Avion, flygskam et climat : les scientifiques interrogent leurs modes de transport

Par Marie-Céline Ray - Journaliste scientifique Publié le 05/08/2019 Mis à jour le 09/09/2019
Article

Dans un contexte de changement climatique global, la communauté scientifique questionne de plus en plus son usage de l’avion à titre professionnel.

Pourquoi c’est important

L’avion, qui émet beaucoup de CO2, est un mode de transport de plus en plus décrié dans un contexte de réchauffement global. Mais les scientifiques qui nous alertent sur l’urgence climatique, respectent-ils leurs principes lors de leurs déplacements ? En effet, dans le cadre de leur profession, les universitaires sont souvent amenés à prendre l’avion, qu’il s’agisse de se rendre à un congrès ou sur le lieu d’un stage post-doctoral. En France et ailleurs, la mobilité internationale est indispensable pour progresser dans sa carrière de chercheur.

Aussi, beaucoup de scientifiques se trouvent face à un dilemme : comment concilier les exigences de leur métier et leurs préoccupations pour l’avenir de la planète ? Et cette question est plus pregnante encore pour ceux qui travaillent dans le domaine de l'environnement et du climat, et pour des activistes comme Greta Thunberg qui a d'ailleurs décidé de se rendre au sommet pour le climat des Nations-Unies à New York sur un voilier. Voici comment la « honte de prendre l’avion », ou flygskam, un mouvement parti de Suède, se répand dans le milieu de la recherche scientifique.

Une prise de conscience de la communauté scientifique

Plus de 200 scientifiques internationaux se sont regroupés sur le site noflyclimatesci.org pour militer en faveur d’une recherche « libérée de l’avion ». En mai 2019, un article paru dans Science a fait le portrait de plusieurs de ces scientifiques décidés à ne plus prendre l’avion. Ainsi, la climatologue américaine Kim Cobb a calculé que, en 2017, 85 % de ses émissions de carbone étaient dues à son usage de l’avion : cette année-là, elle avait parcouru environ 200 000 km, essentiellement pour se rendre à des congrès internationaux. Elle a décidé de changer radicalement de comportement. Désormais, si elle est invitée à un événement international, elle demande s’il est possible d’intervenir à distance à une conférence. Dans les trois-quarts des cas, sa demande est acceptée. Et si la réponse est négative, elle refuse de se déplacer. Résultat : en 2018, son usage de l’avion a diminué de 75 %.

En septembre 2019, un chercheur en sciences politiques de l’université de Fribourg (Allemagne), Sebastian Jäckle, a publié un article dans European Political Science sur les émissions de carbone des scientifiques lorsqu’ils se rendent à des congrès internationaux. Pour cela, il a étudié les six dernières conférences organisées par le Consortium européen pour la recherche politique (European Consortium for Political Research), entre 2013 et 2018 : cinq d’entre elles avaient lieu en Europe, et une se tenait à Montréal.

En moyenne, un scientifique qui se rend à une de ces conférences en Europe émet entre 0,5 et 1,3 tonne d'équivalent CO2 pour trois jours de congrès. Pour la conférence au Canada, le volume d’émissions grimpait entre 1,9 et 3,4 tonnes de CO2. L’avion était de loin le mode de transport le plus coûteux en carbone, alors que la différence entre le bus et le train était peu importante. Sebastian Jäckle propose plusieurs solutions pour réduire ce coût carbone. Tout d'abord, le choix de la ville qui accueille la conférence est primordial : il faut un lieu central et facilement accessible en train. Ensuite, il suggère l’utilisation de la vidéo en ligne pour les scientifiques éloignés du site. En effet, 7 % des personnes venues à Hambourg pour une conférence en 2018 ont été responsables de plus de la moitié des émissions de CO2. D'après lui, toutes ces mesures pourraient réduire l'empreinte carbone des congrès de 75 à 90 %.

Et si des scientifiques hésitent à réduire leur usage de l'avion, voici une étude récente qui pourrait les rassurer. Des chercheurs canadiens se sont intéressés à 705 personnes ayant travaillé pour l’université de la Colombie-Britannique à Vancouver, pour voir s’il y avait un lien entre l’usage de l’avion d’un chercheur et sa réussite universitaire. L’étude montre que les chercheurs expérimentés sont de plus gros consommateurs de vols en avion que les jeunes en début de carrière. Pourtant, comme l’admet Kim Cobb dans Science, les jeunes scientifiques ont plus besoin de voyager pour leur avancement que les chercheurs seniors, qui peuvent se permettre une certaine sédentarité. Mais surtout l’étude montre qu’il n’y a pas de lien entre les émissions de carbone dues à l’usage de l’avion et la productivité scientifique d’un chercheur.

Le récit d’un trajet Southampton-Shanghai en train

Chez les jeunes scientifiques aussi, certains s’interrogent, à l’image de Roger Syers, chercheur en sociologie de l'environnement à l’université de Southampton. Dans un article paru sur le site The Conversation, il raconte comment il s’est rendu à Shanghai en train, dans le cadre de son travail de recherche.

Roger Syers s’était engagé à ne pas prendre l’avion ni en 2019, ni en 2020. Il a dû passer de la théorie à la pratique quand il a reçu une bourse pour aller étudier en Chine... Lorsqu’il a expliqué qu’il se rendrait en train à Shanghai, les réactions ont été variées : «  Certains pensaient que j'étais en colère, certains admiraient mes principes, certains pensaient que j'étais un idiot maladroit. »

Le coût de son voyage en train a été environ trois fois plus élevé que l'équivalent par avion et il lui a fallu deux semaines (contre quelques heures) pour rejoindre sa destination. Mais ce périple a divisé par 10 ses émissions de carbone, par rapport à l’avion. En tout, le jeune homme a pris 21 trains différents, pour un voyage riche en rencontres. Il raconte par exemple avoir passé 90 heures dans le même train entre Irkoutsk et Moscou, l’occasion de rencontrer d’autres voyageurs sur cette ligne transsibérienne, des Russes, des touristes européens et chinois. Il ajoute : « Le paysage sibérien - des millions d’arbres sur une boucle apparemment sans fin - est devenu quelque peu répétitif, mais la monotonie me donnait le temps de lire, d’écrire, de planifier et de contempler. »

En pratique

Dans son livre Famille en transition écologique, Jérémie Pichon explique qu’un trajet aller-retour long courrier Paris-New York produit 2,2 tonnes de CO2 par personne.  Or chaque individu sur Terre ne devrait pas émettre plus de deux tonnes de carbone par an, pour respecter les accords de Paris sur le climat. Un voyage en avion tous les deux-trois ans, pour des trajets qu'on peut difficilement faire par d'autres modes de transport, devrait être un maximum pour chacun de nous.  S'interroger sur nos pratiques en matière de transports est incontournable aujourd'hui, même sans aller jusqu'au flygskam.

Pour les longs trajets, le train reste le mode de transport qui émet le moins de carbone. Malheureusement, le prix d’un trajet en train est souvent supérieur à celui de l’avion ou de la voiture. 

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