Les super-centenaires du XXe siècle

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 17/05/2006 Mis à jour le 10/03/2017
Depuis 40 ans, ils nourrissent les rêves de longévité des occidentaux. Ce sont les super-centenaires mythiques des vallées reculées de Caucase, du Pakistan ou des Andes. Enquête sur des êtres hors du commun très controversés…

Dans les années 1960, trois régions isolées du monde, les montagnes Karakoram, le Caucase et le Nord des Andes, sont apparues comme des sortes de paradis sur Terre où les super centenaires étaient légion. Dans un article du National Geographic datant de 1973, le Dr Alexander Leaf (université de Harvard, Boston, Massachusetts) détaille ses voyages dans ces contrées aux centenaires mythiques : Hunza au Pakistan, l’Abkhazie dans l’ex-URSS et Vilcabamba en Équateur. Selon le Dr Leaf, il y avait 10 fois plus de centenaires dans ces régions que dans les pays occidentaux ! Et fait plus extraordinaire encore : cette longévité exceptionnelle prenait racine dans des territoires caractérisés par « des conditions sanitaires insuffisantes, une mortalité infantile importante et un manque total de soins médicaux modernes » (1). De quoi intriguer le moins curieux des scientifiques…

A la découverte des super-centenaires


La vallée de Hunza

Au Nord du Pakistan, en bordure de la région autonome de Xinxiang rattachée à la Chine, se dessine la vallée de Hunza. La longévité de ses habitants a été mentionnée pour la première fois en 1921 par le Dr Robert McCarrison, un médecin écossais. Selon McCarrison, la plupart des hommes de Hunza vivaient entre 120 et 140 ans (2). L’explorateur Lowell Thomas, rendant visite au peuple de Hunza en 1957 a également noté leur longévité exceptionnelle. En 1958, Allen Banik, un ophtalmologue américain, confirme l’extraordinaire longévité et la remarquable santé des habitants de cette région. Dans son livre Hunza Land, il écrit : « je n’ai pas mis longtemps à découvrir que tout ce que j’avais lu sur la vie éternelle et la santé de cette contrée minuscule était vrai. […] J’ai examiné les yeux de certains habitants les plus âgés de Hunza et je les ai trouvé parfaits » (3). En 1964, deux cardiologues américains, Paul White et Edward Toomey, réalisent un certain nombre de tests sur des habitants particulièrement âgés. Ils relèvent des taux de cholestérol normaux voire bas et notent l’absence d’hypertension (4). Les habitants de la vallée rapportent aux scientifiques leurs habitudes alimentaires et en particulier la consommation de grandes quantités de fruits et de légumes, avec un goût prononcé pour les abricots, noyaux compris. Leur principale source de lipides provenant ainsi de l’huile de graines d’abricots.

Les Occidentaux ne tardent pas à s’emparer de cette recette de jouvence. Le régime basé sur la consommation d’abricots constitue ainsi le fondement d’une théorie développée dans les années 1970 par le biochimiste Ernst T. Krebs Sr et son fils Ernst T. Krebs Jr : « la théorie anticancéreuse des noyaux d’abricots ». Selon les Krebs père et fils, le noyau d’abricot contient un composé anti-cancer qu’ils baptisent laétrile ou vitamine B17, plus connu aujourd’hui sous le nom d’amygdaline. L’acteur Steve McQueen, souffrant d’un cancer des poumons, a essayé alors de combattre sa maladie avec un programme thérapeutique qui incluait ce médicament controversé.


Aux confins des montagnes du Caucase

L’Abkhazie, une ancienne république de l’Union Soviétique, s’étend des rives orientales de la Mer Noire aux crêtes de la principale chaîne du Causase. Les Abkhazes sont réputés depuis longtemps pour leur espérance de vie. Un programme d’étude soviétique sur la longévité révèle dès 1961 leur santé et leur espérance de vie exceptionnelles. En 1971, l’anthropologue polonais Sula Benet mentionne la longévité des Abkhazes dans un article du New York Times devenu célèbre (5). Deux livres suivent la parution de l’article : des best-sellers (6) (7). Dans son premier ouvrage, Sula Benet raconte qu’elle a bu du vin et discuté avec un homme dans un petit village. Lui donnant à peu près 70 ans, elle lève son verre et propose un toast à sa longue vie. « Puissiez-vous vivre aussi longtemps que Moses » s’exclame-t-elle.

