlée, or il y a urgence, la terre brûle, la malnutrition se généralise et nous regardons ailleurs.

Pour aller plus loin, lire un extrait de La Nutriécologie et de Sauvons le pain

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