Jean-Michel Morel : « La tendance écolo touche enfin la santé »

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 15/10/2007 Mis à jour le 17/02/2017

Le journal Le Monde a publié le 3 octobre 2007 un article intitulé « Du bon usage des plantes » dans lequel le journal reprend des informations de la revue « Prescrire » concernant l’utilisation de certaines plantes en phytothérapie. Le docteur Jean-Michel Morel, médecin généraliste et président de la Société Franc-Comtoise de Phytothérapie et d’Aromathérapie a souhaité réagir à cet article.

 

Un article récent paru dans l'édition du Monde du 03.10.07, intitulé « La tendance écolo touche aussi la santé », tendrait à faire rimer « écolo » avec « rigolo ».

Je souhaite réagir en répondant « La tendance écolo touche enfin la santé » !

Le contenu de l’article nous interpelle d’autant plus qu’il émane de la respectable revue Prescrire, indépendante de l’industrie pharmaceutique.

Et même s’il emprunte toujours les mêmes poncifs : « les plantes sont soit inefficaces, soit dangereuses », la qualité de l’interlocuteur mérite une réponse développée.

 

Tout d’abord, de quel usage est-il question? Tout médicament utilisé en automédication peut s’avérer dangereux. Le diagnostic et la prescription sont l’apanage des professionnels de la santé. Si certaines plantes s’avèrent de maniement délicat, elles doivent rester entre les mains des médecins. C’est précisément le cas en France du millepertuis, alternative à la prise d'un antidépresseur dans les « dépressions légères à modérées », qui ne présente comme le dit cet article, que des interactions médicamenteuses et quasiment pas d’effets indésirables.

C’est remarquable, citez-moi d’autres médicaments ayant les mêmes qualités ! C’est pourtant presque une règle en phytothérapie, qui tient au fait qu’il n’existe pas qu’un principe actif dans les plantes médicinales. Mais elles doivent rester maîtrisées par les professionnels.

La canneberge (ou cranberry) est un exemple de plante sécurisante. On ne décrit que des risques de précipitation de calculs rénaux d’oxalates, liés à l’acidité de ce fruit. Quant aux interactions médicamenteuses, elles sont moindres que celles d'un verre de jus de pamplemousse, qui peut augmenter considérablement les concentrations plasmatiques de certains médicaments (c’est le champion dans ce domaine). Lui n’a pas été interdit, et son étiquetage n’a pas été modifié.

La canneberge n’est pas un traitement de crise, elle prévient les récidives d’infection urinaire à colibacilles. Les pricipes actifs sont connus, ce sont des tanins (proanthocyanidines) qui empêchent l’adhésion des germes sur la paroi de la vessie. Leur dosage a été validé par l’AFSSA (36 mg par jour). Les propriétés d’absorption et de protection de ces tanins sont connus des phytothérapeutes, qui utilisent dans les mêmes indications d’autres baies de la même famille botanique et aux principes actifs similaires (myrtilles, airelles).

Certaines femmes connaissent un drame avec leurs cystites à répétition, et il est dommage de jeter le discrédit sur une telle possibilité de prise en charge, à laquelle il convient d’adjoindre des probiotiques afin de corriger l’équilibre de la flore intestinale.

Même lorsque des études concernant les plantes sont méthodologiquement bien menées, elles peuvent ne pas être exemptes de critiques. Dans le cas de l’échinacée, certains tests non concluants ont été réalisés avec des produits galéniques écartés par les phytothérapeutes car insuffisamment concentrés en principes actifs importants (alkylamides et polysaccharides).

L’enseignement moderne de la phytothérapie repose en effet sur le choix de la forme galénique aquéquate, sur la dénomination botanique correcte de la plante et de l’organe utilisé, la dose nécessaire à l’activité pharmacologique et la sécurité d’emploi.

