Pr Jean-François Narbonne : tout ce qui n’a pas été dit sur les incinérateurs

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 14/12/2006 Mis à jour le 10/03/2017
Jean-François Narbonne est Professeur de toxicologie à Université Bordeaux 1. Il est l'auteur du livre Sang pour Sang toxiqueIl réagit au traitement par la presse des résultats de l'étude de l'Institut de Veille Sanitaire (InVS) sur la toxicité des incinérateurs : "je suis profondément outré".

J’ai assisté Mercredi matin à l’exposé des résultats des deux études effectuées par l’Institut de Veille Sanitaire (InVS) sur les Unités d’Incinération des Ordures Ménagères (UIOM) comprenant d’une part une étude d’incidence des cancers à proximité des UIOM et d’autre part une étude sur les imprégnations par les dioxines des populations vivant à proximité d’IUOM en collaboration avec l’AFSSA. Le même jour paraissait un communiqué de l’AFP donnant une vision très partielle et très déformée de ces résultats et qui passe sous silence l’importance des résultats en taisant tout ce qu’ils impliquent dans la démonstration des carences des autorités de santé publique et des administrations qui en sont chargées. Ayant été ce que l’on appelle « un lanceur d’alerte » sur les effets santé liés à l’exposition aux dioxines par les UIOM de première génération, je suis profondément outré devant la présentation de résultats qui donne une perception déformée par le public alors qu’ils confirment un scandale de même nature que celui de l’amiante.

Il s’agit donc de rétablir la vérité des faits, de montrer l’importance de ces résultats attendus depuis 18 ans et d’en montrer toutes les répercussions, y compris pour les risques des populations vivant aujourd’hui à proximité des UIOM actuels.

En fait quel était le but de ces deux études ?

- L’étude sur l’incidence des cancers portant sur une période de 1990 à 1999 devait traduire les effets d’expositions à des émissions d’UIOM première génération (sans traitement de fumées) depuis les années 1970 ou 1980. Il s’agissait donc de vérifier si les risques dénoncés par les toxicologues dans les années 1980 étaient des risques fantasmés ou des risques réels.

- La deuxième étude sur les taux d’imprégnation des riverains d’UIOM et sur les voies de contamination devait servir à établir une surexposition éventuelle contribuant à établir un lien de causalité entre effets santé et contaminants émis par les UIOM.

Les résultats de la première étude montrent que pour les populations exposées au panache des fumées émises par les UIOM de première génération on note une très faible élévation de l’incidence de certains cancers (de l’ordre de 10%) à la limite de la signification statistique. Ces résultats viennent donc confirmer les risques prédits par les toxicologues et niés fortement par nombre d’autorités médicales (en particulier le PR TUBIANA) et par les experts de l’Académie des Sciences auteurs du fameux rapport du CADAS en 1994 connu aujourd’hui comme modèle de langue de bois et d’information scientifique biaisée.

Les résultats de la deuxième étude sont encore plus intéressants car ils montrent que les populations exposées aux retombées des fumées d’UIOM n’ont pas eu dans l’ensemble de surexposition aux dioxines puisque la voie aérienne n’est pas vecteur significatif d’exposition. En fait la voie de contamination passe par un dépôt des poussières sur les végétaux et les sols et le transfert à l’homme se fait par consommation d’aliments gras issus d’animaux élevés sur les sols et les champs contaminés (lait et viande de bovins et œufs de poules en liberté). Il s’agit donc d’une faible partie de la population vivant dans les zones de retombées (en particulier certains agriculteurs) et présentant une surexposition significative.

On pourrait donc penser que la faible augmentation d’incidence des cancers dans les zones exposées traduit un faible nombre de personnes surexposées.

On voit donc que la dépêche AFP ne traduit absolument pas la nature exacte des résultats et cherche à renforcer la confusion entre incidence de cancers et UIOM actuels. De plus la première norme évitant les retombées des poussières date de 1989 pour la norme européenne et de 1991 pour sa traduction en droit Français. La nouvelle norme européenne de 2005 n’a fait que renforcer la diminution des émissions mais dans une plus faible proportion que la norme 1991.

