La mélatonine plus rare que le cannabis

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 28/04/2006 Mis à jour le 17/02/2017
Des dizaines de milliers de Français se procurent sans difficultés du cannabis, une drogue interdite. La mélatonine n'est pas une drogue, elle n'est pas interdite, elle est utile et pratiquement sans effets indésirables mais il est devenu pratiquement impossible de s'en procurer dans les pharmacies françaises. Illustration.

18 mars 2005

En prévision d’un voyage aux Etats-Unis, j’appelle mon pharmacien préféré : « J’ai besoin, lui dis-je, d’un peu de mélatonine pour le décalage horaire. Comme l’an dernier. »
Je dois me rendre sur la côte est. J’utilise depuis une dizaine d’années de petites quantités de cette hormone naturelle chaque fois que je dois franchir plus de 3 fuseaux horaires, selon un protocole mis au point par Russell Reiter, de l’université du Texas. Prise à la bonne dose et au bon moment, la mélatonine marche merveilleusement bien : elle limite la fatigue et les insomnies, et surtout dispense de l’usage de somnifères. Donc, je demande à mon pharmacien quelques comprimés comme par le passé. Mais voilà, surprise ! mon pharmacien a cessé depuis quelques mois de vendre de la mélatonine. « Tu comprends, me dit-il, on a la pression du Conseil de l’Ordre [des pharmaciens] » Ah bon.
Heureusement, j’ai une autre adresse à Marseille. J’appelle : même son de cloche, à croire qu’ils se sont donnés le mot : « Le Conseil de l’Ordre… »
Qu’à cela ne tienne, je tente ma chance auprès d’une grosse pharmacie parisienne où je suis connu : « Vous avez une ordonnance ? » me demande une employée. Je réponds que oui, bien sûr. Elle s’absente quelques instants, revient : « Je suis désolée, nous ne délivrons plus de mélatonine ni de DHEA.
- Même sur ordonannce ?
- Même sur ordonnance. Vous comprenez, ce sont des substances un peu… délicates.
- Comment ça, délicates ?
- Oui, vous voyez ce que je veux dire. »
Ce que je vois, c’est que toute une industrie s’est mobilisée pendant des décennies pour persuader toutes les femmes de plus de 50 ans de prendre des hormones synthétiques aux effets controversés, mais qu’une hormone naturelle comme la mélatonine, dont le profil toxicologique reste incroyablement favorable, dont les bénéfices sont incontestables, continue de sentir le soufre. Et d’être ostracisée.
Il y a quelques jours, mon ami Richard Wurtman, du Massachusetts Institute of Technology a publié une méta-analyse sur les effets de la mélatonine sur le sommeil. Richard a analysé 17 études publiées sur ce sujet et son travail a été financé par une bourse des Instituts nationaux de la santé des Etats-Unis. Du sérieux. Conclusion de Richard : la mélatonine à dose faible (0,3 mg/j) est une alternative extrêmement intéressante aux somnifères traditionnels. A dose plus élevée, elle cesse d’être efficace. Richard et sa femme, la belle Judith, prennent d’ailleurs de la mélatonine tous les soirs depuis un an. Non seulement la mélatonine aide à trouver le sommeil plus vite, mais elle permet de se rendormir rapidement après un réveil nocturne.
Il y a trois ans avait été conduite une méta-analyse de même type, cette fois sur les effets de la mélatonine dans la prévention des désagréments du décalage horaire. Elle avait conclu que la mélatonine est « remarquablement efficace » et que son « usage ponctuel » est sans danger.
Résumons : nous disposons d’une substance qui permettrait de soulager les centaines de milliers de personnes qui souffrent d’insomnie et les dizaines de milliers qui effectuent des voyages vers l’est ou l’ouest et son seul nom fait sortir des armoires à pharmacie les gousses d’ail et les crucifix. Ce n’est pas une question de vente sauvage : comme pour la DHEA, je suis favorable à la prescription de mélatonine sur ordonnance. Mais même cette possibilité est interdite aux citoyens français qui sont invités à se bourrer de benzodiazépines – ou souffrir en silence. Ou acheter des substances d’origine douteuse sur Internet.
Finalement rien n’a beaucoup changé depuis 1997. Cette année-là, la Direction générale de la santé, alors confiée à un certain Jean-François Girard, avait prévenu les médias français qu’elle engagerait des poursuites à leur encontre s’ils présentaient DHEA et mélatonine sous un jour favorable. Comparée à la DGS de l’époque, la Guépéou pouvait aller se rhabiller… Avec Jérôme Vincent, nous étions déjà très engagés à Sciences et Avenir dans la rédaction d’un dossier complet sur ces deux substances. L’avertissement du Père Fouettard de la DGS avait eu pour conséquence de nous inciter à précipiter la publication de ce dossier, et en « une » s’il vous plaît. Ce que c’est que l’esprit de contradiction, surtout que nous venions d’épingler le fameux Girard dans la lamentable gestion de la question de l’amiante ! C’était l’époque, un peu lointaine, où Sciences et Avenir menait haut et fort des enquêtes dérangeantes.
Huit ans après, la mélatonine reste donc un épouvantail pour les professionnels de santé français. On a lu et lu tant de bêtises sur cette pauvre substance, que j’ai arrêté d’adresser des mises au point aux médias. La mélatonine est présentée comme une dangereuse drogue par le ministère de la santé, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, les conseils de l’ordre. Bizarrement, aucune de ces respectables instances n’a jamais mené la moindre étude sur le sujet.
En réalité, la différence entre la mélatonine et par exemple le cannabis – que je ne fume pas, c’est d’une part que la mélatonine n’est pas une drogue (et n’est pas interdite), et ensuite que nous connaissons tous quelqu’un qui peut obtenir de la marijuana sur un simple coup de fil, alors qu’il faut s’épuiser en coups de fil pour ne pas trouver de mélatonine !
Alors, voici quand même l’épilogue de cette histoire : j’ai commandé en toute légalité ma mélatonine – avec ordonnance – à une pharmacie suisse. A méditer par les pharmaciens français.

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