Christian Rémésy : "Trois jours autour de la nutrition"

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 30/09/2008 Mis à jour le 15/02/2017
Comme chaque année depuis 1999, l’université d’été de la nutrition organisée par le Centre de Recherche en Nutrition Humaine d’Auvergne (CNRH)  a accueilli une vingtaine de scientifiques en lien avec la nutrition pour faire le point sur les recherches en cours et exposer de nouvelles pistes sur le sujet. Christian Rémésy fait partie des principaux organisateurs de ces rencontres et revient avec nous sur les apports de l’édition 2008, les 17,18 et 19 septembre.

Pouvez-vous nous donner un aperçu de l’université d’été 2008 qui vient de se terminer ?

 

Pour cette nouvelle édition, nous avons suivi l'approche la plus large et intégrée possible, comme pour les années précédentes. Nous avons commencé par parler des besoins nutritionnels puis la deuxième journée a été consacrée à la gestion de la chaîne alimentaire, et nous avons terminé en abordant des aspects plus spécifiques de la nutrition en lien avec la santé.

Au sujet des besoins nutritionnels, les débats ont tourné autour des questions suivantes : faut-il ou non manger beaucoup de protéines ? Les protéines végétales ne devraient-elles pas être favorisées par rapport aux protéines animales ?

La deuxième journée avait un caractère plus original vu qu’elle traitait du lien entre alimentation, environnement et santé. La chaîne alimentaire génère 30% des gaz à effets de serre (GES) et oblige la société à se pencher sur l’impact des choix alimentaires : la production de certaines viandes a un coût écologique qui s’avère considérable.

Vous pouvez détailler ?

 

 Le coût écologique de la production de viande est extrêmement différent d’un produit à l’autre. C'est la viande de bovins consommant des céréales et des tourteaux de soja qui a le coût le plus élevé. Le poulet d'élevage a un coût plus faible, mais par ailleurs nous devons prendre en compte la dimension éthique de nos productions, jusqu’ici trop négligée, avec l’élevage intensif des poulets notamment. Il faudrait en tout cas sous divers angles encourager la consommation de productions locales.

Il est important de noter que nous nous sommes longtemps cantonnés au seul discours nutritionnel, aujourd’hui ce dernier se double de recommandations prenant en compte l’aspect environnemental, en prônant la réduction des gaz à effets de serre ou de diverses pollutions. Il est d’ailleurs possible que ce nouvel aspect de la question alimentaire apparaisse plus clair et incitatif aux yeux du public que les recommandations centrées sur la santé, où règne une certaine cacophonie. Les divergences de ces recommandations tiennent surtout au rôle joué par les lobbies du secteur agroalimentaires, mais aussi à des positions que je juge excessives, comme celles de Thierry Souccar sur les produits laitiers. Je suis pour un juste compromis, et je pense que la dimension écologique va contribuer à éclaircir la confusion actuelle en tranchant certains débats, comme celle de la place de la viande dans nos habitudes alimentaires par exemple.

Pouvez-vous nous parler maintenant de la dernière journée de l’université ?

 

Nous nous sommes d’abord penchés sur l’étude de la digestion microbienne, sur le rôle des microbiotes dans l’ensemble de l’intestin et sur les fibres en particulier. Les travaux présentés soulignent l’importance d’avoir une flore intestinale de bonne qualité, tout en montrant que cette dernière a un pouvoir d’adaptation important, qui la rend capable de retrouver son état d’origine dans la plupart des cas malgré les traitements antibiotiques ou autres agressions qu’elle peut subir.

Pour ce qui concerne les fibres, de nouveaux éléments viennent s’ajouter aux qualités qu’on leur connaît, elles peuvent contribuer à réduire une inflammation de basse intensité dans l’organisme, ce qui agirait sur le tissu adipeux et pourrait contribuer à diminuer les risques de surpoids. Ceci laisse apparaître que les problèmes d’obésité peuvent être en lien avec l’équilibre d’effets métaboliques lointains auquel participent les fermentations intestinales et la santé digestive en général.

