L’implication de l’industrie agro-alimentaire dans la recherche biaise les études

Par Juliette Pouyat - Journaliste scientifique Publié le 21/12/2020 Mis à jour le 28/12/2020
Actualité

L’industrie agro-alimentaire est impliquée dans plus d’une étude sur 10 qui paraît dans les principales revues de nutrition. Avec, souvent, un impact sur les résultats au détriment de la santé publique.  

Pourquoi c’est important

La malbouffe est associée à un risque accru de maladies chroniques (diabète de type 2, cancer, maladies cardiovasculaires…) et de décès prématuré. Elle se caractérise entre autres par la consommation de produits ultra-transformés qui sont fabriqués et commercialisés par de grandes entreprises alimentaires. L’industrie agro-alimentaire génère des profits importants, qui reposent sur un marketing agressif mais également sur des stratégies politiques qui lui permettent de créer des environnements réglementaires la favorisant.

La recherche dans le domaine de la nutrition est essentielle pour promouvoir des comportements alimentaires sains. L’industrie agro-alimentaire peut choisir de s’y impliquer (financement, participation de salariés de l’industrie aux travaux de recherche…) pour aider à acquérir de nouvelles connaissances.  Cependant, cette implication pose question, notamment en ce qui concerne la nature des études menées, le programme de recherche en nutrition et les résultats des études individuelles. Cette participation de l’industrie à la recherche peut en effet biaiser les résultats et servir les intérêts de l’industrie au détriment de la santé publique. Des chercheurs ont souhaité en savoir un peu plus sur ces biais possibles. Leurs résultats viennent d’être publiés dans la revue PLOS One.

L’étude

Pour cette étude, 1461 articles publiés en 2018 dans les 10 principales revues de nutrition et diététique (Advances in Nutrition, Clinical Nutrition, International Journal of Behavioural Nutrition and Physical Activity, International Journal of Obesity, Nutrition Research Reviews, Nutrition Reviews, Obesity, Paediatric Obesity, The American Journal of Clinical Nutrition et The Journal of Nutrition) ont été analysés. Les auteurs de l’étude ont évalué pour chaque article les liens potentiels avec l’industrie - sous forme de financement ou d’auteur(s) affilié(s) à l’industrie alimentaire - et ils ont analysé si cela servait les intérêts des industriels.

Les résultats indiquent que 13,4% des articles analysés font état d’un lien avec l’industrie agro-alimentaire.  Certaines revues ont une plus grande proportion d’articles concernés par une participation de l’industrie. Par rapport aux autres études, celles qui ont un lien avec l'industrie sont près de six fois plus susceptibles de rapporter des résultats favorables aux intérêts de l'industrie agro-alimentaire (55,6% contre 9,7%). Ce sont les fabricants d’aliments transformés qui sont les plus présents dans les travaux de recherche, suivis par l’industrie des compléments alimentaires. Ces résultats viennent s’ajouter aux preuves déjà existantes que l’implication de l’industrie agro-alimentaire dans la recherche peut biaiser d’une part les programmes de recherche et d’autre part les conclusions des études.

Dans bien des cas, les intérêts financiers des entreprises agro-alimentaires ne sont pas servis par les recommandations nutritionnelles qui découlent des travaux de recherche et qui visent à améliorer la santé publique. L’implication des entreprises dans la recherche est une source de préoccupations sur bien des points mais surtout parce qu’elle leur permet de développer des programmes de recherche qui servent leurs intérêts et leur fournissent des arguments scientifiques pour influencer la politique de santé publique. Il existe plusieurs exemples dans lesquels la recherche financée par l'industrie alimentaire favorise des produits particuliers ou détourne l'attention d'un problème de santé publique. C’est le cas avec l’industrie des boissons sucrées.

Quelles mesures adopter ?

Il semble évident que l’implication de l’industrie dans la recherche peut biaiser les résultats des études. Il est donc essentiel d’augmenter l’intégrité des résultats publiés dans des revues de nutrition à comité de lecture et de veiller à ce que la recherche axée sur des problèmes de santé publique soit priorisée.

Une des options, selon les chercheurs, pourrait être de limiter le financement de l’industrie à une réserve d’argent indépendante (ou contrôlée par l'Etat), dans le but de soutenir un programme de recherche développé en toute indépendance avec des processus stricts pour garantir l’absence d’influence industrielle. Un modèle similaire existe déjà dans d’autres pays pour les industries pharmaceutique, du tabac ou encore de l’alcool.

Les instituts de recherche devraient également disposer de lignes directrices et de politiques strictes, régulièrement mises à jour et transparentes pour réglementer et rendre compte de leur engagement avec l'industrie.

Les revues pourraient également adopter des politiques détaillées concernant les articles avec une implication déclarée de l'industrie alimentaire : par exemple, limiter le nombre de ce type d’articles, les regrouper dans une section ou encore, pour des domaines de recherche spécifique, décourager l’implication de l’industrie agro-alimentaire.

Enfin, les liens entre les éditeurs de revue et l’industrie devraient être clairement mentionnés.

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