Centenaires d'Okinawa : Un entretien exclusif avec l'auteur de l'étude

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 07/06/2006 Mis à jour le 10/03/2017
A Okinawa, un archipel au large du Japon, on compte quatre fois plus de centenaires qu’ailleurs dans le monde. Pour percer le secret de cette longévité exceptionnelle a été lancée il y a plus de vingt-cinq ans la plus importante et plus prestigieuse enquête sur les centenaires. A sa tête, le Dr Bradley Willcox, son frère Craig et le Dr Makoto Suzuki. Pour LaNutrition.fr, Brad Willcox a accepté de donner les enseignements majeurs de l’étude d’Okinawa. Un entretien exclusif.

 

Thierry Souccar : Comment avez-vous commencé à étudier les centenaires d’Okinawa ?

Dr Bradley Willcox : Mon frère et moi menions une étude sur le régime des Japonais, les graisses corporelles et les problèmes de prostate quand nous étions étudiants à l’université de Toronto au début des années 1990 et le plus vieux des participants était un homme âgé de 105 ans originaire d’Okinawa qui était en très bonne santé… nous avons donc décidé de nous intéresser de plus près aux habitants d’Okinawa. Plus tard nous avons trouvé que ces habitants sont ceux qui ont le moins de problèmes de prostate de tout le Japon, pays qui a lui-même le plus faible taux de problèmes de prostate au monde… Nous avons donc décidé d’aller à Okinawa pour trouver plus d’informations sur ce phénomène intéressant… Là nous avons rencontré le Dr Makoto Suzuki, le principal auteur de l’étude des centenaires d’Okinawa. Depuis nous avons collecté des données tous les ans sur cette incroyable population pour découvrir les clés de leur santé, leur minceur et leur longévité.

 

Combien de temps l’étude va-t-elle durer ? Allez-vous publier plus de données sur Okinawa ? Pourrez-vous partager avec nous les résultats à venir ?

L’étude des centenaires d’Okinawa va durer aussi longtemps que le ministère de la santé japonais et les Instituts nationaux de la santé des Etats-Unis continueront de la financer…le plus longtemps serait le mieux.

Nous prévoyons une nouvelle étude pour savoir si des outils sur Internet peuvent aider à perdre du poids et à ne pas le reprendre. Ces participants devront être capables de suivre le régime Okinawa à l’aide d’outils Internet, surveiller leur poids et leur quantité de graisse, accéder à des menus quotidiens goûteux et pauvres en calories, discuter avec des gens qui vivent la même expérience… Nous espérons que ça va aider les gens à atteindre un poids de forme et à le conserver tout au long de leur vie aussi bien qu’à leur donner accès à des informations pour savoir comment vieillir en bonne santé. Ce site est accessible sur www.okinawa-diet.com.

Nous avons plusieurs publications à venir, l’une d’entre elle est l’étude de la première autopsie d’un centenaire d’Okinawa.. . C’est une femme qui est restée en bonne santé jusqu’à l’âge de 97 ans. Elle est morte à 100 d’une pneumonie. A l’autopsie on a vu que ses artères coronaires sont en très bon état, sans plaque d’athérome et ses organes ressemblaient à ceux d’une personne plus jeune de 30 ans. L’étude soutient l’hypothèse que les habitants d’Okinawa vieillissent plus lentement, sûrement grâce à leur régime alimentaire pauvre en calories et leur mode de vie actif.

Nous préparons également un article sur le faible apport en calories des habitants d’Okinawa et le rôle de cette restriction calorique dans leur exceptionnelle longévité.

Nous prévoyons également plus d’études sur la santé des femmes et la façon dont se déroule leur ménopause.

Nous prévoyons enfin de nombreuses autres études dont une nouvelle étude pour comparer les styles de vie des habitants d’Okinawa avec celui de leurs compatriotes vivant à Hawaï. Cette étude permettra de déterminer le rôle de la génétique dans cette population. Nous allons regarder comment le mode de vie affecte l’expression de ces gènes et une étude pilote et actuellement soutenue par l’Institut national du vieillissement des Etats-Unis.

 

Comment pouvez-vous être sûr que les gènes ne jouent pas un rôle majeur dans l’espérance de vie ? Le Dr Thomas Perls (université de Boston) est convaincu que les gènes jouent un rôle plus important que le régime alimentaire.

Nous avons travaillé avec le Dr Tom Perls pendant de nombreuses années et nous collaborons toujours avec lui donc nous pouvons dire qu’il fait du bon travail. Les gènes jouent un rôle majeur dans l’espérance de vie. Changez un simple gène chez un rat et vous augmenterez son espérance de vie de 50 %. Mais le même résultat peut être obtenu par la restriction calorique : diminuez de moitié la ration calorique d’un rat et il vivra 50 % de plus. Si vous avez de bons gènes vous avez des chances de vivre plus longtemps, ça ne fait aucun doute. Notre étude montre que les centenaires d’Okinawa ont généralement des bons gènes mais ce n’est pas toujours le cas. Une bonne alimentation et une bonne hygiène de vie peuvent faire d’un individu qui n’a pas forcément les meilleurs gènes un centenaire. C’est toujours un mélange des deux facteurs. Si vous avez un pool de gènes « Mercedes » et que vous n’en prenez pas soin il ne durera pas aussi longtemps qu’un pool « Fiat » que vous bichonnerez.

 

Vous semblez approuver les recommandations alimentaires en vigueur aux Etats-Unis. Pourtant elles sont critiquées par le Pr Walter Willett (de l’école de santé publique d’Harvard) avec de bons arguments.

