Haro sur la DHEA !

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 18/05/2006 Mis à jour le 10/03/2017
Printemps 2000 : l’étude DHEAge du Pr Etienne-Emile Baulieu (INSERM U488) déclenche « une folie médiatique » autour de la DHEA (déhydroépiandrostérone), une hormone stéroïde qui pourrait freiner certains aspects du vieillissement. Printemps 2001 : le ministère de la santé, les Conseils de l’Ordre des médecins et des pharmaciens, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), montent au créneau pour discréditer la DHEA ou décourager son usage. Voici les arguments des uns et l’état des connaissances de l’époque.

Point d’orgue de ce front anti-DHEA, l’article très négatif paru dans le numéro d’avril 2002 de la revue médicale indépendante Prescrire. Selon cet article, relayé par l’ensemble des grands médias, la DHEA ne serait rien d’autre qu’une « esbrouffe », une « mystification » qu’il ne faut « ni prescrire, ni conseiller ».


Le taux de DHEA est-il « inutile » ?

La DHEA décline avec l’âge : à 70-80 ans, le taux plasmatique est 5 à 10 fois moins élevé qu’il ne l’était à 25 ans. Mais ce déclin n’est pas toujours linéaire. Ainsi, deux études, dont la plus longue a duré 13 ans, ont montré que, chez 20 à 30% des participants, le taux de DHEA avait augmenté au cours de la période examinée. L’Afssaps s’appuie sur ces résultats pour affirmer « que tout dosage pour évaluer une possible carence est inutile. » Mais le niveau de DHEA fluctue en fonction du mode de vie (plus ou moins de stress, de tabac, de calories, de graisses, prise ou non d’antioxydants, de pilule, d’hormones…) ; il en va ainsi de toutes les molécules biologiques, le cholestérol par exemple. Le dosage du cholestérol est-il pour autant considéré comme « inutile » ?


Le taux de DHEA est-il un marqueur biologique du vieillissement ?

Non, selon l’Afssaps. Oui, selon l’Institut national du vieillissement des Etats-Unis (Baltimore, Maryland). George Roth et Donald Ingram y travaillent depuis des années à l’identification de biomarqueurs du vieillissement sur un modèle animal très proche de l’homme, le singe rhésus. « Nous disposons aujourd’hui de statistiques de survie chez les singes rhésus mâles, dit-il. Ceux dont les taux de sulfate de DHEA (SDHEA) sont plus élevés et baissent le moins avec l’âge vieillissent bien mieux que les autres. » (Les deux chercheurs ont montré en 2002 qu’il en allait de même chez l’homme. De ce point de vue, la DHEA serait bien un marqueur du vieillissement chez l’homme).


Le taux de DHEA est-il associé à certaines maladies ?

Selon Prescrire, il n’existerait pas d’association entre le taux de DHEA et le risque de maladies cardiovasculaires. Une conclusion obtenue au prix de petites libertés avec l’épidémiologie : plusieurs études ont été oubliées par le journal français, comme celle de Jan-Hakan Jansson sur des victimes d’infarctus en 1998 ou celle de Catherine Johannes sur les femmes de la Massachusetts Women’s Health Study. Comme le résume le Dr Jarmila Sulcova (Institut d’endocrinologie, Prague, République Tchèque), auteur d’une analyse récente « s’il existe peu de preuve en faveur d’un rôle protecteur de la DHEA chez la femme, on peut en revanche considérer que les hommes qui ont des taux bas ont un risque élevé de mortalité cardiovasculaire. » En revanche, il n’est pas prouvé que la DHEA aide à prévenir le cancer.


Les suppléments de DHEA ont-ils déjà démontré leur efficacité ?

Non, selon Prescrire. Pourtant, s’il était en 2002 trop tôt pour conclure que la DHEA doit être donnée aux personnes âgées en bonne santé, il existait au moins une indication pour laquelle elle apparaît utile : l’insuffisance surrénale. Prescrire évoque deux études sur le sujet, avant de conclure que les « données sont insuffisantes ». En réalité, précise le Dr Eleanor Gurnell (université de Cambridge, Royaume-Uni), « on dispose d’au moins 5 études à court terme chez des patients atteints d’insuffisance surrénale, avec des effets bénéfiques très nets sur le bien-être, l’humeur et la sexualité. »


La DHEA est-elle dangereuse ?

L’avis de lanutrition.fr

Les données de l’époque plaidaient pour une intensification des études sur la DHEA, avec des moyens financiers donnés aux chercheurs comme le Pr Baulieu, de préférence à l’enterrement de première classe que lui a réservé l’Afssaps.

