Santé publique : les experts français sont-ils nuls ?

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 23/02/2009 Mis à jour le 21/11/2017
La brochure de l’Institut national du cancer sur l’alimentation et la santé, qui affirme notamment qu'un verre de vin quotidien peut donner le cancer, est en passe de discréditer durablement cette institution.Ce ne serait pas la première fois que des « experts » officiels français se mettraient en porte-à-faux avec les connaissances scientifiques. Florilège des plus beaux dérapages de nos institutions sanitaires…

Le rapport de l’Institut national du cancer sur l’alimentation et le cancer continue de susciter de nombreux commentaires négatifs, y compris dans la communauté médicale et scientifique. Le Pr Bernard Debré (Hôpital Cochin) se dit révolté. Il dénonce « une étude sans queue ni tête, sans réel fondement scientifique ». Et s'insurge : « C'est scandaleux de publier des choses pareilles. Tout cela inquiète l'opinion publique et me choque profondément. Hier encore, les études mettaient en exergue le bénéfice d'une consommation modérée de vin pour lutter contre les maladies cardio-vasculaires. Le revirement, auquel on assiste, traduit une volonté d'hygiénisme bien pensante. »

Chez les chercheurs, c’est aussi la consternation. Et ce sont les Américains qui montent au secours du modèle alimentaire français ! « Ce rapport et notamment le passage sur le vin ne reflète pas l’état des connaissances », dit à LaNutrition.fr l’un des plus grands spécialistes américains de santé publique. « C’est de la mauvaise science. On a l’impression que ses auteurs ont voulu servir une certaine idéologie, peut-être en vogue au plus haut niveau de l’Etat. C’est ça le problème récurrent avec l’expertise française en matière de santé : la science passe trop souvent au second plan. »

De fait, le rapport de l’Institut national du Cancer vient allonger la liste des « avis » et « expertises » qui conduisent à se demander si nos experts sont toujours vraiment compétents. En voici un florilège.

Conseil supérieur d’hygiène publique de France, 1971 : « L’huile de colza est toxique »

Au début des années 1970, sur la foi de quelques études chez le rat, le Conseil supérieur d’hygiène publique de France (cshpf) estime que l’huile de colza présente un danger pour la santé publique et réclame la diminution drastique de la surface cultivée en colza au profit de celle pour le tournesol.

La vérité

L’huile de colza étant parfaitement adaptée aux besoins humains en acides gras et l’huile de tournesol pas du tout, cet avis a contribué aux déficits en acides gras oméga-3 très répandus dans la population.

 

Agence du médicament, 1990 : « Le tryptophane est dangereux »

En janvier 1990, les autorités sanitaires françaises interdisent le tryptophane, un banal acide aminé qui, par ses propriétés, concurrence les antidépresseurs. Le tryptophane ne coûte rien, au contraire des médicaments. Pour justifier l’interdiction du tryptophane, le ministère de la santé assure que le tryptophane provoque un syndrome d’éosinophilie myalgie (EMS), parfois mortel.

La vérité

Ces troubles étaient dus à un agent contaminant appelé pic X entrant dans la fabrication des produits à base de tryptophane vendus par un laboratoire japonais et non au tryptophane lui-même. L’information était connue dès 1991, pourtant le 14 mai 1991, un arrêté prolonge l’interdiction concernant le tryptophane. Il faudra attendre 2006 pour que la France, sous la pression de l’Europe, autorise à nouveau le tryptophane.

 

Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, 1992 : « Les suppléments de vitamine C responsables du scorbut »

Septembre 1992. La DGCCRF publie un rapport alarmant sur la « dangerosité des vitamines », repris par l’ensemble de la presse. Le journal « Le Monde » lui consacre une demi-page ! On y lit des histoires effrayantes : par exemple, que les femmes qui ont consommé des suppléments de vitamine C pendant la grossesse peuvent donner naissance à des enfants scorbutiques. Ou que « la consommation prolongée de vitamines (…) peut entraîner un état de dépendance". Le directeur de la DGCCRF, Christian Babusiaux, enfonce le clou : selon lui, l’adjonction de vitamines et minéraux dans les aliments fait courir autant de risques à la population que les résidus de pesticides et la pollution.

