Martin Hirsh : "Protéger les consommateurs des risques et des dangers"

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 31/07/2008 Mis à jour le 17/02/2017
Comment protéger les consommateurs des risques et des dangers qui peuvent être liés à l’alimentation ? Martin Hirsh, ancien directeur de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) répond à des lycéens réunis au lycée agricole d’Albi par la mission agrobiosciences. Compte rendu.

D’un côté, grâce aux progrès des technologies et aux contrôles sanitaires, l’alimentation n’a jamais été aussi sûre et aussi diversifiée. De l’autre, les modifications des techniques et des procédés de fabrication font apparaître de nouveaux risques éventuels, inconnus jusqu’alors, comme l’a révélé la crise dite de la « vache folle ». Pour que la recherche continue de progresser sans pour autant faire courir de danger au consommateur, l’Etat a créé, en avril 1999, l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA) un établissement chargé, en toute indépendance et transparence, de surveiller et d’évaluer les risques possibles de contamination, d’informer et d’alerter les pouvoirs publics et les consommateurs. Longtemps directeur de l’AFSSA, Martin Hirsch rappelle les enjeux auxquels doit répondre cette agence, qui mène de nombreuses recherches.

 

La société dans laquelle nous vivons évolue cent fois plus vite qu’autrefois, grâce au bond en avant des technologies, qui s’appuient sur le progrès des connaissances scientifiques. Elle s’est construite autour d’un certain nombre de conforts mais génère en même temps toutes sortes de risques liés à l’accélération de ces innovations, aux évolutions économiques du monde, à notre mobilité, à nos modes alimentaires différents. Dans ce contexte, l’Etat s’est organisé pour veiller à ce que l’on ne découvre pas trop tard les effets négatifs de nos nouveaux modes de vie, que nous ne soyons pas amenés, par exemple, à consommer pendant dix ou vingt ans des aliments pouvant contenir des substances qui, par ailleurs, provoquent des maladies comme le cancer ou des déséquilibres nutritionnels entraînant l’augmentation de l’obésité dans nos sociétés industrialisées. L’idée de sécurité sanitaire des aliments s’est ainsi mise en place dans tous les domaines pour essayer d’instaurer des contre-pouvoirs aux effets du progrès et faire en sorte d’en récolter le moins possible les mauvais aspects.

