Il y a 4000 ans, nos ancêtres avaient de l’athérosclérose

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 13/03/2013 Mis à jour le 10/03/2017
Des plaques d'athérome ont été retrouvées dans les artères de momies datant de 4000 ans av J-C, jusqu'au dix-neuvième siècle. Thierry Souccar commente ces résultats.

Une équipe de chercheurs a examiné au scanner les artères de 137 momies couvrant 40 siècles. Ils ont découvert des signes «certains ou probables» d'athérosclérose – la présence de calcifications dans les artères  - chez un tiers de ces momies. Les résultats ont été publiés dimanche 10 mars dans le Lancet. Pour les auteurs de cette étude, l'athérosclérose pourrait affecter l'humanité depuis au moins 4000 ans.

Une étude de 2011 avait déjà trouvé des signes d’athérosclérose chez de nombreuses momies égyptiennes. Mais les auteurs de ce travail avaient avancé l’idée que l’alimentation des élites dans l’Egypte ancienne avait pu être trop riche en graisses (ils se basaient sur l’idée hélas répandue, mais pourtant fausse, selon laquelle les graisses « bouchent » les artères).

C’est dans ce contexte qu’il a été décidé d'étendre leur enquête à d'autres groupes humains, de la fin du néolithique au dix-neuvième siècle. Au total, 137 momies ont été examinées :

- 76 égyptiennes datant de 3800 ans avant J-C. à 100 ans après J-C. (agriculteurs) dont 29 avaient des signes d’athérosclérose (38%)

- 51 péruviennes de 200 à 1534 après J-C. (cultivateurs de maïs) dont 13 (25%) avaient des signes d’athérosclérose

- 5 amérindiennes de 1500 av J-C à 500 ans après J-C. (agriculteurs/cueilleurs) dont 2 (40%) avaient des signes d’athérosclérose

- 5 aléoutiennes (chasseurs/cueilleurs de l’Arctique) ayant vécu entre les années 1850 et 1900, dont 3 (60%) avaient des signes d’athérosclérose

Caleb Finch (université de Californie du Sud, Los Angeles), un bon spécialiste du vieillissement que j'ai rencontré à plusieurs reprises (je lui ai donné la parole dans Le programme de longue vie) est le co-auteur de cette étude. Selon lui, celle-ci serait la preuve que l’athérosclérose n’est pas uniquement « une maladie liée au mode de vie mais une caractéristique du vieillissement dans toutes les populations humaines.» Je ne serais pas aussi catégorique. Voici pourquoi.

D’abord, les auteurs de l’étude eux-mêmes évoquent des facteurs particuliers qui pourraient expliquer la présence de ces calcifications et qui n’ont rien à voir avec le vieillissement, comme l’exposition chronique à la fumée des feux de bois, qui agirait à la manière des cigarettes.

Les calcifications des artères relevées dans l’étude ne constituent d’ailleurs pas la preuve formelle que ces individus étaient candidats à un infarctus ou un accident vasculaire cérébral ou que leur mort est due à un problème de ce type. Comme le dit le Dr Michel de Lorgeril, « une plaque ne donne des manifestations cliniques (angine de poitrine, angor d’effort) que lorsque le rétrécissement est d’au moins 70%. » Et dans la majorité des cas, l’infarctus est dû à la formation d’un caillot de sang dans l’artère. Il est vrai, explique le Dr de Lorgeril, que ce caillot se forme surtout au niveau d’une plaque, mais il faut pour cela soit une altération de l’endothélium (la membrane qui sépare la paroi de l’artère du sang qui y circule), soit une érosion ou une ulcération de la plaque. Le premier phénomène (altération de l’endothélium) est favorisé par le tabac et la fumée en général. Le second par l’hypertension et d’autres facteurs intrinsèques à la plaque, encore mal connus. On sait cependant que les polyphénols et les acides gras oméga-3 préviennent le second phénomène (même si la plaque est formée), en la stabilisant. C’est une information importante pour la suite de l’analyse.

Ce qui m’intéresse dans cette étude, c’est de confronter ses résultats avec les concepts avancés par la médecine évolutionniste.  Celle-ci part du principe que les maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaires - et d'autres pathologies chroniques, ont largement épargné l’humanité jusqu’à une époque récente, qui commence non pas au vingtième siècle comme j’ai pu le lire ici et là, mais avec la transition agricole, au néolithique, il y a 10 à 12 000 ans.

