La loi qui menace notre liberté d'informer

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 02/02/2012 Mis à jour le 17/02/2017
La loi sur la pénalisation de la négation des génocides constitue une nouvelle atteinte à la liberté d'expression en France qui entérine une démocratie au rabaisElle pourrait ouvrir la voie à un renforcement des mesures qui encadrent déjà l'information sur les médecines complémentaires

Le 22 décembre 2011, quelques dizaines de députés, dans un hémicycle quasi-désert, ont voté le projet de loi présenté par le député UMP Valérie Boyer pénalisant « la minimisation outrancière » et « la négation » du génocide arménien. Le 23 janvier 2012, il s’est trouvé 127 sénateurs pour entériner ce texte. Ce vote montre une nouvelle fois que l’enfer est pavé des meilleures intentions. Car cette loi censée organiser le respect et protéger la mémoire d’un événement dramatique de l’histoire moderne, porte en réalité un coup majeur à la liberté d’expression en France, déjà entamée par un arsenal juridique et réglementaire étouffant. Elle doit faire réagir et se dresser tous les démocrates. C'est la raison pour laquelle Amnesty International, qu'on ne peut pas suspecter de sympathiser avec les bourreaux, vient logiquement de se dresser contre cette loi. Explications.

Nous éprouvons bien sûr de la compassion pour les minorités malmenées par l’histoire, nous condamnons les atrocités qui jalonnent l’histoire de l’humanité et il ne fait pas de doute que des dizaines de milliers d’Arméniens ont été massacrés en 1915 et 1916. Mais que des députés et des sénateurs s’érigent en tribunal des esprits, voilà qui est absolument et irrémédiablement inquiétant pour chacun de nous. L’ancien ministre de la Justice Pierre Badinter et l’historien Pierre Nora l’ont justement souligné. Le président de la Commission des lois à l'Assemblée, Jean-Pierre Sueur juge cette loi contraire à la Constitution. L'historien britannique francophile Timothy Garton Ash dénonce lui aussi en termes très durs le caractère électoraliste d’une loi opportunément votée pour s’assurer les voix d’une minorité, à proximité d’une échéance électorale importante (lire son texte : En France, le génocide est devenu une arme politique). Il a expliqué par ailleurs que le meilleur moyen de combattre le négationnisme, ce n'est pas la loi mais l'éducation et l'information.

Mais, comme le dit Amnesty, le danger est ailleurs.

Ce vote est symptomatique de la relation ambigüe que le pouvoir en France entretient depuis des siècles avec la liberté d’expression. On apprend à l’école que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 nous accorde le droit de la libre opinion. L'article 11 ne stipule-t-il pas que : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme. » Mais on ne dit pas qu’il s’agit d’une liberté tenue en laisse. Combien de nos concitoyens connaissent la suite de ce texte ? La voici : « Tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. » On voit bien que dès l’origine la liberté d’expression dans notre pays suscite de la méfiance.

Il peut paraître naturel aux Français, habitués depuis des siècles à la pression ferme d’un pouvoir qui se méfie d’eux et les contrôle, que la liberté d’expression soit ainsi encadrée. En réalité, il faudrait considérer cela comme une anomalie. Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, la liberté d’expression ne se compte pas, ne se mesure pas et ne se négocie pas. Elle est pleine et entière.  Le Premier Amendement de la Constitution américaine affirme que : "Le Congrès ne fera aucune loi accordant une préférence à une religion ou en interdisant le libre exercice, restreignant la liberté d'expression, la liberté de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement et d'adresser à l'État des pétitions pour obtenir réparation de torts subis."

Certains s'émeuvent qu'au nom de la liberté d’expression puissent s’exprimer des opinions extrémistes qui choquent les démocrates que nous sommes, et que des génocides dont la réalité n'est pas contestable puissent être niés.

La réponse à ce dilemme est donnée par l’Association américaine des libertés civiles (ACLU), une association non politique qui défend depuis 1920 les libertés individuelles, le droit des minorités et qui lutte contre toutes les formes de racisme et de ségrégationnisme.