Prescrire, évoque à la suite de l’Afssaps des « effets indésirables potentiels graves », et de citer l’acné (sic), l’alopécie, l’hirsutisme, mais surtout les « cancers hormono-dépendants. » Parce que la DHEA est en vente libre depuis dix ans aux Etats-Unis, nous avons demandé en 2002 à la Food and Drug Administration (FDA) si ces craintes étaient fondées. Sa réponse : « Il n’existe aucune donnée associant la prise de DHEA au risque de cancer. Quelques cas de cancers de la prostate auraient été aggravés par la DHEA, mais ces malades prenaient en même temps d’autres médicaments, et l’implication de la DHEA n’est pas claire. En ce qui concerne l’hirsutisme chez la femme, les cas rapportés sont bénins et liés à des doses très élevées (plus de 200 mg par jour). A ce jour, la DHEA n’appelle pas de notre part à des mises en garde particulières sauf peut-être chez les porteurs d’un cancer de la prostate avancé. »

Les médecins, façon Ponce-Pilate

Le 26 juillet 2001, l’Ordre des médecins conseillait « aux médecins de ne pas répondre favorablement aux demandes » des Français portant sur la DHEA. Une position très discutable, selon Isabelle Robard, docteur en droit de la Santé (Paris), qui rappelle qu’avant d’être au service de la santé publique, le médecin est, comme le précise le code de déontologie, au service de l’individu. « Il paraît difficile, dit-elle, de refuser purement et simplement une telle prescription lorsque, après une information loyale, claire et appropriée, le patient persiste dans sa démarche ». En effet, le refus de prescription peut précipiter le patient vers une consommation « sauvage » susceptible de le mettre en danger. Sous prétexte de protéger le patient, l’attitude du Conseil de l’Ordre aurait alors l’effet radicalement opposé. La position des médecins est rejointe par celle des pharmaciens si bien qu’en 2006 il est devenu très difficile de se faire prescrire et délivrer de la DHEA en France, même lorsque le niveau de DHEA dans le plasma est trop bas.



Etienne-Emile Baulieu contre-attaque

Le spécialiste français de la DHEA réagissait ainsi aux attaques de l’Afssaps sur la DHEA.


Thierry Souccar : Pourquoi après avoir été encensée, la DHEA est-elle si décriée ?

Pr Etienne-Emile Baulieu : Avant la DHEA j’avais fait une ou deux choses comme la RU 486, d’où l’engouement initial pour la DHEA, qui était excessif. Ce type de médiatisation n’est pas ressenti favorablement par les milieux médicaux. Il y a beaucoup de jalousie. En 2001, à cause de cette médiatisation, l’Afssaps a émis un avis très négatif. Certains des chercheurs que nous n’avions pas retenus pour nos études sur la DHEA ont été sollicités par l’Afssaps pour rédiger cet avis. Il s’agit de gens frustrés de n’avoir pas figuré dans mon équipe.


Les autorités sanitaires ne cherchent-elles pas à décourager les achats sauvages, sur Internet notamment ?

Pr B. : Mes études sur la DHEA, je les ai faites pour des motifs qui auraient dû faire plaisir à l’Afssaps : conduire des travaux sérieux, s’opposer aux achats sauvages. Il n’y avait pas de réglementation pour ce type de produits. J’ai demandé à l’Afssaps de trouver un système spécial d’autorisation provisoire ou limitée, afin d’encadrer une distribution vérifiée par les médecins. Ils ont voulu se débarrasser du problème en ouvrant le parapluie. C’est un découragement pour ceux qui font des études.


Le ministère ou l’Afssaps vont-ils diligenter des études complémentaires sur la DHEA ?

Pr B. : Non, ils sont négatifs, mais ne nous aident en rien. Au lieu de financer des travaux, ils racontent que ça peut donner le cancer et les maladies cardiovasculaires. A mon avis, Kouchner l’a bien résumé. Ils ont trouvé une voie assez vicieuse, qui consiste à dire « Attention danger ! ». J’appelle ça le principe de suspicion. Ils jouent avec ça, c’est d’une lâcheté incroyable. La conséquence, c’est qu’on va être envahi par des produits américains de bonne qualité, grâce à l’inaction du ministère de la santé qui ne s’est vraiment pas bien conduit.


Vous-même, continuez-vous à conseiller la prise de DHEA ?

Pr B. : Il y a une notion que l’Afssaps n’a pas bien intégré : l’intérêt de se baser sur les dosages. Si quelqu’un présente un dosage bas, je ne vois pas pourquoi il ne prendrait pas de DHEA. Je n’ai aucun état d’âme à ce sujet.


L’Afssaps et Prescrire évoquent des risques de cancer, notamment de cancer de la prostate chez l’homme

Pr B. : Chez l’homme, on pense de suite au risque de cancer de la prostate. Mais nous allons poser un programme de recherche de prévention du cancer de la prostate avec… de la DHEA ! Nous avons des arguments solides pour proposer cela.


Allez-vous lancer de nouvelles études ?

Pr B. : Nous voulons lancer deux études, l’une sur l’homme avec des doses plus fortes. L’autre sur les personnes de plus de 80 ans pour évaluer les effets sur les troubles cognitifs et l’immunité. Mais nous manquons de financements.

 

(1) Inserm U 488, Le Kremlin-Bicêtre

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