La vérité

Ni l’enrichissement des aliments en vitamines, ni la prise de compléments alimentaires n’ont rempli les hôpitaux. Quant à la vitamine C qui donne le scorbut…

Direction générale de la santé, 1995 : « L’amiante est un risque maîtrisé »

Alors que plusieurs pays ont totalement interdit l’importation et l’usage de l’amiante, la Direction générale de la santé (DGS) assure au début des années 1990 que celle-ci constitue un risque maîtrisé, qui ne fait que 200 victimes par an – le chiffre avancé par les industriels. Pour le Pr Jean-François Girard, alors directeur général de la santé il n'existe que des cancers de l’amiante professionnels et les cancers environnementaux n'existent pas.

La vérité

Une enquête de plusieurs mois conduite en 1995 et 1996 par des journalistes de Sciences et Avenir (dont Georges Golbérine et François Malye) révèle que l’amiante fait en réalité 2000 morts par an et accuse la DGS d’avoir menti à la population. Le 24 décembre 1996, un décret interdit l’usage de l’amiante.

Conseil supérieur d’hygiène publique de France, 1996 : « La vitamine D dangereuse aux doses utiles »

Le rapport sur les « limites de sécurité dans les consommations alimentaires de vitamines et minéraux » du CSHPF est rendu public le 1er février 1996. Les auteurs de ce texte avouent qu’ils l’utilisent pour prendre une revanche contre la « mode de la prévention » et « l’envahissante présence des vitamines » selon les propos de Jean-François Girard (alors Directeur général de la Santé). Sur la base d’une erreur de calcul, jamais corrigée depuis, la dose de vitamine D quotidienne à ne pas dépasser y est fixée à 1000 UI par jour.

La vérité

La vitamine D ne pose de problèmes qu’à partir de 40 000 UI par jour sur de longues périodes. La limite de 1000 UI empêche la population de se procurer des doses adéquates de vitamine D anti-cancer, qui vont de… 1000 à 5000 UI par jour en hiver !

Conseil supérieur d’hygiène publique de France, 1997 : « L’huile de lin toxique et inutile »

Le 14 octobre 1997, le Conseil supérieur d'hygiène publique de France s’oppose à la vente d’huile de lin pour la consommation humaine, aux motifs que le produit est potentiellement toxique, que ses acides gras oméga-3 n’ont pas « d’intérêt nutritionnel » et qu’« il n'existe pas de carence en [oméga-3] dans la population générale."

La vérité

L’huile de lin, vendue comme aliment dans tous les pays du monde est l’une des meilleures sources d’oméga-3. Cet avis a aggravé les carences en oméga-3 de la population générale.

Agence française de sécurité sanitaire des aliments, 2001 : « La créatine est cancérigène »

23 janvier 2001 : la presse française et internationale relaie une annonce spectaculaire : la créatine, une substance naturelle présente dans la viande et utilisée par les athlètes pour améliorer leurs performances, est potentiellement cancérogène. La nouvelle a pour source un rapport de l’Afssa, un organisme récemment mis en place par l’État pour garantir que l’alimentation des Français est sans danger. C’est le directeur de l’Afssa lui-même, Martin Hirsch, qui a pris soin d’informer les médias du caractère dangereux de la créatine.

