Jean-Paul Curtay : Menace sur le phénomène Okinawa

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 12/10/2006 Mis à jour le 21/11/2017
Après avoir publié en exclusivité un entretien avec le Dr Bradley Willcox, l'auteur de l'étude des centenaires d'Okinawa, LaNutrition vous fait découvrir en exclusivité le livre du Dr Jean-Paul Curtay "Okinawa, un programme global pour mieux vivre" qui sera publié le 8 novembre aux Editions Anne Carrière. Pour écrire ce livre, le Dr Curtay a séjourné à Okinawa et rencontré les chercheurs qui conduisent la célèbre étude d'Okinawa. LaNutrition présente ce livre très important dont nous publierons des extraits.

 

Dans cet ouvrage, Jean-Paul Curtay détaille les clés de la longévité des habitants de l'archipel d'Okinawa et nous livre les secrets pour adapter ces conseils à notre mode de vie. LaNutrition.fr publiera plusieurs extraits de ce livre très important. En voici un, surprenant : le "phénomène Okinawa" serait-il menacé par la modernité ?

"L’Etude [des centenaires d'Okinawa] documente spectaculairement le parcours enviable des anciens de ces belles îles de la Méditerranée asiatique. Malheureusement l’avenir est loin d’être aussi rose. L’on assiste avec effarement à une très sérieuse dégradation de cette situation privilégiée, car les générations d’après-guerre, contaminées par les habitudes importées par l’administration américaine dès l’école (les USA ont gouverné Okinawa de 1945 à 1972 et y ont encore un nombre considérables de bases, dont la plus importante de tout le Pacifique) et, à un moindre degré par les flots considérables de touristes japonais, s’écartent de plus en plus des traditions alimentaires et d’art de vivre.

 

Résultat : plus on descend dans la pyramide des générations, plus l’espérance de vie à la naissance se réduit. Ligne de partage des flots, environ 55 ans : au-dessus la mortalité est plus basse qu’au Japon, au-dessous, pour les générations d’après-guerre, elle est plus élevée ! Plus un habitant d’Okinawa est jeune, plus son espérance de vie diminue. L’espérance de vie à la naissance est devenue à Okinawa l’une des plus faibles de tout l’archipel nippon ! Et les adolescents d’Okinawa ont réussi à atteindre le record de surpoids au Japon !

 

Cela évoque fortement la situation européenne : les populations qui avaient les meilleures traditions méditerranéennes : grecque, italienne et espagnole sont celles qui se voient, incrédules, devenir les championnes de l’obésité chez les ados et pré-ados, alors que les pays du Nord, partis d’une situation catastrophique que ce soit en termes de poids, de diabète ou de maladies cardio-vasculaires font des efforts drastiques et s’améliorent.

 

L’exemple le plus spectaculaire est celui de la Finlande qui a réussi à montrer avec le North Karelia Project que l’on peut changer les habitudes alimentaires, par exemple faire passer entre 1979 et 2001 la consommation de légumes de 25 kg par personne et par an à plus de 60 kg faire chuter de 75% les risques cardiovasculaires par une politique coordonnée de santé publique associant écoles, media, médecins et industries.

 

- Qu’attend-t-on pour faire pareil ?

- Je vous le demande.

 

A quoi est associée cette dégradation à Okinawa ? Les courbes des tableaux parlent d’elles-mêmes : l’espérance de vie chute, la mortalité augmente, en même temps que la consommation de fast foods, de « processed foods » (produits tout faits par les industries agro-alimentaires), de viandes importées, de graisses saturées montent, associée à une élévation des apports caloriques et du poids.

 

L’équation, mathématique, a déjà fait ses preuves aux Etats-Unis, quelles que soient les ethnies, et particulièrement ceux qui avaient les meilleures habitudes comme les Indiens et les Noirs qui bénéficiaient aussi de la frugalité imposée par leur pauvreté ; aujourd’hui, c’est le contraire, plus on est pauvre et plus on est à risque, les moyens de se tuer par une malbouffe en surproduction étant devenus tellement faciles d’accès. Elle a fait ses preuves au Canada, y compris chez les Eskimos en quasi « génocide » alimentaire, aux Caraïbes, aggravées par la culture de la canne à sucre, en Amérique du Sud (sont épargnés les Indiens de l’Amazone ou des Andes qui font de la résistance culturelle ou restent trop pauvres pour pouvoir s’offrir les appétissantes éponges à graisse, sucre et sel proposées sur les murs peints, les panneaux, les écrans…), dans le Pacifique (la vahiné de nos rêves est souvent devenue une Mama-barrique), en Europe, dans les quelques villes d’Afrique qui ont les moyens, et surtout maintenant en Asie, où l’urbanisation et le niveau de vie montant ouvrent la porte à un tsunami de calories bien emballées.

 

Immanquablement, comme chez les adolescents grecs, espagnols, italiens, et la plupart des jeunes européens, suivent les cortèges, d’abord du surpoids et de l’obésité, puis très vite des facteurs de risque cardiovasculaires, comme le cholestérol et l’hypertension, puis des accidents cardiaques qui apparaissent de plus en plus tôt (on peut lire aujourd’hui des articles sur les infarctus et les accidents vasculaires chez les trentenaires, un sujet qui aurait eu des allures de canular lors de mes études médicales), puis certaines pathologies allergiques et inflammatoires, certains cancers, avec au total, une tendance au recul de l’espérance de vie dans les générations les plus jeunes. Les corrélats de ces changements d’habitudes délétères : plus de télé-nounou ou télé-narcose (je ne parle pas de la magnifique télé ouverte comme un télescope sur le monde, les autres peuples, la connaissance…), moins d’activité physique, plus de stress, plus de toxiques (cigarette, alcool…, pollution atmosphérique), plus d’isolement psychologique… Ils ont tendance à s’aggraver les uns les autres : comme télé-narcose et sédentarité, sédentarité et grignotage, isolement psychologique et stress, stress et toxiques, etc…

 

Voilà ce qui guette la belle Okinawa : ce qui a défiguré les populations d’Eskimos, les vahinés de Polynésie, et tant d’ethnies convaincues de quitter leurs habitudes « primitives » pour acheter « plus blanc », « plus prestigieux », « plus intelligent » : du lait en poudre pour les bébés jusqu’aux sodas bien sucrés et autres produits « sophistiqués » de l’Occident…

 

L’espoir : que les scientifiques, le gouvernement, les journaux d’Okinawa et du Japon, qui commencent à communiquer avec de plus en plus de visibilité sur le phénomène parviennent à provoquer un « déclic » et donner envie aux nouvelles générations de faire des choix, de faire la part des choses, de préserver ce qui apparaît le meilleur dans les traditions et d’adopter les nouveautés avec plus de discernement…"

 

 

Okinawa, un programme global pour mieux vivre

Edition Anne Carrière
300 pages
18 euros

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