Pour l’essentiel, on peut considérer que cette étude conforte le point de vue évolutionniste, puisque toutes les momies appartiennent à la période allant de la fin du néolithique au dix-neuvième siècle. On estime que presque tous ces hommes et ces femmes se nourrissaient en majorité d’aliments céréaliers, riches en antinutriments (acide phytique, gluten…) et en acides gras oméga-6 pro-inflammatoires, bref un régime probablement déséquilibré et carencé, qui perd d’ailleurs année après année un peu plus de son lustre auprès des chercheurs en nutrition (mais reste promu par l'industrie agro-alimentaire et les nutritionnistes qui travaillent pour elle). Mais la surprise vient de la présence de calcifications chez 3 spécimens (sur 5) des îles Aléoutiennes, en Alaska, car là on n’est plus à première vue, dans un régime de céréales à tout va, mais chez des chasseurs-cueilleurs, qui plus est, gavés d’oméga-3 ! Ceci n'a pas échappé aux auteurs de l'étude, qui en tirent argument pour laisser entendre que l'athérosclérose serait une sorte de fatalité humaine, quels que soient le régime et le mode de vie.

Mais voilà ! Il faut être prudent lorsqu’on tente un rapprochement entre la présence de ces calcifications et le régime traditionnel de chasseur-cueilleur des Unangans (c’est le nom de cette peuplade). En fait, les Unangans analysés dans l’étude n’avaient probablement qu’un lien bien lointain et bien ténu avec de vrais chasseurs-cueilleurs. En effet, les Russes ont établi des comptoirs dans la région dès 1759. En moins de dix ans, la population autochtone a été quasiment asservie et contrainte de chasser pour le compte des sociétés russes. A partir de 1800, les Unangans deviennent progressivement dépendants des comptoirs russes, abandonnent leurs activités traditionnelles pour approvisionner les Russes notamment en peaux de castors. Au moment où une mission orthodoxe russe est fondée dans la région, en 1825, les Unangans tirent déjà une grande partie de leurs ressources alimentaires des échanges avec les nouveaux arrivants : farine, sucre, sel prennent peu à peu la place des aliments traditionnels (poisson, mammifères marins, baies). Ajoutons qu’entre 1836 et 1840, les Unangans sont décimés par des épidémies de rubéole, de varicelle, de coqueluche comme l’ont été ou le sont leurs cousins du sud du continent (or une hypothèse veut que les infections contribuent à la formation de plaque). A partir de 1850, soit la date des spécimens les plus anciens analysés dans l’étude, il ne reste que 200 à 400 Unangans, probablement en mauvaise santé, bien éloignés en tous cas de leurs proches ancêtres chasseurs-cueilleurs.

Quel est l’état de santé cardiovasculaire des vrais chasseurs-cueilleurs ? Des centaines d’observations ont été faites depuis 150 ans auprès de groupes ayant, eux, conservé leur mode de vie original (modèle "Paléo"). Toutes convergent : ces hommes et femmes ne souffrent quasiment pas d’obésité, diabète, hypertension, maladies coronariennes, ostéoporose, etc… Staffan Lindeberg, auquel nous avons souvent donné la parole sur LaNutrition.fr, a lui-même conduit une étude auprès d’une population de chasseurs-pêcheurs-cueilleurs de l’île de Kitava en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il n’a relevé aucun signe de maladie coronarienne ni d’AVC chez les habitants (6% d’entre eux étant âgés de 60 à 95 ans). Ces observations sont confirmées par des chercheurs et des médecins comme le Dr Horst Jüptner qui ont séjourné en Mélanésie. Jüptner, qui a exercé les fonctions de médecin dans les îles Trobriand n’a jamais vu le moindre cas d’infarctus, de mort subite, d’angine de poitrine ou d’AVC au cours des cinq ans qu’il a passées sur place. Les études chez les Inuits ayant conservé un mode de vie traditionnel ont également trouvé des taux extrêmement bas de maladies cardiovasculaires.*

Régime Paléo : lire l'entretien avec Staffan Lindeberg

Oméga-3, Inuits et santé cardiovasculaire : lire l'entretien avec le Dr Dyerberg

Et même nos Unangans, nos faux chasseurs-cueilleurs, risquaient peu l’infarctus malgré leurs plaques d’athérome, protégés qu’ils étaient par le versant « oméga-3 » de leur alimentation. Ou ce qu’il en restait.

Pour aller plus loin : Le régime préhistorique

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