Walter Lichtensteiger : "le 4-MBC devrait être interdit"

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 24/06/2010 Mis à jour le 21/11/2017
Le professeur Walter Lichtensteiger est chercheur au GreenTox, le groupe de toxicologie reproductive, endocrine et environnementale de l'Université de Zurich, en Suisse. Son équipe a, la première, montré la toxicité de certains filtres UV que l'on trouve dans les crèmes solaires.

Pour LaNutrition.fr, il explique quels sont réellement les risques de ces produits mais aussi quelles peuvent être les conséquences de notre exposition quasi-permanente à des produits chimiques qui perturbent nos hormones.

 

LaNutrition.fr : Comment se traduit concrètement l’effet estrogénique et anti-androgénique de filtres sur des cultures cellulaires ?

Walter Lichtensteiger : In vitro, les filtres UV qui ont une activité estrogénique augmentent la prolifération des cellules qui possèdent des récepteurs aux hormones femelles, les estrogènes. Ces cellules augmentent alors l’expression des gènes qui sont dépendants des estrogènes. Les filtres qui ont une activité anti-androgénique, c’est-à-dire qui s’opposent aux hormones mâles inhibent les effets des androgènes naturels sur l’expression génétique. Des tests sur des rats immatures montrent que les filtres avec une activité oestrogénique augmentent la croissance de l’utérus (comparé à un effet oestrogénique classique).

 

Que se passe-t-il quand on expose des animaux à ces filtres ?

Dans les expériences à long terme, où l’on expose les rats durant le développement pré- et post-natal la situation est plus complexe car les filtres ont une activité hormonale mais ne sont pas des « oestrogènes classique » tels que l’estradiol ou l’éthinyl estradiol (utilisés dans les contraceptifs). Ce ne sont donc pas de « purs » oestrogènes car ils ont des effets supplémentaires, par exemple sur la thyroïde. Ainsi, ils dérèglent les fonctions hormonales mais d’une façon plus complexe. Par exemple, si l’on étudie les petits de rats après traitement par le 4-MBC ou le 3-BC pendant le développement pré- et post-natal, on observe à l’age adulte, des modifications du poids des organes reproducteurs (utérus, prostate), de l’expression de gènes, un retard de la puberté chez les mâles et des modifications du comportement sexuel des femelles exposées pendant leur développement.

 

Ces filtres agissent-ils sur d’autres organes ?

On suppose qu’il y a des effets sur d’autres organes car :

- de nombreux tissus sont sensibles aux oestrogènes et androgènes

- certains filtres à UV comme le 4-MBC ou le 3-BC affectent les enzymes qui dégradent les hormones thyroïdiennes, interférant ainsi avec leur action.

De fortes doses de 4-MBC et de 3-BC augmentent le poids de la thyroïde. Certains filtres UV influencent également la densité osseuse. Comme je viens de le dire, nous avons montré que ces filtres ont des effets sur le comportement et sur l’expression des gènes dans le cerveau.

 

Quels peuvent être les effets de ces filtres sur l’homme ? Quels sont les risques pour la santé ?

Il faut s’attendre à ce que, chez l’homme, les filtres UV agissent sur les tissus sensibles aux estrogènes, androgènes et aux hormones thyroïdiennes de la même façon que sur les animaux de laboratoire. Quand on considère le risque pour les humains (et pour les animaux), il faut prendre en compte qu’un mélange de produits chimiques possédant un activité hormonale est présent dans l’organisme : les effets sont le résultat de l’action commune de ces substances. Les filtres UV contribuent à ce mélange et augmentent l’exposition totale à ces produits chimiques qui sont des perturbateurs endocriniens actifs. Pour l’instant nous n’avons pas de données sur l’exposition humaine pour nous permettre d’estimer l’effet des filtres UV sur les fonctions de l’organisme, et par conséquent leurs risques.

 

Existe-t-il des tests chez l’homme montrant que ces filtres passent dans l’organisme (dosage dans le sang ou les urines…) ?

Chez l’homme le passage dans le sang et dans l’urine après application sur la peau n’a été étudié que dans quelques études mais nous avons la preuve que certains filtres (3-BC, 4-MBC, OMC) se retrouvent bien dans le sang et les urines.

 

Aux doses qui sont utilisées dans les crèmes solaires, est-ce qu’il y a un risque pour les utilisateurs ?

Le principal risque provient de l’exposition à un mélange de produits chimiques dotés d’une activité hormonale mais nous n’avons pas encore assez de données sur l’exposition interne humaine aux filtres UV pour répondre à cette question. Si un seul filtre UV est appliqué, la quantité ne devrait pas entraîner de perturbation aiguë du système hormonal chez l’adulte. Mais si l’on évite d’utiliser ne serait-ce que l’un de ces filtres, on diminue le fardeau total de produits chimiques à activité hormonale supporté par l’organisme.

 

Donc, vous conseillez aux gens d’éviter les crèmes solaires contenant ces produits ?