En dehors de ces manipulations d’écritures les résultats des deux études donnent des informations très importantes sur le fonctionnement des autorités de santé publique.

Le vrai problème a donc été que la France a mis 14 ans pour ce mettre en conformité avec cette norme européenne, (le dernier incinérateur polluant a été fermé sur intervention de Roselyne Bachelot en Janvier 2003 !!!!) entraînant ainsi une surexposition d’une partie des populations pendant dix ans de trop. La raison de ce retard a été une non reconnaissance des risques liés aux dioxines par les autorités de santé publique, ce qui n’est qu’un cas de plus démontrant l’autisme de ces autorités par rapport aux risques chimiques. En fait le corps médical n’admet un risque pour la santé que lorsqu’il est démontré par les études épidémiologiques. Or il n’existait pas avant la création de l’InVS de structures publiques chargée de ces constats. Il y a donc un décalage d’environ 20 ans entre le lancement de l’alerte par un toxicologue (cas d’Henri Pezerat pour l’amiante) et l’évidence épidémiologique acceptée par les autorités de santé publique. Au contraire dans l’intervalle tout est mis en œuvre pour faire taire le lanceur d’alerte pouvant aller jusqu’à la fermeture de son laboratoire (j’en ai fait l’expérience) et à la sollicitation de sommités médicales ou des académies de science ou de médecine pour démontrer l’absence de risques et dénoncer les « agitations médiatiques de chercheurs en mal de crédits » qualification habituelle des lanceurs d’alertes. En fait on demande aux personnes exposées ou malades, de démontrer par elles mêmes que leurs problèmes de santé ont un lien de causalité avec une source de pollution. De nombreux exemples montrent que des lettres d’alertes sur des fréquences inhabituelles de certaines maladies chez des riverains d’installations polluantes sont restées sans réponses de la part des autorités de santé publiques ou même des DRIRE. Il y a même des exemples d’UIOM polluantes ayant fonctionné plus de 15 ans sans autorisation d’ouverture.

Ce vrai scandale devrait aboutir à une refonte complète de notre système de santé publique pour l’orienter fortement vers la prévention. Ce sujet pourrait enfin faire partie des discussions dans le cadre des campagnes électorales à venir.

On peut constater que les premiers pas dans ce sens comme la création des agences de sécurité sanitaire et de l’InVS donnent les premiers résultats spectaculaires sur l’évaluation des risques chimiques. On peut féliciter les équipes qui ont initié et conduit ces études dans des conditions techniques pour le moins difficile. De plus il a fallu le lancement du plan cancer pour financer ces études qui étaient déjà recommandées en 2000 par le rapport INSERM d’expertise collective sur les dioxines. Enfin de nombreuses associations « environnementalistes » demandent aujourd’hui l’application du principe de précaution pour les incinérateurs actuels. Il s’agit la aussi d’une manipulation de l’information car le principe de précaution devait s’appliquer en 1994, période ou les plans départementaux prévoyaient la multiplication d’incinérateurs alors que les autorités publiques étaient incapables de faire appliquer les normes en vigueur. Nous étions peu nombreux à l’époque à nous battre contre ces plans. Aujourd’hui il s’agit d’appliquer simplement le principe de prévention c’est à dire de mettre en œuvre des mesures visant à supprimer ou a limiter au maximum l’exposition des riverains d’UIOM. Il est par contre urgent de se mobiliser pour que l’InVS étende ses investigations sur les effets d’autres polluants chimiques préoccupants (voir les études d’imprégnation de WWF). Les résultats des études InVS montrent que le principe de prévention (limitation de l’exposition) permet d’assurer l’absence de risques. Si l’on peut discuter de la place de l’incinération dans les filières de traitement des déchets ménagers aujourd’hui, il s’agit d’arguments techniques mais plus d’arguments de santé publique.

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