Un extrait de Anticancer, le livre de David Servan-Schreiber : "Le diagnostic"

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 28/09/2007 Mis à jour le 10/03/2017

Retrouvez en exclusivité sur LaNutrition.fr un extrait du nouveau livre de David-Servan Schreiber, Anticancer.

Quand je suis rentré en septembre à Pittsburgh, elle est quand même venue habiter dans ma maison de poupée. Je sentais que quelque chose grandissait entre nous, et j’en étais content. Je ne savais pas trop où cette histoire allait me mener, je continuais à rester quelque peu sur mes gardes – je n’avais pas oublié mon divorce. Mais ma vie prenait bonne tournure. J’étais heureux avec Anna. Au mois d’octobre, nous avons eu deux semaines magiques. C’était l’été indien. Je l’ai regardée, et j’ai compris à ce moment-là que j’étais amoureux. Et puis tout a basculé sans crier gare. Je me souviens de ce glorieux soir d’octobre à Pittsburgh, je filais à moto dans les avenues bordées d’arbres flamboyants vers le centre d’IRM, rejoindre Jonathan et Doug pour une de nos séances d’expériences avec des étudiants qui nous servaient de « cobayes ». Ils se glissaient dans le scanner, et nous leur demandions d’effectuer des tâches mentales pour un salaire minime. Nos recherches les excitaient, et surtout la perspective de recevoir à la fin de la séance une image numérique de leur cerveau qu’ils couraient afficher sur leur ordinateur. Vient le premier étudiant vers 8 heures. Le second, prévu vers 9-10 heures, fait faux bond. Jonathan et Doug me demandent si je veux bien faire le cobaye. J’accepte bien sûr, je suis le moins « technicien » des trois. Je m’allonge dans le scanner, un tube extrêmement serré où l’on a les bras plaqués contre le corps, un peu comme dans un cercueil. Beaucoup de gens ne supportent pas les scanners : 10 à 15 % des patients sont trop claustrophobes et ne peuvent faire d’IRM. Je suis dans le scanner, nous commençons comme toujours par une série d’images dont l’objet est de repérer la structure du cerveau du sujet.

Les cerveaux, comme les visages, sont tous différents. Il faut donc, avant toute mesure, faire une sorte de cartographie du cerveau au repos (qu’on appelle l’image anatomique), avec laquelle seront comparées les vues prises au moment où le sujet exécutera des activités mentales (on les appelle les images fonctionnelles). Tout au long du processus, le scanner produit un battement très fort, comme le bruit d’un bâton tapant sur un plancher, correspondant aux mouvements de l’aimant électronique qui s’enclenche et se désenclenche très rapidement pour induire des variations du champ magnétique dans le cerveau. Selon qu’il s’agit d’images anatomiques ou fonctionnelles, le rythme de ces claquements varie. A` ce que j’entends, Jonathan et Doug sont en train de faire des images anatomiques de mon cerveau. Au bout d’une dizaine de minutes, la phase anatomique se termine. Je m’attends à voir apparaître dans le petit miroir collé juste au-dessus de mes yeux la « tâche mentale » que nous avons programmée afin de stimuler l’activité du cortex préfrontal – c’est le but de l’expérience. Il s’agit d’appuyer sur un bouton chaque fois qu’on a repéré des lettres identiques parmi celles qui défilent rapidement à l’écran (le cortex préfrontal permet de garder en mémoire les lettres qui ont disparu et à faire les opérations de comparaison).

J’attends donc que Jonathan envoie la tâche, et que se déclenche le bruit particulier du scanner en train d’enregistrer l’activité fonctionnelle du cerveau. Mais la pause se prolonge. Je ne comprends pas ce qui se passe. Jonathan et Doug sont à côté, dans la salle de contrôle, on ne peut communiquer que par interphone. J’entends alors dans les écouteurs : « David, on a un problème. Il y a quelque chose qui ne va pas avec les images. Il faut qu’on recommence. » Bon. J’attends. On recommence. Nous faisons de nouveau dix minutes d’images anatomiques. Et voici le moment où la tâche mentale doit débuter. J’attends. La voix de Jonathan me dit : «E´ coute, ça ne va pas. Il y a un problème. On arrive. » Ils viennent dans la salle du scanner faire glisser la table sur laquelle je suis allongé, et je vois en sortant du tube qu’ils ont une expression étrange. Jonathan pose sa main sur mon bras et me dit : « On ne peut pas faire l’expérience. Il y a un truc dans ton cerveau. » Je leur demande de me montrer à l’écran les images qu’ils ont enregistrées par deux fois sur l’ordinateur. Je n’étais ni radiologue ni neurologue, mais j’avais vu beaucoup d’images de cerveau, c’était notre travail quotidien : il y avait, sans aucune ambiguïté, dans la région du cortex préfrontal droit, une boule ronde de la taille d’une noix. Placée comme elle l’était, il ne s’agissait pas d’une de ces tumeurs bénignes du cerveau que l’on voit parfois, qui sont opérables, ou qui ne comptent pas parmi les plus virulentes – comme les méningiomes, les adénomes de l’hypophyse. Parfois, il s’agit d’un kyste, d’un abcès infectieux, provoqué par certaines maladies comme dans le sida. Mais ma santé était excellente, je faisais beaucoup de sport, j’étais même capitaine de mon équipe de squash. Cette hypothèse était donc exclue. Impossible de m’illusionner sur la gravité de ce que nous venions de découvrir. A` un stade avancé, un cancer au cerveau tue le plus souvent en six semaines sans traitement, en six mois avec un traitement. Je ne savais pas à quel stade j’étais, mais je connaissais les statistiques. Nous sommes restés tous les trois silencieux, ne sachant pas quoi dire. Jonathan a envoyé les films au département de radiologie afin qu’ils soient évalués dès le lendemain par un spécialiste, et nous nous sommes quittés.

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