Lettre ouverte à ceux qui maigrissent sur M6

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 02/05/2006 Mis à jour le 17/02/2017
Février 2003, Jean-Michel Cohen et d'autres gourous des régimes font maigrir des volontaires sur M6Ce qui inspire quelques commentaires à Thierry Souccar
17 Février 2003

Chère Emmanuelle,
Chère Isabelle,
Chère Natasha,
Chère Stéphanie,
Chère Sylvie,
Cher Eric,

Vous avez confié pour six semaines vos kilos en trop à six stratèges de la guerre anti-gras sous l'œil curieux des caméras d'une chaîne de télévision. Rassurez-vous, vos rondeurs sont en de bonnes mains. Pour une raison simple, bien connue des cliniciens : à court terme, tous les régimes sont efficaces. A une condition : être " prescrits " par un " expert ".

Ces Clausewitz du bourrelet, il en éclot chaque année un si grand nombre que les Américains ont fini par leur trouver un nom. Ils les appellent diet gurus, ou gourous des régimes. Attention : n'est pas diet guru qui veut. En France, mieux vaut être médecin et de ce point de vue, le casting de M6 est réussi. Le titre de docteur, c'est sans doute ce qui a manqué à Demis Roussos au début des années 1980 et à Paul-Loup Sulitzer dix ans plus tard. Avec comme autre handicap, celui de n'offrir que des solutions bien raisonnables. Car voici une deuxième condition pour trouver le succès : proposer n'importe quel régime à condition qu'il soit original, voire farfelu. Horace Fletcher en 1903 est entré dans l'histoire en préconisant une méthode révolutionnaire, qui consistait à mâcher chaque bouchée de nourriture pas moins de 100 fois avant d'être avalée. Le Dr John Harvey Kellogg, l'inventeur des corn flakes, fit de sa clinique de Battle Creek (Michigan) un lieu incontournable pour la jet-set. Outre les céréales, Kellogg reprenait la mastication, y ajoutant les bains glacées en piscine électrifiée, les nuits dans des draps froids et humides et des lavements quotidiens.

En 1961, le Dr Herman Taller connut un succès immédiat avec un régime bourré de graisses. Taller trouvait les graisses végétales particulièrement intéressantes, parce que, écrivait-il, " elles ramollissent les graisses corporelles et permettent de les évacuer. " Mais en 1981, Judy Mazel fit un carton avec le " régime de Beverly Hills ". Il consistait à confier ses capitons à des enzymes de fruits tropicaux. C'est ainsi qu'il faut le premier jour manger des ananas le matin et des bananes au coucher. Les deuxième et troisième jour, des papayes exclusivement. Et le quatrième jour des pastèques. 
Du classique, si on le compare au régime imaginé par Margaret Danbrot : soupe au choux pendant sept jours, au terme desquels, selon son auteur " le régime doit être impérativement arrêté car il est aberrant sur le plan nutritionnel ". Ou à celui de Marilu Henner, qui conseille de choisir les aliments " selon leur degré de yin et de yang, les énergies cosmiques qui gouvernent le monde ". Pamela Grout, elle, jurait de faire fondre ses lectrices " par la respiration profonde. " En 1996, le Dr Peter d'Amato fit sensation avec Eat right for your type, basé sur les groupes sanguins. Vous êtes de type O ? Mangez des viandes. Type A ? Evitez les viandes. Type B ? Mangez de tout, sauf du poulet, des coquillages et du blé. Type AB ? C'est compliqué, mieux vaut acheter le livre. Les six médecins retenus pour l'émission de M6 sont-ils promis à une belle carrière de diet guru ? On peut en douter.

Le Dr Jean-Michel Cohen - qui vous suit, Cher Eric - aura tout tenté pour y parvenir, avec la parution le 31 janvier d'un nouveau livre (1). Mais son programme, comme celui des cinq autres, arrache des bâillements : régimes hypocaloriques mille fois rebattus, diète protéinée jusqu'à l'écoeurement. Même le Dr Gilbert Boublil avec son régime à base de viandes et de protéines animales n'est qu'un pâle écho au programme du Dr Irwin Stillman qui, lui, prônait crânement en 1967 un " régime de loup ". 
Mais peu importe après tout, puisqu'au terme des six semaines que dure l'émission vous aurez tous perdu du poids. C'est la règle, même si les kilos perdus le sont souvent sous forme de glycogène (carburant des muscles), d'eau, de masse sèche (muscles, os) et pas toujours sous forme de graisses. 
Il existe une autre règle, hélas, inscrite dans les milliers d'études cliniques conduites sur le sujet : après 18 mois, 96 % des candidats à un régime qui ne s'accompagne d'aucun programme d'exercice physique ont repris tous leurs kilos. De quoi dès à présent programmer une nouvelle émission, avec six nouveaux gourous des régimes. Sur TF1, cette fois ?

(1) Au bonheur de maigrir, Flammarion (Paris).

 

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