Le ministère de la santé veut-il nous engraisser ?

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 28/04/2006 Mis à jour le 17/02/2017
C'est la question qui vient à l'esprit lorsqu'on découvre la campagne du Ministère de la Santé en faveur des pommes de terre, des pâtes et du "pain sous toutes ses formes." Un bon régime pour les chevaux, mais pour l'homme ?

20 septembre 2005

Le Ministère de la Santé a lancé le 12 septembre une grande campagne « pour améliorer la santé des Français » dans le cadre de son Programme National Nutrition Santé. Il s’agit d’amener les Français à manger plus de féculents et moins de sucres simples. L’une des annonces montre une assiette remplie de brocolis coupée en deux. Sous l’assiette, ce texte : « On ne devrait pas penser à sa santé à moitié. » Si l’on tourne la page, on découvre l’assiette entière : d’un côté les mêmes brocolis, de l’autre des pommes de terre.
La promotion des pommes de terre comme aliment favorable à la santé n’a rien de surprenant de la part de l’interprofession ou des fabricants de frites et de chips. Venant du ministère de la santé, c’est déjà plus original.

Infarctus, diabète et cancer

Dans une revue récente sur les aliments les plus dangereux pour le cœur, les chercheurs de l’Ecole de santé publique de Harvard écrivent ceci : “Des données récentes indiquent qu’une charge glycémique élevée due au remplacement des graisses par des glucides rapidement absorbés (à index glycémique élevé) peut créer un état de résistance à l’insuline qui prédit un risque cardiovasculaire plus élevé. » Au premier rang des aliments à index glycémique élevé, qui conduisent à un risque cardiovasculaire plus élevé figure la pomme de terre. (1)
Les chercheurs de Harvard se sont aussi intéressés aux aliments associés à un risque élevé de diabète. Là encore, on trouve la pomme de terre. Au point qu’ils conseillent maintenant à leurs concitoyens d’en manger le moins possible. (2)
Dans sa campagne, le ministère de la santé ne fait pas que la promotion de la pomme de terre. Il encourage aussi les Français à manger des pâtes. Les pâtes n’ont pas les inconvénients des pommes de terre en ce sens qu’elles n’élèvent pas la glycémie. En revanche, lorsqu’elles ne sont pas fabriquées à partir de farines complètes, elles font courir les mêmes risques pour la santé que les autres aliments raffinés. Le Dr Carlo La Vecchia étudie depuis plusieurs années les relations entre alimentation et santé au paradis même des mangeurs de pâtes, l’Italie. Et voici ce qu’il a trouvé : les personnes qui mangent le plus de pâtes (et d’autres céréales raffinées : pain, riz) ont un risque accru de cancers de la bouche, du pharynx, de l’œsophage, du larynx, de l’estomac, du côlon, du rectum et de la thyroïde. (3)

Un régime de cheval

Comment expliquer que le ministère de la Santé nous demande de manger des aliments plus adaptés aux chevaux et sur lesquels pèsent de sérieux soupçons ?
Son principal argument est quantitatif : « Sur les 30 dernières années, la consommation d’aliments vecteurs de glucides complexes tels que le pain ou les pommes de terre a diminué régulièrement, diminution nettement ralentie aujourd’hui. » Selon le ministère, ces aliments fournissent « amidon, protéines, fibres et vitamines. »
La consommation de beurre, un autre aliment qui apporte des vitamines, a aussi diminué depuis trente ans, mais faut-il pour autant demander aux Français d’en manger plus ?
En réalité, les Français consomment aujourd’hui plus de produits céréaliers et de féculents qu’il y a dix ans.
En 2003, chaque Français a mangé 70 kg de pommes de terre, soit 10 kg de plus qu’il y a dix ans. La consommation de pain est restée stable à 60 kg par personne et par an. Les autres produits céréaliers (pâtes, riz, céréales du petit déjeuner, biscuits et autres) ont nettement progressé. Donc le Ministère de la Santé devrait se féliciter que les Français mangent plus de farineux et féculents qu’il y a dix ans.