La vérité

Dans son numéro de mars 2001, Sciences et Avenir démontre que ce rapport ne repose sur rien : la créatine n’est absolument pas cancérogène. Le magazine révèle que des dizaines de spécialistes mondiaux ont écrit à Martin Hirsch pour dire leur ras-le-bol. Le chercheur suisse Markus Wyss : « Les gens de l’Afssa ont mal interprété les résultats de la recherche ou les ont réinterprétés en les exagérant. Ce n’est ni équilibré ni scientifique. Le résultat auquel ils parviennent est faux. » Theo Wallimann (professeur à l’Institut de biologie cellulaire de Zürich) : « Le rapport de l’Afssa est non professionnel et plutôt embarrassant pour une agence officielle. Les soi-disant experts qui l’ont rédigé sont des bureaucrates, certainement pas des chercheurs. » Le docteur Paul Greenhaff (Queen’s Medical Center, Nottingham) : « Je vous conseille de retirer votre rapport, et de vous efforcer de présenter un avis mieux informé après avoir pris les conseils des experts de ce domaine. » Depuis, toutes les études ont montré que la créatine est bien sans danger.

Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, 2001 : « Confiance au Vioxx »

Le médicament de Merck, le Vioxx est alors au cœur d’une tempête, accusé par des dizaines de chercheurs de provoquer des infarctus. L’Afssaps va-t-elle, comme le demandent les chercheurs, exiger une étude sur les effets indésirables du Vioxx ? Va-t-elle retirer ou sévèrement restreindre l’usage du Vioxx comme elle en a les moyens ? Le 24 août 2001, l’Afssaps publie un avis sur le risque cardiovasculaire du Vioxx et du Celebrex. C’est un satisfecit décerné à Merck. L’Afssaps y critique le travail des détracteurs du Vioxx, accusé de comporter « différentes faiblesses méthodologiques ». Pour expliquer l’excès d’infarctus chez les patients qui prenaient le Vioxx, l’Afssaps reprend à son compte un argument inventé par le service marketing de Merck.

La vérité

Le 28 septembre 2004, Merck retire le Vioxx du marché. Le médicament est soupçonné d’être à l’origine de milliers de décès.

Agence française de sécurité sanitaire des aliments, 2001 : « Le sucre dédouané »

Dans l’édition des Apports nutritionnels conseillés pour la population française, ouvrage toujours officiel de référence, les experts de l’Afssa sont formels : les glucides (sucres de tous types, simples et complexes) ne font pas grossir, pas plus qu’ils ne donnent le diabète. « Le rôle diabétogène des glucides et notamment du saccharose, écrivent-ils, est une croyance populaire très répandue mais ne reposant sur aucune base scientifique. »

La vérité

Des centaines d’études incriminaient déjà en 2001 la consommation de glucides, en particulier lorsqu’ils sont raffinés, et d’aliments sucrés, dans le risque d’obésité et de diabète. Un lien confirmé par l’Organisation mondiale de la santé.

Agence française de sécurité sanitaire des aliments, 2001 : « Le sel dédouané »

En octobre 1998, le sénateur PS du Territoire de Belfort, Michel Dreyfus-Schmidt interpelle le ministère de la Santé sur les risques liés à la surconsommation de sel. Il faudra un an au ministère pour y répondre. C’est la secrétaire d’Etat à la Santé Dominique Gillot (nommée en juillet 1999), qui le fait le 21 octobre. L'impact du sel sur l'hypertension est minimisé. La thèse est reprise par l’Afssa en 2001 dans ses Apports nutritionnels conseillés pour la population française, ouvrage officiel de référence. Les experts de l’agence écrivent notamment que l’hypothèse selon laquelle le sel pourrait favoriser les maladies cardiaques, l’ostéoporose, l’asthme et le cancer de l’estomac « n’est pas vérifiée » lorsque la consommation quotidienne de sel ne dépasse pas 12 g/j. Comme ils évaluent la consommation des Français à 7 à 9 g par jour, il est inutile de diminuer les apports en sel pour la population générale. Ils concluent leur texte ainsi : « Pour la plupart des scientifiques, concluent-ils, le rôle des apports élevés de sel dans la pathogénie de l’hypertension artérielle est loin d’être démontré, même si certains continuent à le considérer comme établi. » L’Afssa ajoute que « il n'apparaît pas nécessaire de lancer des campagnes publiques alarmistes et médiatiques sur le sel, au détriment d'autres enjeux de santé publique. »

La vérité

Les risques d’une consommation excessive de sel et d’une consommation faible de potassium – caractéristiques du mode de consommation actuel – étaient connus. L’hypertension à elle seule serait responsable de la moitié des accidents vasculaires cérébraux et d’une part conséquente des maladies coronariennes.

