Mon témoignage sur l'objectivité du "Monde"

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 02/05/2006 Mis à jour le 17/02/2017
Dans leur livre sur " La face cachée du Monde " (Fayard), Pierre Péan et Philippe Cohen écornent l'image d'intégrité, d'objectivité et d'indépendance qui est attachée à ce journal. Sur ce débat, voici un témoignage qui ne figure pas dans le livre.

24 Février 2003

Le 23 janvier 2001, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa, Maisons-Alfort) annonce par la voix de son directeur, Martin Hirsch, que la créatine, une substance extraite de la viande et utilisée par certains sportifs serait " cancérogène. " Cette information est issue d'un " rapport d'experts " de l'Afssa. Elle est reprise, un peu rapidement on va le voir, par l'ensemble de la presse. Ainsi, le 25 Janvier 2001, le journal " Le Monde " titre : "L'Afssa met en garde contre les risques cancérigènes de la créatine."

Un agent anti-cancer prometteur

Pendant que " Le Monde " relaie les arguements de l'Afssa, " Sciences et Avenir " et votre serviteur enquêtent. Pourquoi ? Parce que nous suivons les études sur la créatine depuis des années et que l'idée que cette substance est cancérogène nous paraît farfelue. Pendant trois semaines, nous allons interroger les plus grands spécialistes mondiaux de la créatine. Et voici ce que nous allons découvrir. Premièrement, il n'existe absolument aucune preuve que la créatine est cancérogène. Au contraire, il s'agit d'un " agent anti-cancer " prometteur ! Deuxièmement, aucun des experts de la créatine n'a été consulté par l'Afssa, qui a préféré confier la rédaction de son rapport à un médecin du sport qui n'a jamais conduit la moindre étude sur le sujet, mais qui est depuis des années hostile à l'utilisation de ce complément nutritionnel. Troisièmement, tous les chercheurs sont unanimes à dénoncer un rapport " partial ", " tendancieux ", " non-scientifique ".
Il apparaît en fait que l'Afssa cherche, par ce rapport, à donner des arguments à la position de l'administration française et de la ministre des sports Marie-George Buffet engagés dans une croisade un peu hallucinée contre tout ce qui évoque l'aide ergogénique au sportif.

Haro sur la créatine

Notre enquête paraît dans le numéro de mars de Sciences et Avenir. Accompagnée des arguments des plus grands chercheurs, elle met directement en cause la compétence et l'objectivité de l'Afssa. A l'Agence, son directeur Martin Hirsch entre dans une colère noire. Il lui faut répondre, mais comment ?
Très curieusement, cette réponse empruntera les colonnes du journal " Le Monde ", ce qui en dit long sur les relations qu'entretient ce journal avec le pouvoir. Dans son édition du 25 mars, sous le titre " Haro sur la créatine " ce quotidien consacre une page entière au dossier. Il rappelle que " le mensuel Sciences et Avenir [a qualifié] l'Afssa d'agence étatique et [l'a accusée] d'"incompétence " et de " désinformation ". Mais impossible au lecteur du Monde d'en savoir plus sur le fond du dossier. Le journal n'en dit pas un mot, pas plus qu'il ne mentionne la mobilisation des chercheurs, ni leurs arguments scientifiques. A la place, les lecteurs de ce grand monument d'objectivité qu'est " Le Monde " n'ont droit qu'aux propos de Martin Hirsch et de l'auteur du rapport, le Dr Gilbert Pérès. Des propos qui, on va le voir, volent haut.

Des poursuites contre Sciences et Avenir

Si le rapport dont il est l'auteur est attaqué par des chercheurs, explique très sérieusement le Dr Pérès, ce n'est pas parce qu'il aurait mal conduit son travail d'évaluation, mais parce que les " scientifiques [qui me critiquent] cherchent à promouvoir " la créatine.
Si Sciences et Avenir s'en prend ainsi à l'Afssa, indique très sérieusement Martin Hirsch, ce n'est pas parce que l'agence a publié un rapport bâclé mais parce que ce journal trouve intérêt à la vente de créatine ! Et de pointer, pour preuve, une publicité parue dans Sciences et Avenir pour une lettre d'information qui serait elle-même liée à un site Internet, lequel proposerait parmi une foultitude de compléments alimentaires une boîte de… créatine !
Plus grotesque encore : le directeur général de l'Afssa va jusqu'à réclamer dans " Le Monde " " des poursuites pénales " à l'encontre de " Sciences et Avenir ". Et pourquoi pas le bagne ?

Et ensuite ?

Epilogue de cette histoire :


1) L'Afssa a discrètement remisé son rapport sur la créatine.
2) Toutes les études publiées depuis confirment les termes de l'enquête publiée dans Sciences et Avenir
3) Dans un article récent sur la Coupe de l'America, " Le Monde " continue d'assimiler la créatine a un dopant et d'affirmer que la créatine est " interdite " en France, ce qui est totalement faux.

Je suis personnellement troublé qu'un grand journal, disposant de nombreux moyens d'investigation et de journalistes de talent puisse se transformer, dans le domaine de la santé, en caisse de résonance des autorités sanitaires. Jusqu'à demander la peau d'un confrère qui, lui, est connu pour le sérieux de ses enquêtes (voir l'amiante). Il est vrai que reproduire des communiqués de presse, c'est tellement plus facile et tellement plus confortable.

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