Mais les médecins ne sont pas formés à la pratique de la phytothérapie. Nous devrions tous bénéficier au cours de nos études d’un socle de connaissances sur les substances thérapeutiques naturelles, savoir ce qu’est un polysaccharide, un alcaloïde, un polyphénol, connaître les propriétés des tanins, des mucilages, des flavonoïdes, des saponosides, des Huiles Essentielles

Les bases de la Pharmacognosie (anciennement appelée « Matière Médicale », faut-il le rappeler) sont en effet indispensables à la connaissance critique du médicament.

Bien qu’à la source de toute la pharmacologie moderne, elles ne sont pas abordées dans nos études médicales, la méconnaissance étant alors, on le voit encore ici, source d’incompréhension et de rejet.

Pour nous, la notion de « répondeur[1] » est très importante. On n’utilise pas indistinctement les mêmes végétaux pour des affections identiques, surtout dans les troubles fonctionnels[2]tellement répandus, dans lesquels la maladie importe moins que le malade.

Le phytothérapeute prend ainsi en compte, pour choisir le remède, certaines caractéristiques individuelles liées au terrain, à la personnalité et à la physiologie de son patient.

Par exemple, dans les insomnies, l’aubépine est utilisée lorsqu’existe un hyperfonctionnement sympathique, l’eschscholtzia[3] un délai d’endormissement trop long, le lotier au contraire des réveils nocturnes, la passiflore un état d’ agitation psycho-motrice contrariant le sommeil, etc.

Dans ces cas, de faibles doses pourront suffire à produire un effet. Le choix des principes actifs est fait de la même manière qu’en pharmacologie classique, en évaluant leur rapport bénéfice/risque.

Observons que l'OMS elle-même encourage les pays à fournir des approches et des remèdes traditionnels sûrs et efficaces au sein de leurs systèmes de santé publics et privés[4] (l’OMS n’exclut pas les pays industrialisés).

Les médecines traditionnelles sont très largement répandues sur la planète, et souvent pertinentes. Dans les pays en voie de développement, elles sont adaptées aux pathologies locales, tout aussi respectables que les nôtres. Les pays industrialisés sont suspectés soit de condescendance post-colonialiste face à leurs traditions médicales, soit de pillage de leurs ressources naturelles, ce qui est contradictoire.

Les grandes firmes pharmaceutiques ne s’y trompent pas. Elles vont y chercher la source de certains de nos médicaments ! C’est paradoxal. Auraient-elles intérêt à maintenir les principes actifs du domaine public dans un statut de médications désuettes et obsolètes ?

On entend souvent dire que les plantes n’ont pas fait la preuve de leur efficacité.

Or les méthodes d’investigation appliquées à des médicaments chimiques monomoléculaires inconnus en biologie ne peuvent pas s’appliquer de manière identique à des extraits de plantes, qui bénéficient d’une grande antériorité d’utilisation. Ceci ne les dispense pas de faire la preuve de leur intérêt, mais avec des modèles d’évaluation qui leur sont adaptés.

D’une part, ces méthodes sont définies par l’industrie elle-même et leurs exigences sont telles que les petits budgets ne peuvent pas suivre.

Je suis persuadé que c’est le rôle de la collectivité publique que de travailler sur ce qui est du domaine public. Sinon, qui le réalise ? Les enjeux sont politiques de toute évidence.

En phytothérapie, nous n’avons pas de lobby susceptible de financer des recherches onéreuses. Pourtant nos dossiers recèlent des trésors d’observations malheureusement inexploitées.

En outre, les indications ne sont pas identiques. Dans le système de soins de nos pays développés, le territoire naturel de la plante médicinale représente pourtant environ 80 % de la pathologie rencontrée en médecine de ville.

Pourquoi ce chiffre ? Parce qu’il représente la part estimée des pathologies fonctionnelles en consultation de médecine générale. Nous pouvons entrevoir les répercussions en matière de coût.

Le moment est historique pour les systèmes de soins des pays industrialisés, confrontés à une inflation galopante de leurs dépenses de santé.

Les pouvoirs publics réfléchissent légitimement à une régulation socialement juste et à un meilleur emploi des ressources de l’assurance-maladie.

