Isabelle Robard : Compléments alimentaires, la France a enfin une réglementation

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 04/07/2006 Mis à jour le 17/02/2017
Maître Isabelle Robard, Docteur en droit

Depuis la fin des années 1990, la France « réfléchissait » à la mise en place d’une réglementation sur les compléments alimentaires. Elle avait transmis divers projets à la Commission de Bruxelles (pour avis obligatoire) mais aucun n’avait reçu l’aval de celle-ci.

Au contraire, Bruxelles avait condamné la France à plusieurs reprises ces dernières années pour avoir de manière presque systématique empêché les consommateurs français d’avoir accès à des substances naturelles qui sont librement vendues partout ailleurs. Les autorités sanitaires françaises ont enfin fini par bouger en adoptant un décret conforme à la réglementation européenne. Une belle avancée pour les droits des malades et des bien portants.

Dix ans de condamnations

De nombreuses plaintes, faute du retard réglementaire français, se sont accumulées contre la France à propos des compléments alimentaires. La France restreignait leur circulation et leur usage sous le prétexte que les substances en cause (dont la vitamine C) « présenteraient un risque pour la santé. » Les autorités françaises ont pendant des années et encore récemment poursuivi en justice et réclamé des peines de prison contre des sociétés qui vendaient des compléments alimentaires, des magasins diététiques et même des consommateurs, en se réclamant d’un texte réglementaire de 1912. Voici comment la Commission de Bruxelles s'exprimait notamment à ce sujet :

 « Incompatibilité avec le droit communautaire des mesures d'interdiction des produits visés prises par les autorités françaises ainsi que des saisies et des poursuites judiciaires engagées à l'encontre des opérateurs économiques ayant commercialisé ces produits en France compte tenu du fait que ces mesures ou poursuites ont été engagées sans que soit établi que les produits en cause présentaient un risque pour la santé publique. »

Mais, la France malgré quelques tentatives pour réglementer, s’évertuait à présenter des projets de décrets toujours incompatibles avec la libre circulation des marchandises.

C’est ainsi qu’en février 1999, la Commission de Bruxelles transmettait aux pouvoirs publics français un avis circonstancié invitant la France à "revoir sa copie" sous peine de poursuites :

« Dans le cas où le texte du projet de règle technique sous examen serait adopté sans que soient prises en considération les objections formulées dans le présent avis circonstancié, la Commission considérerait ce dernier comme valant mise en demeure au sens de l'article 169 du Traité CE...

« La Commission invite le gouvernement français à lui communiquer, dès son adoption, le texte définitif du projet de règle technique. Le défaut de communication de ce texte serait constitutif d'une infraction … que la commission se réserve de poursuivre. »

La critique du projet reposait sur les observations suivantes émises par la Commission :

« La Commission attire l'attention des autorités françaises sur la définition des compléments alimentaires qui figure à l'article 1 du projet notifié.

D'après cette définition, les compléments alimentaires doivent « pallier l'insuffisance... des apports journaliers alimentaires ». Il semble donc que les compléments alimentaires doivent répondre strictement à un besoin nutritionnel, de sorte que leur contenu en nutriments est très proche des doses journalières recommandées pour ces nutriments. La Commission estime que cette définition restrictive pourrait conduire à ce que des compléments alimentaires légalement produits ou commercialisés dans certains autres Etats membres ne puissent être mis sur le marché car ne répondant pas à cette définition. Certains Etats membres autorisent en effet les compléments alimentaires contenant des nutriments dans certaines limites de sécurité qui dépassent les doses journalières recommandées. »

Le 10 juin 2002, Bruxelles adopte une directive européenne sur les compléments alimentaires qui met la France en porte à faux, toujours sans réglementation adaptée et intermédiaire entre l’aliment brut et le médicament. Les condamnations de Bruxelles contre la France continuent à pleuvoir.

Finalement, par un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes de septembre 2005, la France est condamnée pour ne pas avoir transposé dans les délais la directive européenne du 10 juin 2002 (délai maximum de transposition : juillet 2003).

« En ne prenant pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2002/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 juin 2002, relative au rapprochement des législations des Etats membres concernant les compléments alimentaires, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive ».

Le résultat ne s’est pas fait attendre…

 

La France se met enfin au diapason de l’Europe

Le 20 mars 2006, soit 6 mois après la condamnation européenne, la France prend enfin un décret relatif aux compléments alimentaires.

Elle reprend la même définition de complément alimentaire que la directive européenne en prévoyant toutes les formes possibles de présentation (gélules, pastilles, sachets de poudre ...).

Le décret français va même plus loin que la directive européenne en visant non seulement les vitamines et les minéraux mais aussi les substances à but nutritionnel ou physiologique autres que les vitamines et minéraux ainsi que les plantes et préparation de plantes. Un arrêté viendra fixer une liste des nutriments et substances autorisés.

Ces listes pourront être enrichies par un système d’autorisation déclarative lorsque la substance, absente des listes françaises, sera vendue et légalement fabriquée dans un autre pays membre de la Communauté européenne ou de l’Espace économique européen.

Cette autorisation est délivrée après un avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa).

Conclusion 

Cette avancée incontestable pour les consommateurs français se heurte néanmoins à la limite suivante : reste à savoir si l’Afssa opposera des refus systématiques ou fera preuve d’ouverture pour les nouvelles substances…

Affaire à suivre… Quoiqu’il en soit, grâce à la l’Europe, la France a été contrainte par Bruxelles de revoir totalement sa position. Une bonne leçon pour la France désormais obligée de respecter le libre choix nutritionnel et thérapeutique.

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