La télé qui rend crétin

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 28/04/2006 Mis à jour le 17/02/2017
Selon une étude américaine, les femmes âgées qui regardent les feuilletons à l'eau de rose et les talk-shows ont le cerveau plus branlant que les autres. La télé, comme le manque d'iode, rend-il crétin ?

26 avril 2006

On savait qu’elle faisait grossir, qu’elle volait le sommeil des enfants, qu’elle nuisait aux résultats scolaires, on se doutait bien qu’elle ne faisait pas pousser les neurones (le fameux « temps de cerveau disponible du patron de TF1), maintenant, grâce au Dr Joshua Fogel du Brooklyn College de l’université de la ville de New York, on peut craindre que la télé rende crétin. Ce médecin a analysé les habitudes télévisuelles de 289 femmes âgées de 70 à 79 ans et présentant des facultés physiques et intellectuelles intactes. Il leur a également administré différents tests cognitifs : mémoire, rapidité de réponse, attention… tout a été passé au crible.

Résultats : les adeptes des feuilletons télévisés du genre Les feux de l’amour ou Amour, Gloire et Beauté avaient 13,5 fois plus de risque que les autres de présenter un déclin de leurs capacités cognitives. Vous ne regardez pas Les feux de l’amour ? Attendez, la liste n’est pas close. Au hit-parade des émissions qui liquéfieraient le cerveau, on trouve de grands moments de culture rayonnante du type Vivement Dimanche, Les enfants de la télé, On ne peut pas plaire à tout le monde, On a tout essayé, et autres Tout le monde en parle. Dans l’étude du Dr Fogel (à ne pas confondre avec Fogiel), les femmes qui regardaient l’équivalent U.S. de ces émissions avaient quand même 7 fois plus de risque que les autres de manifester un déclin cognitif. L’étude ne dit pas comment s’en sortent les fans de Star Ac, de La nouvelle Star, de Koh Lanta, La Ferme célébrités : peut-être le Dr Fogel n’avait-il à ce stade plus grand-chose à tester sur le plan cérébral.

Bien sûr, toute la télé n’est pas concernée par ce détricotage des capacités intellectuelles. Mais elle gagne du terrain. La télé qui rend crétin a cette extraordinaire capacité à tout pervertir. De grands esprits, pour lesquels on a de la considération, se pressent sur les plateaux d’Ardisson ou de Fogiel dans l’espoir d’y pousser du coude un dernier livre. La télé qui rend crétin ne craint même pas ceux qui se moquent d’elle, car elle sait bien qu’elle finira par les avaler. L’exemple le plus sidérant, c’est Guy Carlier. On aimait cet esprit caustique à l’époque de ses chroniques sur France Inter, on se disait que pour le coup les neurones des auditeurs avaient de quoi s’épanouir. Ah ça, il y avait de la contestation dans l’air, une sorte de contre-pouvoir médiatique pour dénoncer la pipolisation rampante, les animateurs au cerveau creux, tout ce déballage nombriliste sur les liaisons des uns et les régimes amaigrissants des autres. Un passage chez Fogiel et hop, le voici lui aussi schtroumpfé, nous arrachant des larmes avec les hauts et les bas de son dernier régime, bien en vue sur la pile des magazines de ma coiffeuse avec sa nouvelle fiancée, peut-être –qui sait- en train d’écrire La méthode Carlier pour maigrir pour Michel Lafon. Finalement, on préfère Demis Roussos, au moins il savait chanter et choisir de jolies robes.

Oh, je sais, ce que vous pensez : « C’est bien beau de dénoncer cette télé-là. Mais ne nous dis pas que tu n’y es jamais passé… » Eh bien non. Jamais. Enfin… presque. Voici l’histoire. Il y a deux ans, au moment de la sortie de Santé, mensonges et propagande, le livre que j’ai écrit avec Isabelle Robard sur l’emprise de l’industrie agro-alimentaire, j’ai été contacté par une responsable de l’émission de Ruquier On a tout essayé. Je venais d’enregistrer une interview pour France-Info à la maison de la Radio. L’équipe de Ruquier avait a-do-ré mon livre et ils me voulaient absolument sur leur plateau, là cet après-midi. Voyez comme on est, j’ai hésité, posé des questions sur le thème qui serait abordé, puis j’ai dit bon d’accord, je serai là. Au moins j’aurai une tribune pour expliquer aux spectateurs comment on leur fait avaler n’importe quoi. J’ai annulé le train qui devait me ramener dans mon midi languedocien, mais une heure après, coup de fil de la même personne un peu gênée, m’expliquant que finalement ce n’était plus la peine que je me dérange, qu’on verrait une autre fois, que l’actualité était trop riche, etc… Je n’ai plus jamais eu de leurs nouvelles. Des francs-tireurs qui risquent de fâcher les annonceurs, c’est peut-être là la limite de ce que la télé qui rend crétin peut digérer et montrer.

Pour revenir aux résultats de l’étude de Joshua Fogel, il faut être honnête. En sciences, corrélation ne signifie pas causalité. En d’autres termes, ce n’est pas parce que les femmes dont le cerveau rapetisse regardent plus ce type d’émissions, que leur cerveau a rapetissé à cause de ces émissions. Aussi bien, elles étaient déjà légèrement flageolantes sur le plan intellectuel, et la compréhension du bulletin météo représentant peu à peu pour elle un obstacle aussi infranchissable que la formule de la relativité, elles ont pu se rabattre sur cette télé-là.

Après réflexion, ce n’est pas plus flatteur pour les animateurs, les producteurs et les animateurs-producteurs de cette télé-là.

Fogel Joshua: “Soap Operas and Talk Shows on Television are Associated with Poorer Cognition in Older Women.” Southern Medical Journal. 99(3) : 226-233, March 2006.

P.S. Copinage qui n'a rien à voir : bonne chance à Cannes à mon ami de 25 ans Jean Bréhat qui produit 2 des films de la sélection française : Flandres, de Bruno Dumont et Indigènes, de Rachid Bouchareb, avec Jamel Debbouze. Jean Bréhat, le producteur qui fait des films qui ne rendent pas crétin.

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