Françoise Viennot : "Changer le regard sur le polyhandicap"

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 19/04/2006 Mis à jour le 21/11/2017
Françoise Viennot a un enfant polyhandicapé. Au sein de son association, Handy, Rare et Poly, elle se bat pour que ces enfants soient reconnus. « Les personnes polyhandicapées ne doivent plus constituer une "population invisible", elles ont droit, dans la mesure de leurs possibilités; de vivre ouvertement dans les lieux de vie collectifs. » Son combat consiste entre autres à faire changer le regard des autres, un regard parfois difficile à supporter en tant que parents d’enfants « différents ». Ecrit avec Sylvie Evrard, son second livre, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le Polyhandicap sans jamais oser le demander est sorti en 2004 (Edition Charles Corlet). LaNutrition.fr revient sur son combat quotidien. Interview.Pour en savoir plus sur le polyhandicap, vous pouvez contacter l’association Handy, Rare et Poly : 9bis rue de st germain - 14000 CAEN

Qu’est-ce que le polyhandicap ?

Le polyhandicap se caractérise par l'existence d'un handicap grave à expressions multiples. Souvent d'origine centrale (le cerveau), il associe déficience motrice et retard intellectuel, moyen ou sévère. Le polyhandicap entraîne une restriction extrême de l'autonomie et des possibilités de perception (déficience sensorielle), d'expression et de relation. Mais être polyhandicapé n'est pas synonyme d'absence d'émotions, de sensibilité, d'appétence pour la vie.

Son origine est-elle génétique?

Le polyhandicap n'est pas nécessairement dû à un ennui pendant la grossesse, à un problème génétique ou à un accident à la naissance. Nous avons au sein de l’association des enfants polyhandicapés suite à des réanimations, des naissances prématurées, des « morts subites récupérés »…Mais il existe aussi des enfants atteints de syndromes qui mènent au polyhandicap.

Combien de personnes sont polyhandicapées en France ?

Le terme polyhandicapé (on entend parfois parler de « légumes » ) existe depuis 1989 mais il est très difficile de recenser cette population. C’est une demande que nous avons faite récemment mais les DDASS n’ont pas les outils nécessaires pour trouver ces chiffres. Pour l’instant les classifications ne sont pas toujours bien faites. Nous avons pu constater que certains de nos enfants étaient « classés » à Handicap moteur…

Cependant cette population, grâce aux progrès de la médecine, ne devrait plus exister. Or , les cas de polyhandicap ne cessent d’augmenter. Certes le dépistage anténatal (avec l’interruption médicale de grossesse) a fait diminuer le nombre de naissances d’enfants atteints de certaines pathologies. Mais ce système a ses limites. Tous les handicaps ne sont pas décelables au cours de la grossesse. Il naît encore un nombre important d’enfants lourdement handicapés, pour lesquels la grossesse a été normale. Parfois les signes sont insuffisants pour poser un diagnostic certain.

De plus, les progrès de la réanimation, s’ils sauvent de la mort, ont parfois des conséquences lourdes sur la qualité de la vie. Les enfants rescapés d’accident à la naissance, de noyades, de grande prématurité, d’accidents de la route souffrent parfois de séquelles très importantes. Ils constituent d’ailleurs une grande partie des personnes polyhandicapées.

Enfin, en maintenant ou en améliorant leur santé, la médecine augmente l’espérance de vie des personnes polyhandicapées. Le pourcentage d'enfants atteints simultanément de plusieurs handicaps ne cesse de s'accroître. La durée de vie moyenne des personnes polyhandicapées était inférieure à 10 ans au début des années 30. Elle est de plus de 50 ans aujourd’hui.

Comment les médecins gérent-ils le polyhandicap ?

Le corps médical est à l'image de la société et notre société accepte difficilement le polyhandicap. Nombreux sont les médecins qui n’ont pas été sensibilisés au handicap et notamment à son annonce aux familles. La majorité du corps médical n'a jamais été préparée à prendre en charge les souffrances des personnes concernées.

Lorsque son enfant est polyhandicapé, on apprend les « annonces » successives au cours des premières années de la vie… Les médecins sont souvent complètement démunis et les parents, eux, passent leur temps à voir des spécialistes : un pour le problème moteur, un pour la vue, un pour l’audition. Chaque spécialiste voit sa « spécialité ».

Qu’est-ce qui est le plus dur à gérer quand on a un enfant polyhandicapé ?

Tout ! Le devoir d’un père et d’une mère est d’accompagner son enfant vers un devenir. Dans un cas comme le nôtre, l’action est la même mais les données sont différentes. Son devenir est différent parce que cet enfant n’a pas d’autonomie, et qu’il ne peut s’ « auto-stimuler ».

La société a du mal à prendre en charge ces personnes, ce qui est très difficile à supporter. Nous, parents, nous devons éviter la solitude des familles et aider à trouver au plus vite des modes de stimulations pour cet enfant..

Ce n'est pas facile de s'afficher comme parents d’enfant polyhandicapé. Cela nous colle d'emblée une étiquette. Tout est difficile à gérer. Il faut accepter de se montrer tels que nous sommes, sans en avoir honte ni s'en trouver limité. Plus la société aura accepté la place du polyhandicapé, et plus les professionnels suivront facilement.

On parle souvent d’enfants polyhandicapés. Qu’en est-il des adultes ?

Actuellement, la personne polyhandicapée n’est reconnue que jusqu'à l'âge de vingt ans. L’adulte polyhandicapé, à ce jour, n’a aucune existence. Il devient comme par « miracle » handicapé, ce qui l'exclut du bénéfice de toute prise en charge spécifique en rapport avec ses pathologies.

La prolongation des annexes 24 ter de la loi de 1975 apportera à l’adulte polyhandicapé non seulement la preuve de son existence mais, également sa reconnaissance. Ce qui signifiera beaucoup plus pour ces êtres humains à part entière :

Comment réagissent les gens face au polyhandicap ?

On sait que la méconnaissance crée l’exclusion… Les gens ne savent pas, ils ont peur. Je me souviens d’un enfant me demandant si cela était contagieux. C’est parfois très dur pour nous, parents, frères et sœurs. C’est pour cela que nous faisons un gros travail de sensibilisation à l’existence de nos enfants. Mais nous savons parfaitement qu’ils ne pourront jamais aller sur un plateau de télévision et dire : « n’ayez pas peur, je suis capable de ressentir des tas de choses ».

Quel est le but principal de votre second livre ?

Faire changer le regard, les a priori… Pour que la société prenne conscience de l’existence de ces enfants, de leurs besoins. On tente de faire connaître le monde du polyhandicap. En espérant que cette connaissance atténuera l’indifférence.

Nous restons persuadés qu’il faut toujours sensibiliser l’entourage proche, les jeunes, les collectivités, les politiques pour donner à nos enfants la place qu’ils méritent au sein de la société.

Il n’est pas évident d’illustrer de façon humoristique un sujet sensible comme le polyhandicap. Pourquoi avoir confié cette délicate mission à Emmanuel Chaunut ?

J’ai pu admirer le travail de Chaunut lors des concours de plaidoiries au mémorial de Caen. Son regard, sa sensibilité, ces dessins faisaient passer de sacrés messages. J’ai osé lui demander s’il acceptait d’être présent à notre congrès organisé en juin 2003 et de réagir en fonction des interventions. Là aussi, des messages sont passés. Nous avons ensuite eu l’idée, avec Chaunu et Charles Corlet, de faire ce livre. Chaunut, lui, vous dirait qu’il n’y a pas de hasard dans les rencontres…

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