 

La longévité comme argument économique

Lorsque le Dr Leaf est retourné à Vilcabamba après son premier rapport anecdotique dans le National Geographic, il a découvert que cet article avait apporté une notoriété à ce lieu qui était devenu très touristique. Il était même considéré comme le sauveur économique de la région par le gouverneur local. Et en 1978, en dépit des soupçons qui commençaient à peser sur tous les centenaires « exotiques », des investisseurs japonais négociaient avec les autorités locales la construction d’un hôtel tandis qu’un entrepreneur américain planifiait la mise en vente de bouteilles d’eau venant de la rivière de Vilcabamba. Aujourd’hui encore, le site de l’office du tourisme de Vilcabamba décrit cette région comme « la Vallée de la Longévité », « où les années sont ajoutées à votre vie et où de la vie est ajoutée à vos années ».


Moses a en effet vécu jusqu’à 120 ans. L’homme avoue alors à une Benet ébahie qu’il en a déjà 119 !
D’autres faits similaires ont été rapportés dans les années 1960 et 1970 dans les républiques voisines de l’Abkhazie : l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Géorgie. Pendant la période soviétique, l’Azerbaidjanais Shirali Muslimov est ainsi devenu officiellement le doyen de l’humanité. En 1964, le gouvernement lui a fêté son 156e anniversaire en grande pompe : les membres officiels du gouvernement étaient présents et un documentaire a été tourné. En 1966, sa photo paraît dans le magazine Life alors qu’il est supposé avoir 161 ans. Shirali meurt finalement le 4 septembre 1973 à l’âge de 168 ans. Selon l’agence soviétique Tass qui promouvait son record de longévité depuis 10 ans, Shirali attribuait sa longévité à une vie active et à un dur labeur.

La pointe méridionale de l’Équateur

Le village andin de Vilcabamba dans le Sud de l’Équateur bénéficie d’une espérance de vie extraordinaire selon un rapport gouvernemental publié en 1971 qui révèle un fort taux de centenaires. Dans cette région, c’est une tradition : les habitants revendiquent tous une espérance de vie supérieure à 120 ans. En visitant pour la première fois Vilcabamba, le Dr Leaf a été convaincu que cette réputation n’était pas usurpée. En effet, plusieurs habitants lui ont été présentés. Miguel Carpio, à 121 ans, continuait à fumer, boire et courir après les femmes. Hermelinda Leon, 94 ans, tenait pour sa part d’une main de maître la boulangerie de Vilcabamba et était alors la coqueluche des gérontologues occidentaux. Le Dr Donald Davies de la faculté de médecine de Londres a, quant à lui, rencontré un certain nombre d’hommes et de femmes de 150 ans toujours actifs et en bonne santé. Dans son livre « Les centenaires des Andes », Davies attribue la longévité de ces villageois et des autres Andins à la forte teneur de leur alimentation en minéraux-trace comme l’or, le cadmium ou le magnésium.


Des preuves scientifiques tangibles ?

Est-ce que ces longévités exceptionnelles sont scientifiquement crédibles ? Difficilement. En effet, dans ces contrées reculées, il n’existe souvent aucun registre de naissance fournissant une trace écrite fiable. Ainsi il est facile de s’autoproclamer centenaire et se jouer ainsi des scientifiques et des médias. En 1982, le Dr Leaf lui-même reconnaît qu’un grand nombre d’hommes et de femmes qu’il a rencontrés ont exagéré leur âge pour améliorer leur statut social ou promouvoir le tourisme. (9)


La longévité au service du communisme

Selon Alexander Leaf, il n’y a pas de preuves tangibles de l’âge réel des habitants de la vallée de Hunza. Par exemple, les Hunzas n’ont aucune trace écrite qui permet d’évaluer leur âge. Leur langue est essentiellement orale, ils ne possèdent pas d’écriture. Par conséquent rien ne peut confirmer ou infirmer cette prétendue longévité.

Il en va de même dans la région du Caucase : on ne peut se référer à aucun document fiable. Les dates de naissance des personnes nées avant 1932 ont été recueillies oralement lors de l’établissement des cartes d‘identité. De plus, Staline, du fait de ses origines géorgiennes, affectionnait particulièrement les récits sur les personnes extrêmement âgées de cette région. Les membres du gouvernement s’en sont alors donnés à cœur joie et en 1959, alors que la population géorgienne représentait 2 % des habitants de l’Union Soviétique, elle fournissait 97 % des centenaires soviétiques !

Zhores Medvedev, un généticien russe émigré a expliqué qu’au moins un centenaire caucasien frauduleux avait été démasqué le jour où sa photo était parue dans le journal gouvernemental Izvestiya à l’occasion de son supposé 128e anniversaire. Peu de temps après, le journal a reçu une lettre de villageois expliquant que cet homme était un déserteur de la Première Guerre Mondiale et qu’il utilisait les papiers de son père depuis cette époque. Il avait en réalité 78 ans.

Néanmoins, les officiels soviétiques ont utilisé le phénomène de la longévité pour prouver la supériorité du système communiste sur le capitalisme.