Sang contaminé, vache folle et hormone de croissance

Prenons l’exemple de la médecine : elle a énormément évolué, en développant des médicaments, une chirurgie très efficace et de multiples techniques qui permettent de soigner des maladies. Mais, avec le développement de ces avancées, d’autres risques sont en même temps apparus. Rappelez-vous, il y a quinze ans, le problème du sang contaminé. A l’origine, il y a un fantastique progrès, avec l’invention de médicaments pour soigner les hémophiles, c’est-à-dire des personnes dont le sang coagule mal et qui, chaque fois qu’elles se coupent, peuvent saigner abondamment, jusqu’à être en danger de mort. Pour soigner cette maladie, on a créé des médicaments à partir notamment de sang collecté chez plusieurs milliers de donneurs. On ne s’est pas aperçu alors que l’émergence de nouveaux virus comme le sida faisait que ces médicaments pouvaient être le vecteur d’un danger mortel. Nous n’étions pas organisés pour dire aux fabricants, publics ou privés, qu’il était possible de contrôler ces produits pour éviter de distribuer des substances potentiellement dangereuses. Quelques années après, la même absence de vigilance et d’organisation a eu lieu quand s’est développée la maladie de la vache folle, l’Encéphalopathie Spongiforme Bovine (ESB) due à un agent infectieux, le prion. Jusque-là, nous ne connaissions qu’une maladie de ce type, appelée « tremblante ovine », chez les moutons. Pendant dix ans, on a douté que cette maladie puisse être transmissible à l’homme. On a considéré que c’était une affection de plus qui ne changeait rien à la sécurité des aliments provenant des vaches. Quelques personnes avaient cependant des soupçons. Elles se souvenaient d’une vieille histoire, dont je peux témoigner : quand j’avais sept ou huit ans, au début des années 70, la médecine a cherché à aider les enfants plus petits que la moyenne, pensant que leur petite taille les handicaperait pour mener une vie épanouie. C’était le début de la découverte de l’hormone de croissance. On a cru que donner aux hommes de l’hormone de croissance, comme on la donnait aux vaches, pouvait peut-être aider à les faire grandir un peu plus. Des milliers d’enfants en ont reçue. Il s’agissait d’une hormone naturelle que l’on prélevait dans le cerveau de gens décédés, au niveau de la glande hypophyse, pour la concentrer et la transformer en médicament. Cette fois encore, il a fallu plusieurs années, 15 ans, pour s’apercevoir que ces hormones pouvaient être prélevées dans les cerveaux de personnes ayant une maladie neurodégénérative, comme la maladie de Creuztfeld Jacob. Environ 10% des enfants ainsi traités ont été contaminés. Pourquoi, là encore, n’a-t-on rien vu venir ? Parce qu’on tenait le raisonnement suivant : ce qui est fait pour soigner les gens est forcément bien. Il n’est donc pas nécessaire d’être infaillible dans les chaînes de contrôle et que des personnes extérieures vérifient ce qui est fait par celui qui produit le médicament. Fait étonnant : c’est le même agent, le prion, qui provoque la maladie des enfants traités par l’hormone de croissance et celle qui, partant des vaches, a été transmise à des hommes. 150 Anglais et 9 Français ont ainsi contracté la forme humaine de la maladie de la vache folle. C’est pour conjurer ces risques, pour agir plus efficacement et avant que le problème ne survienne, que l’on a créé les agences de sécurité sanitaire.

Des rêves d’enfant à la création d’une agence de sécurité sanitaire

 

Pour ma part, je me suis intéressé à ces domaines grâce à la science. Quand j’avais votre âge, je voulais comprendre comment fonctionne le cerveau, pourquoi les gens deviennent fous, pourquoi certains sont plus intelligents que d’autres, pourquoi les uns souffrent plus que d’autres... Je voulais être psychiatre et neurobiologiste. J’ai commencé des études de médecine d’un côté et des études scientifiques de neurobiologie de l’autre. Et puis, des deux côtés, je me suis aperçu que je n’arriverais peut-être pas à être un bon chercheur.

En neurobiologie, j’ai travaillé dans un laboratoire sur un médicament censé combattre la douleur. Lorsqu’on souffre, notre corps secrète une hormone appelée l’endorphine. Il s’agit d’une morphine naturelle qui permet d’atténuer la douleur. Le problème, c’est que cette molécule est très vite détruite par des enzymes qui viennent la casser, la couper. Les chercheurs ont donc eu l’idée de bloquer cet enzyme pour que les effets de l’endorphine durent plus longtemps. J’ai ainsi travaillé au développement d’un médicament qui pourrait remplacer la morphine qui provoque un certain nombre d’effets secondaires. Ce médicament fonctionnait sur les rats ou dans les éprouvettes : il parvenait à bloquer les enzymes. Sauf que lorsque vous administrez ce médicament à un être vivant, une barrière entre les méninges empêche à cette substance présente dans le sang d’arriver jusqu’au cerveau. Du coup, ce médicament a eu d’autres applications : les mêmes récepteurs existant dans les intestins, il a été utilisé contre… la colique ! A l’époque, je me suis dit : la recherche, c’est bien beau, mais si je travaille pendant des années pour faire des médicaments contre la colique, je vais avoir du mal à mener des recherches sur le cerveau et à réaliser mes rêves d’enfant... Du côté des études de médecine, c’était également compliqué : j’avais l’impression que j’étais trop maladroit. J’ai abandonné mes études au début de la sixième année en me disant que je risquais de faire plus de dégâts qu’autre chose ! Mais, considérant d’un côté la médecine, de l’autre la science, je me suis dit qu’il serait vraiment utile d’organiser la protection de ceux qui ne savent pas se défendre contre des effets potentiellement dangereux, soit de la médecine, soit de la science. C’est pourquoi je me suis impliqué dans la création d’une agence qui oeuvrait en ce sens, l’AFSSA, l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments.