À cet effet, le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie avait adopté le 22 janvier 2004 un « diagnostic partagé », écartant de recourir à un endettement massif ou de s'en remettre exclusivement à une baisse des remboursements (ce qui conduirait à remettre en cause les principes de solidarité et d'égalité). Le Haut Conseil estimait « qu'il faut faire porter des efforts résolus sur la maîtrise des dépenses injustifiées et l'optimisation de l'offre de soins ».

La surconsommation médicamenteuse est en effet un fléau des temps modernes, encouragée par la marchandisation de la santé et le recours au marketing de la part des firmes pharmaceutiques dans ce domaine sensible, très peu maîtrisé.

La seule solution qui s’impose passe par la prévention, par un usage raisonné des ressources médicamenteuses, par une formation initiale et continue des médecins intégrant d’autres concepts que le « tout-chimique » imposé par l'industrie pharmaceutique, par l’usage de soins plus écologiques dans la thérapeutique des maladies courantes.

La promotion des médicaments génériques apporte déjà une solution intéressante pour limiter les dépenses en médecine de ville et retrouver une saine concurrence après les 10 années de monopole octroyées aux molécules nouvelles. Mais elle ne limite pas la surconsommation ni l’habitude de prescription.

Dans cette optique, comme thérapeutique de première intention, les plantes médicinales représentent une excellente solution alternative. Ce sont nos « génériques historiques ».

La désaffection apparente que leur porte l’industrie pharmaceutique ne s’explique ni par un manque d’intérêt scientifique car la recherche fondamentale est très développée, ni par des risques car la sécurité d’emploi est avérée dans la grande majorité des cas, lorsqu’elles sont employées par des professionnels de la santé formés à leur usage. Elle est tout simplement liée à l’impossibilité de déposer des brevets, donc de générer des revenus suffisants.

Les responsables des finances de la Nation et ceux de la Santé publique doivent bien prendre en compte cette réalité et favoriser une alternative au médicament breveté.

La solution d’avenir la plus fiable et la plus pérenne est de maintenir un réservoir de matières premières végétales de qualité, basées sur la Pharmacopée, susceptibles d’être utilisées en formulation magistrale par les médecins généralistes. C’est une solution élégante, personnalisée, source de bénéfices économiques et environnementaux, et de ce fait, d’une grande modernité.

En effet, la notion de « coût environnemental » n’a pas encore pénétré le monde de la pharmacologie. Les plantes médicinales étant prélevées dans l’environnement et y retournant, ce coût est nul. Il n’en est pas de même pour la plupart des médicaments actuels, car l’industrie pharmaceutique est bel et bien une industrie chimique.

Autre paradoxe, c’est justement à l’heure où la Sécurité Sociale cherche à promouvoir les génériques, où les médecins sont encouragés à ne pas prescrire trop d’antibiotiques, de psychotropes et d’autres médicaments modernes suremployés, qu’a été prise la décision toute récente de dérembourser la préparation magistrale de phytothérapie, donc d’en limiter l’accès aux faibles revenus, et de la marginaliser ou de la cantonner dans l’automédication avec les dangers que l’on peut observer.

Nul ne peut douter de son intérêt dans notre système de soins, pour peu qu’il connaisse les ressources de la Pharmacopée végétale. Et les patients qui recourrent à la phytothérapie sont souvent exemplaires dans leur comportement citoyen, mais se sentent peu récompensés.

De nombreux freins sont mis au développement de méthodes "pharm-écologiques[5]". Il flotte autour d’elles un parfum suranné, alors qu’elles sont particulièrement innovantes, utilisant interactions et synergies, valorisant écosystèmes et écophysiologie. La France est historiquement très avancée dans ce domaine, et riche de compétences mal exploitées.

La prise de conscience écologique occupe le devant de la scène médiatique et s’est imposée dans la campagne présidentielle française comme un défi majeur pour le futur.

La notion de développement durable doit aussi être appliquée à la médecine et assurer l’équilibre pour les générations futures.

Un grave problème commence à se profiler : l’accumulation dans l’environnement de substances médicamenteuses d’origine chimique, potentiellement toxiques.