Cette journée a aussi souligné l’importance de l’efficacité de la barrière intestinale qui dépend également de nos choix alimentaires, tout comme les maladies respiratoires que l’on a plutôt l’habitude de classer uniquement dans les pathologies d’organe liées à différents types de pollution.

Pouvez aussi nous parler du concept d’ « exposition alimentaire » que vous avez présenté ? 

 

L’environnement, c’est-à-dire les linéaires des supermarchés auxquels sont exposés les consommateurs par exemple, influence fatalement les achats de ces derniers. Si cet environnement est déséquilibré au départ, on pourra avoir autant de bonnes recommandations et de débats de nutrition que l’on voudra, cela n’aura aucun effet significatif.

Les industriels ont pourtant tendance à clamer leur innocence sur le sujet, en rejetant la faute sur les choix des consommateurs qu’il faudrait par conséquent mieux éduquer...

C’est pourtant bien de leur faute ! Pour moi la grande distribution et les industriels devraient pouvoir continuer à vendre leurs produits, mais à condition qu’ils présentent pour ceux qui posent problème un avertissement comme cela s’est fait pour les paquets de cigarette. Pour le moment l’industrie agroalimentaire entend bien garder l’usage d’allégations uniquement positives, même pour des produits douteux.

Quelle est la position des pouvoirs publics sur ce point ?

 

Sans vouloir entrer trop dans la polémique, les pouvoirs publics accompagnent largement les vœux des industriels et n’ont pas l’intention d’aller à l’encontre des lobbies du secteur agroalimentaire. Pourtant il ne faut pas raconter que l’exposition alimentaire n’a pas d’influence sur les gens ! La grande distribution devrait proposer des rayons en accord avec la pyramide alimentaire et les recommandations officielles, avec plus de fruits et de légumes et en laissant de côté les produits les plus déséquilibrés.

Une des solutions pour améliorer la qualité de l'offre serait de faire appel au système de bonus-malus, il en a été question pour d’autres produits récemment, ou d'utiliser des signes clairs comme des feux rouges apposés sur les produits qui posent problème, comme cela se fait dans d’autres pays.

Est-ce que des changements vont dans le sens d’une meilleure prise en compte de l’exposition alimentaire actuellement ?

 

Pas pour le moment, la société française a acquis une conscience en matière d’écologie, mais elle ne fait pas encore le lien avec la question alimentaire. Ce n’est pas encore une affaire politique, ni la gauche ni la droite n’y font allusion. On campe donc sur des discours décalés... Mais à quoi servent donc tous les efforts d’éducation nutritionnelle adressés au public si on laisse de côté l’agriculture, l’industrie agroalimentaire, et le secteur de la grande distribution, soit toute la partie en amont de la chaîne alimentaire ? Cette négligence anéantit tout le reste...

Il a aussi été question d’index glycémique lors de cette université d’été, pouvez revenir là-dessus ?

 

L’index glycémique (IG) peut avoir des intérêts, mais ne parler que d’IG sans parler de densité nutritionnelle me paraît un peu boiteux, c’est typiquement l’histoire du biscuit à IG bas mais source de calories vides par ailleurs... Il me semble donc important d’analyser un aliment dans se globalité, et de ne pas se contenter que de l’IG à la manière de Montignac par exemple.

Dernière question, pouvez-vous nous dire où vous en êtes dans vos efforts pour faire adopter un pain moins raffiné par les professionnels du secteur ?

 

La boulangerie française ne se porte pas très bien en matière syndicale, il n’y a pas assez d’implication pour faire évoluer les pratiques, même si cela dépend tout de même des régions. Les fédérations ne sont pas vraiment enthousiastes et la boulangerie ne réagit pas franchement sur la question. Les meuniers quant à eux veulent garder leur contrôle de la filière. Ils seraient prêts à s’orienter davantage vers de la farine T80, mais à condition de pouvoir en faire une marque à part, de type « bannette » ou « estivale »... Mais de là à favoriser des politiques de prix qui pourraient vraiment avoir des effets incitatifs... Je suis malgré tout content d’avoir un peu fait bouger les lignes...

Vous pouvez retrouver les archives en libre accès des universités d’été précédentes sur http://www2.clermont.inra.fr/univete/ 

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