Dopage made in USA

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 28/04/2006 Mis à jour le 17/02/2017
C’est l’affaire de dopage qui risque de déstabiliser l’athlétisme américain tout entier. Elle a éclaté le 17 octobre 2003. Mais avant de vous en parler, un rappel.

19 octobre 2003

Au cours des dix dernières années, couvrant pour Sciences et Avenir ou pour le site santé du Nouvel Observateur le sujet du dopage, je me suis ému à plusieurs reprises du physique impressionnant des athlètes américains et britanniques, en particulier celles et ceux qui participent aux épreuves de sprint. Lorsqu’on les interrogeait à ce sujet, ils citaient bien sûr les bénéfices de la musculation et des suppléments de protéines. Mais il suffit d’avoir pratiqué un minimum de musculation et pris des protéines pour réaliser qu’il y avait quand même un petit problème pour expliquer un gain de masse sèche de près de 20 kilos en un an.

Une narcolepsique championne du monde

En 1999, j’ai visité les locaux de Los Angeles de l’agence anti-drogue américaine, la DEA. Les inspecteurs de la DEA avaient quelques athlètes en vue dans leur collimateur. Mais peu de choses en fait pour les pincer. Rumeurs, soupçons. Je n’en avais pas fait état. On va y revenir.
Le 30 août 2003, à l’occasion des championnats du monde, j’écrivais ceci sur le site web du Nouvel Observateur : « la championne du monde Kelli White présente une masse musculaire hors du commun qui ne semble choquer personne, et surtout pas les candides commentateurs de l’épreuve sur France 2. » Je précisais que « Kelli White est entraînée par le Russe Remy Korchemny, qui avait préparé l’équipe de sprint soviétique pour les Jeux Olympiques de Munich en 1972. Bilan : l’or sur 100 m et 200 m avec Borzov, l’argent sur 4x100 m. Korchemny, 70 ans, est poursuivi par des rumeurs tenaces de dopage, tel qu’on le pratiquait alors extensivement dans les nations d’Europe de l’est. » C’était avant qu’éclate « l’affaire » Kelli White, convaincue d’avoir pris un médicament interdit en France, le modafinil, qui supprime la sensation de fatigue.
Kelli White avait déjà été interdite de courir du 1er janvier au 1er juillet 2003 en France après un test positif aux stéroïdes lors du meeting de Paris-St-Denis le 5 juillet. Pour sa défense, l’athlète avait assuré qu’elle disposait d’une prescription en bonne et due forme. Même défense pour le modafinil. Elle souffrirait de « narcolepsie, comme plusieurs membres de ma famille.» De quand date le diagnostic ? « De cette année, dit-elle. Je prends ce médicament depuis avril..»

Designer drug

Korchemny et White sont à nouveau sur le devant de la scène avec l’affaire de dopage généralisé qui vient d’éclater. Le 17 octobre, l’agence américaine anti-dopage (USADA) a déclaré qu’elle venait de mettre à jour la plus grande « conspiration » dans le domaine du dopage aux Etats-Unis. Des chimistes, des revendeurs, des entraîneurs et 40 athlètes environ seraient impliqués dans l’usage d’un stéroïde anabolisant fait sur-mesure, la tétrahydrogestrinone ou THG. Au moins trois athlètes qui avaient participé aux championnats nationaux d’athlétisme à Stanford (Californie) en juin 2003 auraient été testés positifs à la THG. Plusieurs athlètes auraient également été testés positifs au… modafinil, le médicament de Kelli White. La THG analysée par l’USADA lui aurait été obligeamment fournie par un entraîneur dont l’identité n’est pas connue. Mais l’USADA est quasiment sûre que ce produit vient d’une entreprise californienne, les laboratoires Balco dirigés par un certain Victor Conte, ancien bassiste du groupe de rock Tower of Power. Balco est sous le coup d’une enquête de la DEA et de l’IRS (le fisc américain), qui a procédé à une perquisition en règle le 23 septembre dernier dans ses locaux de Burlingame. Ce n’est pas une coïncidence. En fait, ce sont les déboires de Kelli White aux championnats du monde à Paris qui auraient précipité cette intervention.

Kelli White fait partie du groupe d’athlètes prestigieux qui utilisent officiellement les produits de BALCO, du moins les produits licites. Cette liste comprend aussi les noms de Marion Jones et Tim Montgomery. Rien pour l’instant ne permet de dire qu’ils ont pris de la THG.

Mais ce n’est pas la première fois que Conte est mêlé à une affaire de dopage. Avant les Jeux Olympiques de Sydney, on avait retrouvé chez le lanceur de poids C.J. Hunter 1 000 fois le taux de nadrolone (un autre anabolisant) autorisé. Victor Conte avait porté le chapeau dans cette affaire, indiquant qu’il avait vendu à Hunter des suppléments de fer contaminés par de la nadrolone.
Kelli White, je l’ai dit est entraînée par Remy Korchemny. Korchemny et Conte sont, selon ce dernier, à l’origine du club ZMA du nom d’un complément nutritionnel à base de zinc utilisé par les athlètes. Qui fait partie du club ZMA ? Toujours selon Conte : Christe Gaynes, Marion Jones, Tim Montgomery, Kelli White, Ramon Clay. Interrogé le 17 octobre, Remy Korchemny a nié qu’un tel club ait existé : « Il n’y a pas de club ZMA, dit-il. J’utilise Balco comme un fournisseur de vitamines. C’est tout. »
Officiellement, il est vrai, les Américains Tim Montgomery (recordman du Monde) et Marion Jones (5 fois médaillée aux Jeux de Sydney) ne sont pas suivis par Remy Korchemny mais par le Canadien Charlie Francis, qui entraînait le célèbre club Mazda dans les années 1980, au sein duquel se trouvaient Ben Johnson et la championne Angella Issajenko. Est-ce plus raisonnable ? Charlie Francis a été mis au ban de la Fédération canadienne d’athlétisme après le scandale Ben Johnson aux Jeux de Séoul en 1988, où le champion a été convaincu de dopage.

Korchemny en revanche, conseille bien un autre sprinteur à la musculature stupéfiante, le britannique Dwain Chambers.

La TMG, le produit qui fait des vagues dans l’athlétisme américain et peut-être au-delà n’était pas décelé par les contrôles classiques. Il s’agit semble-t-il en fait d’une molécule anabolisante construite sur-mesure pour échapper justement aux tests. La molécule est proche de celle d’un autre anabolisant la trenbolone (TBA), un stéroïde de synthèse qui est 8 à 10 fois plus puissant que la testostérone pour promouvoir la masse musculaire. Il n’existait pas jusqu’ici de test de détection pour la TMG, tout simplement parce que les laboratoires anti-dopage ignoraient jusqu’alors son existence. A suivre.

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