Certains indices doivent nous interpeller : dans les estuaires des grands fleuves, la reproduction d’espèces de poissons est altérée. Les substances médicamenteuses à activité hormonale rejetées par la population seraient en cause, les stations d’épuration ne sachant pas les éliminer.

Les rejets d’antibiotiques commencent à poser des problèmes dans des lieux où l’équilibre microbiologique est fragile (fosses septiques, compostage).

On peut estimer la consommation française annuelle à environ 2000 tonnes d’antibiotiques (usage humain et vétérinaire, le plus important).

Extrapolons ce chiffre à tout le bassin versant de fleuves européens comme le Rhône[6] !

Plusieurs milliers de tonnes d’effluents médicamenteux sont ainsi déversés dans l’environnement, sans d’ailleurs que l’industrie n’ait obligation de leur recyclage, comme c’est le cas par exemple pour les substances dangereuses ou radioactives. Certains médicaments sont éminemment toxiques, en tout cas leur impact sur l’environnement n’est jamais nul.

Une ou deux générations nous séparent de la naissance de l’ère véritablement industrielle du médicament. Dans 20 ans,  dans 50 ans, qu’en sera-t-il ?

D’autres alternatives intelligentes et novatrices sont nécessaires. Etalées sur une génération, elles donneront de bons résultats et pourront entraîner un cycle vertueux.

Certains praticiens ont déjà intégré cette « médecine raisonnée » et sont le prototype des médecins de demain : ils ne refusent pas les progrès de la pharmacologie moderne, mais s’efforcent d’adapter, sans excès, la médication à sa véritable indication.

Mais une volonté politique est indispensable pour tester des solutions. Je formule donc deux

propositions :

1) Repérer une ou des régions-pilotes, où un enseignement de phytothérapie est dispensé en Faculté aux professionnels de la santé.

Définir des expérimentations sur thèmes  (de coût, d’efficacité, de sécurité d’emploi): par exemple alternatives à l’antibiothérapie chez les enfants, alternatives aux psychotropes chez les adultes, pour n’en citer que deux parmi bien d’autres pour lesquelles existent des solutions dignes d’intérêt. C’est sans aucun doute possible dans le cadre d’une plus grande autonomie des Caisses d’Assurance-Maladie. Avec un pilotage institutionnel, un contrôle par les professionnels et l’université, voici défini un véritable « laboratoire pour le futur ».

2) Réintégrer progressivement l’enseignement en Faculté de Médecine de la pharmacopée naturelle. C’est un élément fondamental pour une connaissance impartiale des médicaments et pour une limitation ultérieure des dépenses en médecine de ville.

C’est le moment, ayons une vision prospective, sans nous épuiser entre professionnels dans des querelles stériles, car la médecine et la pharmacie ont grand besoin d’une évolution épistémologique utile pour l’avenir de notre pays et celui de la planète.

Docteur Jean-Michel MOREL

97 rue Battant - 25000 BESANCON

tél 03 81 25 03 25 fax 03 81 25 03 26

email jeanmimorel@wanadoo.fr

Médecin Généraliste

Chargé de cours au Diplôme Universitaire de Phytothérapie et d'Aromathérapie à la Faculté de Médecine et Pharmacie de Besançon

Président de la Société Franc-Comtoise de Phytothérapie et d’Aromathérapie

 

 


 

[1] C’est la manière individuelle de répondre à un traitement, connue classiquement par exemple pour les médicaments de l’hypertension artérielle

[2] Le terme de « troubles fonctionnels » regroupe l’ensemble des symptômes qui n’ont pas de cause médicale (par opposition aux troubles lésionnels qui traduisent une maladie « organique »). Ils sont  à distinguer des troubles « psycho-somatiques »

[3] on doit conserver cette orthographe car son découvreur s’appelait Eschscholtz

[4] (WHO monographs on selected medicinal plants, volume 1. World Health Organization, Geneva, 1999)

[5] Néologisme inventé par le professeur Jean-Marie Pelt

[6] j’aimerais par exemple qu’un organisme indépendant évalue le tonnage annuel des effluents médicamenteux dans la Méditerranée

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