La protection du consommateur

 

Cette agence de sécurité sanitaire a été créée pour faire en sorte que les scientifiques soient au service de la protection du consommateur. Il y a beaucoup de chercheurs dans les laboratoires, qui innovent et font avancer la science. Mais il faut aussi que d’autres scientifiques contrôlent ces inventions, pour être sûrs qu’une innovation, diffusée à l’échelle de la planète, ne se retourne pas contre le consommateur, auquel on aura expliqué pendant des années que ce qu’on lui apporte est merveilleux. On a connu, au cours de ces dernières années, de telles situations, en dehors des questions de sécurité alimentaire, ayant parfois entraîné un nombre de morts considérable. Prenons l’exemple de l’amiante. L’amiante a été considéré comme un matériau très intéressant pour isoler, en particulier du feu. On a donc décidé d’en mettre partout, pour empêcher les structures de brûler et donc, ainsi, de sauver des gens en cas d’incendie. Le problème, c’est que l’amiante dégage de petites fibres qui, lorsqu’elles pénètrent dans le poumon, risquent de provoquer un cancer. Le résultat est qu’aujourd’hui, en France, environ 2 000 personnes meurent, chaque année, de cancers provoqués par l’amiante. Au total, presque 100 000 personnes en France vont mourir à cause de cela. Pour vous donner un ordre de grandeur, chaque année, toujours dans notre pays, 5 000 à 8 000 personnes meurent dans des accidents de la route, 30 000 à 50 000 meurent à cause du tabac. Quant à la maladie de la vache folle, on sait qu’elle a touché un grand nombre de bovins, et que beaucoup de gens ont mangé des produits provenant de ces animaux contaminés. Heureusement, l’homme est moins sensible que ces derniers à l’agent infectieux, le prion, et, par conséquent, on ne compte actuellement qu’une dizaine de morts liés à cette nouvelle maladie de la vache folle chez l’homme.

Les OGM sont-ils dangereux ?

 

Les OGM, Organismes Génétiquement Modifiés, constituent un exemple intéressant car ils sont le pur produit de 30 à 40 années de progrès fabuleux en biologie, au cours desquelles les scientifiques ont compris ce qu’étaient les gènes et l’ADN. Les chercheurs ont appris à faire passer un gène d’une bactérie à une autre, d’une plante à une autre, d’un mammifère à une plante, d’une plante à un mammifère... Ils savent désormais transférer un gène d’une bactérie à une plante et faire ainsi qu’une plante, sans utilisation de pesticides, se protège des insectes ou des parasites, en fabriquant elle-même ses défenses. Dans le même temps, la communauté scientifique s’est demandée si ces innovations faisaient courir des risques à la population. Ceux qui ont posé cette question ont été suffisamment persuasifs pour qu’on arrête, à un moment donné, de diffuser ces techniques en Europe.

L’AFSSA a bien entendu été interrogée à ce propos. Nous devions répondre à trois grandes questions : les OGM sont-ils dangereux ? Sont-ils utiles ? Si ces organismes sont autorisés, une agriculture sans OGM pourra-t-elle encore exister ? Les réponses à ces trois questions ne sont pas simples. Les OGM sont-ils dangereux ? On peut fabriquer des organismes extrêmement dangereux. On peut aussi en créer qui soient aussi bien contrôlés que des médicaments et dont on pourra dire qu’ils ne sont pas plus dangereux qu’un autre produit alimentaire classique. Mais il ne suffisait pas d’avoir répondu que l’on savait faire des OGM pas plus dangereux qu’autre chose, pour affirmer que l’on avait forcément besoin des OGM.