Nous recommandons de bien se protéger contre le rayonnement UV, c’est-à-dire rester à l’ombre, limiter la durée de l’exposition au soleil, porter des vêtements adaptés, en utilisant des crèmes solaires en quantité limitée mais suffisante. Ce dernier point dépend également du type de peau : les crèmes solaires ne peuvent pas être complètement évitées.

Comme les produits solaires contiennent généralement différents filtres UV, il est difficile de recommander une crème en particulier. Cependant, la présence dans les crèmes solaires de minéraux comme le dioxyde de titane permet de réduire les concentrations de filtres chimiques.

 

Certains de ces filtres devraient-ils être interdits ?

Les différents filtres UV n’ont pas tous été étudiés de la même façon et les informations disponibles varient selon ces filtres, en particulier pour ce qui est de leurs effets à long terme (toxicité pour l’embryon et le foetus). Par conséquent il faut être prudent en comparant différents filtres UV. Nous pensons que le 4-MBC devrait être interdit car il est à l’origine de nombreux problèmes dans les expérimentations animales. Nous aimerions que la décision soit prise en concertation avec l’industrie. Plus le public sera informé, plus ce type de décision sera facilitée. Pour une évaluation plus générale des filtres UV à activité endocrine, nous avons besoin de plus de données scientifiques.

 

Certaines personnes sont-elles particulièrement sensibles aux effets des filtres oestrogéniques ?

L’organisme en développement de l’embryon, du fœtus et de l’enfant est particulièrement sensible aux hormones sexuelles (oestrogènes, androgènes) car elles contrôlent certains aspects du développement. Par conséquent on s’attend à ce que l’embryon, le fœtus et l’enfant soient plus sensibles que les adultes aux effets hormonaux des filtres UV. Ce qui veut dire que les femmes enceintes devraient aussi éviter d’être exposées.

 

Existe-t-il des filtres solaires efficaces sans effet oestrogénique ?

Certains des filtres UV testés comme le BMDM (Butyl-méthoxydibenzoyl-méthane) n’ont pas montré d’activité oestrogénique in vitro et/ou dans le test de taille d’utérus comme le BMDM, le HMS (Homosalate), l’OD-PABA (Octyl-diméthyl PABA). Cependant, on ne peut pas simplement remplacer un filtre contre un autre car la composition des crèmes solaires est complexe. Le tinosorb, un polymère, paraît également dénué d’activité oestrogénique in vitro. Il faut noter que de nombreux filtres UV (et la plupart des atténuateurs d’UV) n’ont pas encore été testés pour leur activité endocrinienne.

On peut protéger des UV avec des composés tels que l’oxyde de zinc et le dioxyde de titane. Ces filtres pourraient offrir une alternative, mais il faut noter que dans les produits modernes ces minéraux sont sous la forme de nanoparticules, dont on n’est pas certain qu’elles sont sans danger.

 

A part les crèmes solaires, est-ce que d’autres produits cosmétiques peuvent contenir ces filtres ?

Nous faisons une distinction entre les filtres UV utilisés pour la protection de la peau contre les UV, et les atténuateurs d’UV utilisés comme conservateurs. Les filtres UV sont également présents dans les sticks à lèvre, les crèmes de jour, les shampoings mais aussi dans les tissus comme pour certaines chemises. Les atténuateurs d’UV sont ajoutés à basse concentration dans de nombreux produits, y compris dans les cosmétiques.

 

Est-ce que l’on retrouve ces filtres dans les eaux de baignade ?

Des filtres UV ont été détectés dans les eaux de plusieurs lacs suisses. Ils proviennent des nageurs qui s’enduisent de crème solaire mais aussi des usines de traitement des eaux d'égout.

 

Cela peut-il avoir un impact sur l’environnement ? Par exemple si les poissons les absorbent ?

Des filtres UV ont été retrouvés chez des poissons dans des lacs en Suisse et en Allemagne. Dans des études expérimentales, certains filtres UV ont entraîné dans le sang des poissons mâles l’augmentation de la synthèse d’une protéine, la vitellogénine, qui ne se retrouve normalement que chez les femelles.

En ce qui concerne les risques, les filtres UV devraient être vus en tant qu'éléments du mélange des produits chimiques à activité endocrinienne présents dans la biosphère. L'effet sur la biosphère sera le résultat de l’action de tous ces produits et le relargage des filtres UV dans l'environnement contribue à augmenter l'exposition de la biosphère aux produits chimiques hormonaux actifs.

 

Avez-vous tous les moyens pour mener vos recherches à terme ?

La décision du Parlement Européen d’interdire l’expérimentation animale pour tester les cosmétiques est vraiment dommage car elle entravera considérablement l'évaluation des risques à long terme aussi bien pour l’homme que pour la biosphère. Il nous semble que l'impact potentiel de ces produits chimiques sur l'environnement vivant a été négligé.

 

Pour en savoir plus, lisez "Hormon-aktive Chemikalien"...

 

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