Nous avons travaillé pendant de nombreuses années avec le Dr Willett, et nous avons le même point de vue. Il est d’accord avec les recommandations (Unified Dietary Guidelines), sauf qu’il pense qu’il ne faut pas fixer de limites à la part des graisses dans l’alimentation. En revanche, il est en désaccord avec la pyramide alimentaire du ministère de l’agriculture. Nous pensons la même chose, qu’il vaut mieux mettre l’accent sur le type de glucides, de lipides et de protéines plutôt que sur leur quantité. Nous pensons avec le Dr Willett que les gens devraient privilégier les aliments à index glycémique bas, les acides gras monoinsaturés et les oméga-3 plutôt que les acides gras saturés, et plus de protéines végétales que de protéines animales.

 

J’ai été surpris de lire vos recommandations sur le poisson. Je pensais que les habitants d’Okinawa mangeaient surtout du poisson gras riche en oméga-3, mais en fait vous conseillez de manger du poisson blanc (maigre) avec modération et de surveiller les portions de poisson gras.

C’est que le poisson gras a une densité calorique élevée. Nous conseillons bien sûr ce type de poisson mais comme pour tous les aliments dont la densité calorique est élevée, il faut faire attention à la taille des portions. L’Association américaine de cardiologie (American Heart Association) conseille de manger au moins deux portions de poisson gras par semaine, ce que nous approuvons.

 

Justement vos recommandations tirées du régime d’Okinawa étant fondées sur une densité calorique faible, n’y a-t-il pas le risque que de telles recommandations ne permettent pas de se procurer des quantités suffisantes d’oméga-3 qui sont surtout apportés par les aliments gras, à la densité calorique élevée ?

Nous ne disons pas aux gens de suivre nos conseils à la lettre, mais d’utiliser la « pyramide » d’Okinawa comme guide. Les habitants d’Okinawa reçoivent de grandes quantités d’oméga-3 alors qu’ils consomment peu de calories. Par exemple, les Okinawans ne mangent pas beaucoup de noix, dont la densité calorique est élevée, ils mangent plus de poisson maigre que de poisson gras et pourtant ils ont plein d’oméga-3 dans leur régime, y compris le précurseur, l’acide alpha-linolénique. Parmi les aliments les plus intéressants pour les oméga-3, il y a le soja et notamment le tofu. C’est une très bonne source d’acide alpha-linolénique. La preuve, c’est que nous avons mesuré la quantité d’oméga-3 dans le sang des gens d’Okinawa et dans celui des Américains, et il y en avait trois fois plus à Okinawa. Le niveau d’acide alpha-linolénique aussi était plus élevé.

 

Comment peut-on concilier le régime Okinawa avec le régime paléolithique prôné par Boyd Eaton et Loren Cordain, qui soulignent que notre patrimoine génétique n’a pas beaucoup évolué au cours des 200 000 dernières années ?

Il y a 200 000 ans, les hommes se nourrissaient principalement de végétaux et de viande à l’occasion. Il y a 60 000 ans, la chasse et la pêche ont pris de l’ampleur, mais les calories issues des végétaux constituaient toujours la base de l’alimentation. En fait, les généticiens nous disent que les gènes dont nous avons hérité ont beaucoup plus de 200 000 ans, et donc on pourrait tout à fait soutenir l’idée que le comportement alimentaire des hommes du Paléolithique n’était plus en phase avec l’évolution humaine puisque la plupart de ceux qui ont vécu avant le Paléolithique, pendant les millions d’années de l’évolution humaine étaient végétariens.

 

Que dites-vous quand Cordain fait remarquer que le régime paléolithique ressemble à celui des chasseurs-cueilleurs du XXème siècle, avec environ 37 à 40% des calories sous la forme de graisses, 20% sous la forme de protéines en particulier animales ?

La viande du gibier est beaucoup moins grasse que celle des animaux d’élevage d’aujourd’hui et contient beaucoup moins de graisses saturées. Comme le montre le régime méditerranéen et comme nous le disons dans notre livre (1), on peut consommer sans risque plus de graisses si ce sont de bonnes graisses. Cependant, il faut être prudent. Un gramme de graisses contient plus de deux fois plus de calories qu’un gramme de glucides ou de protéines et donc on risque de consommer beaucoup plus de calories si l’on n’y prend pas garde.

 

Pourquoi faudrait-il faire du soja une source majeure de protéines, alors même que l’homme en a consommé si peu pendant des centaines de milliers d’années ?

L’évolution a fait de nous des « diversivores », des êtres qui peuvent et doivent manger une variété large d’aliments, y compris d’aliments « nouveaux ». Le soja renferme de grandes quantités de phytoestrogènes, mais d’une part ces composés sont présents dans les végétaux mangés traditionnellement par l’espèce humaine et d’autre part les Asiatiques consomment depuis des milliers d’années du soja sans qu’on ait observé d’effets indésirables. Les phytoestrogènes sont des composés de type hormonal que la plante produit en grandes quantités quand elle est stressée par la chaleur, la lumière, le froid, les attaques des insectes, etc. Le soja est bien toléré par la plupart d’entre nous, c’est une excellente source de protéines et de composés protecteurs comme les isoflavones (des phytoestrogènes de la famille des flavonoïdes) et les saponines (qui font baisser le cholestérol). Ces composés sont bénéfiques pour la santé cardiovasculaire, ils aident à nous protéger du cancer et d’autres maladies. »

Propos recueillis par Thierry Souccar

(1) Willcox B, Willcox C, Suzuki M : The Okinawa Diet Plan. Clarkson-Potter, NewYork (New York, USA), 2004.

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