Et sont-ils utiles ?

 

Car après tout, les OGM sont-ils utiles ? Un scientifique est alors venu nous présenter un produit de son invention, le riz doré, qui contient le gène de la vitamine A, essentielle pour la vue. Faute d’un apport suffisant, des centaines de milliers d’enfants dans le monde deviennent aveugles chaque année. Or une grande partie d’entre eux vivent dans des pays où l’on cultive et consomme du riz. Nous avons donc demandé à ce chercheur si une comparaison de résultats avait été faite entre des enfants mangeant du riz standard et ceux qui consommaient le riz doré. Il nous a répondu que cela n’avait pas encore été fait. Alors, nous y avons regardé de plus près. Et il nous a été impossible de déterminer s’il fallait manger 4 kilos ou 400 grammes de ce riz, chaque jour, pour qu’il soit efficace. Aussi, tant que des expériences n’auront pas été réalisées, c’est raconter des « sornettes » que de dire qu’avec ce riz doré, on va sauver les enfants du Tiers-Monde. De même, très souvent, on explique que les OGM vont permettre de résoudre les problèmes de la faim dans le monde, parce que l’on va créer des végétaux qui poussent dans des sols où il n’y a pas d’eau. Sauf que l’on constate que les OGM, réellement utilisés, poussent là où il n’y a pas de problème de faim, dans des plaines proches d’ici ou aux Etats-Unis. La troisième question était de savoir si une agriculture sans OGM pouvait quand même se maintenir en cas d’autorisation de ces plantes. La réponse est très floue, à cause du mélange de semences et de graines dont on peut difficilement retrouver l’origine. Cela inquiète les agriculteurs biologiques qui disent que lorsque des OGM auront été disséminés un peu partout, on ne pourra plus affirmer qu’une agriculture est à 100% exempte d’OGM.

Construire ses rêves selon ses désirs

 

Tel est donc le rôle de l’AFSSA : à partir d’une question très basique - faut-il avoir peur des OGM ?-, elle sert à poser d’autres questions et à faire travailler des experts indépendants pour aider à faire des choix correspondant à la société que l’on désire. Au bout du compte, le message que je voudrais faire passer est le suivant : quelles que soient les envies que l’on a à 16, 17 ou 18 ans -des envies qui, moi, m’ont conduit à m’engager professionnellement dans la sécurité sanitaire et dans le mouvement Emmaüs-, contrairement à tout ce que l’on va vous faire croire en vous disant que vous n’avez pas le choix, que vous n’êtres pas libre de votre destin, on peut essayer de construire ses rêves. Si on pense qu’il faut protéger ceux qui n’ont pas les moyens de s’approvisionner dans un système alimentaire très contrôlé, on peut essayer de le faire en exigeant de tous les acteurs de la chaîne agroalimentaire qu’ils respectent les règles de sécurité. Si on considère que l’on vit dans un monde où les progrès de la science augmentent les inégalités plus qu’elles ne les réduisent, on peut aller dans des secteurs où l’économie est plus solidaire. Alors que tout le monde vous convaincra qu’il faut consommer comme on vous dit de le faire, agir comme on vous dit d’agir, voter comme on vous dit de voter, on peut, à travers ses études, son parcours, ses convictions, tracer son petit sillon pour agir, consommer, choisir selon ses désirs.

Directeur général de l’Agence Française de la Sécurité Sanitaire des Aliments de 1999 à 2005, Martin Hirsch avait également, auparavant, dirigé la Pharmacie Centrale des Hôpitaux. Ce neurobiologiste de formation, également énarque, est Maître des requêtes au Conseil d’Etat, a été directeur de cabinet du ministre de la Santé, Bernard Kouchner et a enseigné à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris ainsi qu’à l’E.N.A. Il a signé plusieurs ouvrages dont « L’affolante histoire de la vache folle », chez Balland, en 1996, « Ces peurs qui nous gouvernent », chez Albin Michel en 2002.

A découvrir également

Back to top