Comment les perturbateurs endocriniens diminuent la fertilité masculine

Par Juliette Pouyat - Journaliste scientifique Publié le 19/06/2014 Mis à jour le 10/03/2017
Les perturbateurs endocriniens diminuent la fertilité masculine en agissant sur certaines modifications physiologiques des spermatozoïdes essentielles à la reproduction

La fertilité masculine baisse dans tous les pays occidentaux, pour des raisons qui restent obscures. En cause : les perturbateurs endocriniens, des substances chimiques omniprésentes dans les produits alimentaires, les produits de beauté, les produits ménagers…. Mais peut-être aussi des aliments.

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C’est parce qu’ils interfèrent avec les fonctions du système hormonal –en mimant, bloquant ou modifiant l’action d’une hormone- que les perturbateurs endocriniens perturbent le fonctionnement de notre organisme. Ils ont notamment été associés à l’infertilité et à la demande croissante de procréation assistée. Une nouvelle étude parue dans EMBO reports révèle que des perturbateurs endocriniens structurellement différents interfèrent avec certaines fonctions physiologiques des spermatozoïdes notamment en impactant la concentration en ions Ca2+, par l’activation du canal cationique du sperme (CatSper). Ces modifications diminuent la capacité de fécondation des ovules par les spermatozoïdes.

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Le canal CatSper, pour Cation channel of Sperm (Canal Cationique du Sperme) est situé au niveau du flagelle du spermatozoïde, il permet de contrôler la concentration intracellulaire en Ca2+ et la motilité (aptitude à effectuer des mouvements spontanés ou réactionnels). L’activation du canal CatSper est indispensable à la fécondation car l’augmentation de la concentration en Ca2+ permet au flagelle du spermatozoïde de bouger et au spermatozoïde d’atteindre sa cible : l’ovule.

L’activation du canal CatSper des spermatozoïdes se fait par deux hormones : la progestérone et les prostaglandines libérées dans l’oviducte (conduit qui achemine les gamètes femelles produits par l’ovaire). L‘influx de Ca2+ induit par ces deux hormones contrôlerait certaines modifications physiologiques des spermatozoïdes essentielles pour qu’ils puissent pénétrer la membrane cellulaire de l’ovule, notamment l’hyperactivation des spermatozoïdes qui se traduit par une accélération des battements du flagelle.

Dans cette étude, les chercheurs ont étudié l’action de 96 perturbateurs endocriniens omniprésents dans les produits de consommation courante sur le sperme humain. Ils ont suivi la concentration en Ca2+ dans les spermatozoïdes. L’injection de progestérone, utilisée comme contrôle, provoque une augmentation rapide et transitoire de la concentration en Ca2+ suivie d’une lente élévation soutenue. L’effet des 96 perturbateurs endocriniens (benzoate, phtalates, benzophénones,composés organo-chlorés….) sur la concentration en Ca2+ a été testé à plusieurs concentrations. Les résultats montrent qu’environ 30% des perturbateurs endocriniens provoquent une modification de la concentration en Ca2+. Par exemple le bisphénol A n’a pas d’effet sur la concentration en Ca2+ alors que le 4-méthylbenzylidène camphre, un filtre UV, provoque une augmentation de la concentration en Ca2+.

Les chercheurs ont ensuite fait des analyses plus précises sur 11 perturbateurs endocriniens et ont montré que ces perturbateurs endocriniens structurellement différents activaient directement le canal CatSper et entraient pour cela en compétition avec la progestérone et les prostaglandines. Les spermatozoïdes seraient alors « désensibilisés » aux ligands physiologiques.

Les auteurs indiquent que, selon leurs résultats et des données rapportées précédemment, les perturbateurs endocriniens agissent à des concentrations "physiologiques".

Les changements dans la concentration en Ca2+ contrôlent le déplacement et la progression des spermatozoïdes dans les voies génitales féminines grâce notamment à des processus physiologiques qui s’enchainent et qui permettent au spermatozoïde de féconder l’ovule. Les perturbateurs endocriniens qui entrent en compétition avec les hormones pourraient déclencher ces processus physiologiques au mauvais endroit et au mauvais moment, modifier la progression des spermatozoïdes et donc sa capacité de fécondation, ce qui expliquerait pourquoi ils affectent la fertilité.

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Source

Schiffer C, Müller A, Egeberg DL, Alvarez L, Brenker C, Rehfeld A, Frederiksen H, Wäschle B, Kaupp UB, Balbach M, Wachten D, Skakkebaek NE, Almstrup K, Strünker T. Direct action of endocrine disrupting chemicals on human sperm. EMBO Rep. 2014 May 12. pii: e201438869.

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