Les miracles de Vilcabamba

L’âge des centenaires de Vilcabamba semblait de prime abord très plausible puisque les registres de baptême de l’église locale et les registres civils de naissances remontaient jusqu’en 1860 et pouvaient être vérifiés par les médecins. Cependant, quand le Dr Leaf est retourné à Vilcabamba quatre ans après son premier voyage, il s’est rendu compte que Miguel Carpio qui auparavant s’était présenté comme l’homme le plus âgé de la vallée à 121 ans, avait miraculeusement vieilli de onze ans. Lorsqu’il voulut vérifier son certificat de baptême, on lui annonça que celui-ci avait disparu dans l’incendie de l’église. Quant aux sept premières pages du premier tome du registre d’état civil, elles avaient été arrachées.

Selon Steven Austad, un gérontologue réputé, les gens de Vilcabamba se marient exclusivement avec des personnes de la même vallée montagneuse et seuls quelques noms de famille sont utilisés dans cette région, ce qui explique la confusion des registres de naissance. Il existe aussi une tradition locale qui veut qu’un enfant porte le même nom que celui du dernier aïeul décédé : à l’intérieur d’une famille, le même nom est ainsi réutilisé plusieurs fois. (10).

En 1977, le radiologue Richard Mazess et l’anthropologue Sylvia Forman se sont rendus à Vilcabamba pour tenter de démêler le vrai du faux. Ils ont étudié l’état de leurs squelettes à la recherche d’arthrose et d’ostéoporose. Ils ont aussi effectué un recensement de porte en porte et contrôlé les registres de naissance et de mariage. Deux conclusions se sont imposées : une forte exagération des âges et des incohérences dans l’enregistrement des dates. Par exemple, Miguel Carpio qui avait miraculeusement vieilli de 11 ans passant de 121 à 132 ans en seulement 4 ans était officiellement décédé à 112 ans, alors que son âge n’était en réalité que de 93 ans (11). Mazess et Forman ont constaté également que lorsqu’il avait 61 ans, il affirmait en avoir 70. Cinq ans plus tard, il déclarait avoir 80 ans et à 87 ans, il disait en avoir 121. Si l’on en croit ses propos, sa propre mère serait née 5 ans après lui !

Selon les chercheurs, aucun des 23 centenaires autoproclamés n’avaient en réalité passé le cap des cent ans. La moyenne d’âge était de 86 ans.

A leur retour, en 1979, Mazess et Forman ont publié leurs résultats dans le Journal of Gerontology. Ils concluent ainsi leur article : « une exagération systématique de l’âge a été trouvée après 70 ans au sein de la population équatorienne. Les âges extrêmes (plus de 100 ans) étaient soit incorrects, soit non vérifiables. Il n’existe aucune preuve d’une longévité plus importante de la population de Vilcabamba. »

Pourtant, en 2006, les "super-centenaires" de ces paradis isolés et leurs régimes exotiques continuent d'exciter l'imagination.

Les doyens de l’humanité

C’est la France qui détient officiellement le record de longévité authentifié par les archives grâce à Jeanne Calment, décédée en 1997 dans sa 123e année. Chez les hommes, le record est détenu par un Japonais, Shigechiyo Izumi, mort à l’âge de 120 ans et 237 jours. En janvier 2005, c’est Emiliano Mercado Del Toro, un Portoricain, qui devient officiellement le doyen de l’humanité à 113 ans (il est né le 21 août 1891). Il se place juste derrière la doyenne hollandaise, Hendrikje Van Handel-Schipper, 114 ans (née le 29 juin 1890).

Bibliographie

(1) Leaf A. : Every day over 100 is a gift. National Geographic 1973, 143(1) : 93.

(2) McCarrison R. : Studies in deficiency disease. Oxford Medical Publications, Londres, Royaume-Uni, 1921.

(3) Banik A. : Hunza land. Whitehorn Pub, Long Beach (Californie, USA), 1960.

(4) Toomey E. G. : A brief survey of the health in aged Hunzas. Am Heart J, 1964, 68 : 842.

(5) Benet S. : Why they live to be 100, or even older, in Abkhasia. The New York Times Magazine, Dec 26 1971.

(6) Benet S. : Abkhasians : The Long-living people of the Caucasus. Holt, Rhinehart & Winston (New York, New York, USA), 1974.

(7) Benet S. : How to live to be 100. Dial Press (New York, New York, USA), 1976.

(8) Davies D. : The Centenarians of the Andes. DoubleDay (New York, New York, USA), 1975.

(9) Leaf A. : Long-lived populations : extreme old age. J Am Geriatr Soc 1982, 30: 485-487

(10) Austad S : Why we age. John Wiley (New York, New York, USA), 1997.

(11) Mazess R. B. : Longevity and age exaggeration in Vilcabamba. J Gerontol, 1979, 34 : 94-98.

A découvrir également

Back to top