Jean-Bernard Ruidavets : "Les kilos en trop nuisent à la mémoire"

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 22/11/2006 Mis à jour le 21/11/2017
Le surpoids ennemi des performances intellectuelles ? C’est ce que suggère une étude française. La Nutrition.fr a rencontré le Dr Jean-Bernard Ruidavets qui a mis en évidence, avec ses collègues de la faculté de médecine de Toulouse (Inserm U 558) et du laboratoire Travail et Cognition (CNRS, Université Toulouse 2), une relation entre l’excès de poids et certaines capacités cognitives dans une population adulte d’âge moyen en bonne santé.

L’étude

Les deux équipes de chercheurs ont voulu savoir s’il existe une relation entre l’indice de masse corporelle (IMC) et les performances dans des épreuves de mémoire, d’attention, et de vitesse de traitement de l’information. Pour cela, ils ont suivi 2 223 hommes et femmes âgés de 32 à 62 ans. Dans le cadre de l’étude VISAT (lire encadré), ils ont fait passer ces tests aux volontaires en 1996 puis en 2001. Ils ont ensuite regardé si les capacités intellectuelles évoluent avec l’IMC.


L’étude VISAT (étude longitudinale de la relation VIeillissement, SAnté, Travail) dirigée par Jean-Claude Marquié, du Laboratoire travail et Cognition, est organisée par des médecins du travail des régions Midi-Pyrénées, Aquitaine et Languedoc-Roussillon, et des chercheurs spécialisés dans l’étude du vieillissement, l’ergonomie et la santé au travail. Elle a été mise sur pied pour déterminer de quelle manière les conditions de travail affectent dans le temps la physiologie et la psychologie des individus. Cette étude contribue à diminuer les facteurs de risque dans les milieux professionnels et favoriser des mesures permettant un vieillissement plus réussi.



Les résultats

Dans l’ensemble des tests, les performances des personnes dont l’indice de masse corporelle est élevé étaient inférieures à celles des individus minces. Par exemple lors du test de mémoire, les personnes qui avaient un IMC de 20 kg/m² (les minces) retenaient en moyenne 9 mots sur 16, alors que celles dont l’IMC était de 30 kg/m² (les corpulentes) ne se souvenaient que de 7 mots. De plus, les chercheurs ont noté que la mémoire des personnes les plus fortes avait légèrement baissé au cours des 5 ans qu’a duré l’étude.


L'entretien


LaNutrition.fr : En tant que spécialiste des maladies cardiovasculaires, qu’attendiez-vous d’une étude concernant les performances intellectuelles ?

Jean-Bernard Ruidavets : En fait, j’ai été invité à participer à l’étude VISAT par les responsables du projet pour travailler sur les facteurs de risques des maladies cardiovasculaires. Je cherchais les meilleurs moyens de prévenir les accidents vasculaires cérébraux et autres infarctus du myocarde.

Mes travaux actuels concernent l’athérosclérose. On sait que les tests cognitifs peuvent être des révélateurs de la présence d’athérosclérose ; il était intéressant de savoir si la mémoire se dégrade lorsque l’athérosclérose progresse.

C'est en faisant ce test que nous nous sommes rendus comptes du lien entre le surpoids et les capacités intellectuelles. Mais nous ne nous attendions pas du tout à ces résultats.


Est-ce que ça signifie que seuls les obèses peuvent avoir des problèmes de mémoire ?

Non, là n’est pas notre propos. Il faut rappeler que l’obésité commence à partir d’un IMC supérieur à 30. Or, dans l’étude VISAT, les sujets ne sont pas tous obèses. Nous les avons simplement classé par niveaux d’IMC.

De ce fait, nous avons pu observer les résultats aux tests cognitifs réalisés par tous les participants, qu’ils soient minces ou corpulents.


Comment expliquez-vous ce lien entre l’IMC et les fonctions cognitives ?

Il pourrait s’expliquer par l’action de substances sécrétées par les cellules adipeuses sur le tissu neuronal ou par les conséquences vasculaires de l’obésité, déjà mises en cause dans certaines démences.

Deux hypothèses nous sont proposées :

- la première concerne la leptine. Cette hormone, connue pour affecter le comportement alimentaire et la thermogenèse, jouerait un rôle dans les mécanismes d’apprentissage et les processus de mémorisation ; c’est du moins ce que révèlent certaines études sur les souris.

- la seconde est relative à l’athérosclérose et autres facteurs vasculaires : parce qu’ils sont généralement associés aussi bien à l’obésité qu’à la démence, ils peuvent être considérés comme facteurs explicatifs. En effet, des micro-lésions vasculaires pourraient entraîner de moins bons résultats aux tests cognitifs. De la même manière, la résistance à l’insuline pourrait être en cause car elle est associée à ces deux pathologies. Mais ces résultats doivent pour l'instant être interprétés avec prudence.


Quelle est la prochaine étape de vos recherches ?

Nous voulons confirmer ces résultats sur une durée plus longue. Aujourd’hui, nous n’avons que des mesures cliniques. Il faut donc mettre en place une nouvelle étude comprenant des prélèvements sanguins afin d’étudier, par exemple, certains facteurs génétiques.

Mais pas seulement : les tests cognitifs devront être associés à d’autres mesures que l’IMC comme la prise en compte de graisses corporelles de différentes natures.


Si je suis trop gros et que je décide de maigrir est-ce que ma mémoire va s’améliorer ?

Nous ne le savons pas encore, mais l’étude que nous mettons sur pied va tenter entre autres de répondre à cette question. Nous allons demander à des volontaires de maigrir ou de grossir pour vérifier si leurs performances intellectuelles varient également. C’est un protocole difficile à mettre en œuvre. Les résultats ne seront disponibles que dans 5 ans.

 

Bibliographie

M. Cournot, J.-C. Marquié, D. Ansiau, C. Martinaud, H. Fonds, J. Ferrières, and J.-B. Ruidavets, (October 2006), « Relation between body mass index and cognitive function in healthy middle-aged men and women », Neurology, n°67, pp. 1208–1214.

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