Tout en s’opposant pied à pied aux idéologies nazies et à la rhétorique du Ku Klux Klan, l’ACLU a toujours défendu le droit de ces groupes à s’exprimer librement. Cette position paraît incompréhensible, sauf à entendre l’argument de l’ACLU : « Si seules les idées populaires étaient protégées, nous n’aurions pas besoin du premier amendement. L’histoire nous dit que la première cible d’une répression gouvernementale n’est jamais la dernière. Si nous ne nous levons pas pour la défense de la liberté d’expression des moins populaires d’entre nous, alors même que leurs vues sont l’antithèse même de la liberté que défend le premier amendement, alors aucune forme de liberté ne peut être garantie. A cet égard, tous les droits du Premier Amendement sont indivisibles. » On peut donc - c'est mon cas - reconnaître un génocide, qu'il s'agisse de celui des Juifs dans l'Allemagne nazie ou de celui des Arméniens par les autorités turques et refuser au législateur d'ouvrir une nouvelle brêche dans le champ de la liberté d'expression.

Et voici pourquoi nous sommes, nous, plus particulièrement inquiets.

Maintenant que la voie est largement ouverte par la loi à la répression d’une forme de liberté d’expression, quelles pourraient en être, pour reprendre la formule de l’ACLU, les nouvelles cibles ?

Nous sommes des centaines, ces dernières décennies à avoir conduit dans la presse, les livres, les médias, une lutte difficile pour faire éclater la vérité sur les pratiques de l’industrie pharmaceutique et de l’industrie alimentaire, et pour défendre des alternatives préventives et thérapeutiques crédibles. Qu’on se souvienne de l’absurdité du vaccin contre la tuberculose, de l’amiante entrant à pleins containeurs au milieu des années 1990, des affaires du clofibrate, du Vioxx et du Mediator, des pesticides toxiques et pourtant épandus sur nos aliments, des messages nutritionnels qui ne reposent que sur la collusion entre agences sanitaires et industriels, de la prescription abusive d’antidépresseurs. Aujourd’hui nous nous interrogeons sur les campagnes de dépistage systématique par mammographie, la lutte absurde contre le cholestérol à grands coups de médicaments, les directives nutritionnelles dans les cantines, l’absence de statut pour des thérapeutes non médecins.

Tous ces combats ont été conduits par des lanceurs d’alerte, appelons-les comme on voudra, journalistes, écrivains, avocats, membres d’associations, médecins, pharmaciens, diététiciens, mais surtout négationnistes occasionnels de la parole étatique. Or ils dérangent des intérêts bien supérieurs à ceux d’une simple communauté d’électeurs d’origine arménienne.

Est-ce si absurde de s’inquiéter d’une incursion de l’Etat dans le domaine de l’information sur la santé ? En réalité, elle est déjà en marche. L’Etat dispose, par l’intermédiaire de l’agrément de la Commission paritaire, d’un outil de censure à l’égard des médecines complémentaires. Cet agrément permet à un media de bénéficier des tarifs postaux de la presse, plus avantageux et des allègements fiscaux. Cet agrément a été refusé à de nombreux médias d’information – dont celui que je dirige - sous le prétexte que les informations qui y étaient présentées "n’étaient pas validées par les autorités sanitaires" (sic).

De son côté, la justice dispose des moyens de censurer une information sanitaire et de punir son auteur. L’article L5122-1 assimile à une publicité pour le médicament « toute forme d'information (…) qui vise à promouvoir la prescription, la délivrance, la vente ou la consommation de ces médicaments » sauf « les informations relatives à la santé humaine ou à des maladies humaines, pour autant qu'il n'y ait pas de référence même indirecte à un médicament ». En clair, il est possible d’interdire toute référence, y compris dans la presse ou dans un livre, aux effets thérapeutiques d’une plante comme l’harpagophytum, considérée comme un médicament par la cour de cassation le 22 février 2011.

Gageons qu’il se trouvera un jour quelques dizaines de députés et de sénateurs bien intentionnés pour donner à l’Etat, au nom de la protection de la santé publique, les moyens de museler un peu plus ceux qui portent un regard critique sur le discours des autorités sanitaires.

Simple coïncidence ? Le député Valérie Boyer, à l’origine de ce projet de loi est secrétaire nationale en charge de la… santé à l'UMP. Elle s’était illustrée par un autre projet de loi discutable puisqu’il visait à imposer une mention signalant toutes les photos retouchées, non seulement publicitaires, mais aussi de presse et même... artistiques. Ce projet de loi s’inscrivait dans le cadre d’une modification du code de la santé publique.

Il faut soutenir les députés et sénateurs qui ont saisi le 31 janvier le Conseil constitutionnel pour demander l’abrogation de la loi. Mais ce n’est pas suffisant. Nous devons exiger de nos parlementaires, en cette période pré-électorale, l’introduction dans la Constitution d’un « amendement » spécifiant qu’aucune loi ne peut restreindre la liberté d’expression en France. Il est grand temps en effet que la démocratie regagne du terrain dans notre pays.

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