Le PNNS a échoué

Il s’agissait d’ailleurs d’un objectif du Programme National Nutrition Santé en 2000. Selon les auteurs de ce programme, en faisant manger plus de pain et de pommes de terre aux Français, et moins de graisses, on parviendrait à « une réduction de 20 % de la prévalence du surpoids et de l’obésité (IMC > 25 kg/m) chez les adultes et une interruption de l’augmentation particulièrement élevée au cours des dernières années de la prévalence de l’obésité chez les enfants. »
Les Français ont joué le jeu : ils mangent plus de produits céréaliers et de pommes de terre, moins de graisses, et c’est le contraire qui s’est passé : ils sont de plus en plus gros ! En 2000, l’obésité touchait 10,1% des plus de 18 ans. En 2003, 11,3%. Soit 12% d’augmentation en 3 ans. Comment est-ce possible ?
Cette évolution était à prévoir. Il suffisait de regarder la situation aux Etats-Unis. En 1980, chaque Américain mangeait 400 g de glucides par jour. Pas assez, ont dit les nutritionnistes américains. On a demandé aux Américains de manger plus de pain, de pommes de terre, de céréales. Ce qu’ils ont fait. En 2000, la consommation de glucides est passée à 500 g par personne et par jour. Les deux tiers de cette augmentation proviennent d’un surcroît de céréales et pommes de terre. L’obésité, qui touchait 15% de la population en 1980 affecte aujourd’hui 30,1% de la population. « La France, m’a confié le spécialiste de l’obésité David Ludwig (Hôpital pour enfants de Boston) est en train de reproduire nos erreurs. »
Non seulement le PNNS a échoué dans son objectif, mais on peut prédire que la nouvelle campagne en faveur des pommes de terre et des pâtes va aggraver encore la tendance. Il est d'ailleurs assez inquiétant que les féculents soient présentés par le Ministère comme des aliments qui "évitent le grignotage" et "rassasient" alors que pour la plupart d'entre eux c'est tout le contraire.

Le cours de la patate

Compte tenu de ce que l’on sait des relations entre alimentation et santé, il eût été plus judicieux de raisonner qualitativement que quantitativement. Faire la promotion des bons glucides et des bonnes graisses plutôt que favoriser ou stigmatiser des groupes entiers d’aliments hétérogènes.
Pour prendre l’exemple du pain, il aurait fallu mettre en avant les qualités du pain complet et au contraire décourager la consommation de pain blanc. Ce n’est pas ce que font les publicités du Ministère de la Santé. On y décerne en effet « une mention spéciale pour un féculent qui n’exige pas de préparation : le pain sous toutes ses formes. » Le tout illustré de la photo d’une baguette de pain blanc.
L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) indique qu’il a informé les professionnels de santé par e-mail du lancement de cette campagne. Un e-mail qui «les incitera à consulter notre site pour y découvrir les campagnes sur les glucides menées auprès du Grand Public, mais également la rubrique spécifique aux recommandations glucides ».
Si j’étais un médecin, je me méfierais. Je me souviendrais que les autorités sanitaires apportaient encore il y a quelques mois et avec en apparence la même rigueur, tout leur soutien à un médicament comme le Vioxx.
Avant de conseiller à mes patients de manger plus de pommes de terre, de pain blanc et de pâtes comme le voudrait l’INPES, je pense que je consulterais les études expérimentales, épidémiologiques et cliniques qui incriminent ces aliments dans une longue suite de maladies comme le cancer du côlon (4) ou l’accident vasculaire cérébral (5), études que l’INPES a opportunément oublié de publier sur son site.
Si j’étais médecin, je me dirais que le rôle des autorités sanitaires n’est pas de soutenir la consommation et les cours des matières agricoles produites dans notre pays mais de tenir un discours de vérité sur les facteurs de bonne santé. Jusqu’à preuve du contraire, ni les pommes de terre, ni la baguette, ni les pâtes n’en font partie.

(1) Liu S, Willett WC. Dietary glycemic load and atherothrombotic risk. Curr Atheroscler Rep. 2002 Nov;4(6):454-61. Review.

(2) Willett W, Manson J, Liu S. Glycemic index, glycemic load, and risk of type 2 diabetes. Am J Clin Nutr. 2002 Jul;76(1):274S-80S. Review.

(3) Chatenoud L, La Vecchia C, Franceschi S, Tavani A, Jacobs DR Jr, Parpinel MT, Soler M, Negri E. Refined-cereal intake and risk of selected cancers in italy. Am J Clin Nutr. 1999 Dec;70(6):1107-10.

(4) Michaud DS, Fuchs CS, Liu S, Willett WC, Colditz GA, Giovannucci E. Dietary glycemic load, carbohydrate, sugar, and colorectal cancer risk in men and women. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2005 Jan;14(1):138-47.

(5) Oh K, Hu FB, Cho E, Rexrode KM, Stampfer MJ, Manson JE, Liu S, Willett WC. : Carbohydrate intake, glycemic index, glycemic load, and dietary fiber in relation to risk of stroke in women.
Am J Epidemiol. 2005 Jan 15;161(2):161-9.

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