Programme national nutrition santé, 2001 : « Un laitage à chaque repas »

En 2001 est lancé par le ministère de la santé le Programme national nutrition santé (PNNS), sous la direction du  docteur Serge Hercberg, par ailleurs membre du « conseil scientifique » du laitier Candia. Le PNNS a pour objectif louable de donner des conseils alimentaires aux Français, afin qu’ils soient en bonne santé. Le PNNS se fixe notamment l’objectif prioritaire « d’augmenter [chez tous les Français] la consommation de calcium ». Comment ? En consommant notamment « trois produits laitiers par jour ».

La vérité

Depuis plus de cinquante ans, aucune étude sérieuse n’a jamais montré que la consommation élevée de laitages prévient les fractures osseuses. Les risques d’une telle consommation (cancer fatal de la prostate, Parkinson) étaient connus dès les années 1990, mais ils ont été sciemment passés sous silence.

Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, 2004 : « Le BCG rend un service important »

Le 29 septembre 2004, au moment où plusieurs pays dont le Canada restreignent encore l'usage du BCG, un vaccin jugé inutile, la Commission de la transparence de l’Afssaps juge au contraire que "le niveau de service médical rendu par ce vaccin est important."

La vérité

Le 11 juillet 2007, des années après que toutes les preuves de l’inefficacité de la vaccination ont été réunies, le ministère de la santé se résout enfin à ne plus la rendre obligatoire. Jusqu’alors, 750 000 enfants étaient contraints de se faire vacciner chaque année pour être admis à l’école, pour un coût de 800 millions d’euros.

Agence française de sécurité sanitaire des aliments, mars 2005 : « Le soja dangereux pour les bébés et les femmes »

Le 9 mars 2005, l’Afssa publie un avis alarmiste sur les préparations à base de soja. Le rapport suggère que le soja affecte le développement des enfants, la santé des mamans, et qu’il pourrait dans certaines conditions augmenter le risque de cancer du sein - des conclusions reprises unanimement par toute la presse.

La vérité

Rien, en 2005 comme aujourd’hui ne permet d’incriminer les formules pour bébés à base de soja, pas plus que les aliments, ni même les compléments alimentaires dans les risques évoqués par l’Afssa. Le rapport de l’Afssa avait été rédigé à partir de l’interprétation d'études étrangères par un petit groupe de scientifiques français n’ayant qu’une expérience limitée de ces questions, voire aucune expérience du tout

Institut national du cancer, 2009 : « L’alcool favorise le cancer dès le premier verre »

Les auteurs de la brochure de l’Institut national du cancer, publiée le 17 février, affirment que la consommation d’alcool augmente le risque de cancer dès le premier verre , et ce quel que soit le type d’alcool ("le risque de cancer apparaît dès le premier verre de vin", assure la ministre de la santé Roselyne Bachelot). Le président de cet institut assure que ce sont les petites doses les plus nocives. Au passage, l’Institut national du cancer remet en cause l’idée que l'alcool soit bénéfique au système cardiovasculaire.

La vérité

La consommation modérée d’alcool diminue la mortalité cardiovasculaire et la mortalité toutes causes confondues. La consommation modérée et régulière de vin, elle, diminue le risque de très nombreux cancers en plus d’être bénéfique pour les artères.


Si ces dérapages sont inquiétants, la propension des grands médias à les répercuter sans distance l’est tout autant. « Les médias prennent avec des pincettes les informations fournies par l’industrie pharmaceutique ou l’industrie agro-alimentaire, mais ils relaient sans se poser la moindre question les avis officiels », commente Thierry Souccar, Directeur de la rédaction de LaNutrition.fr et auteur avec Maître Isabelle Robard, de Santé, mensonges et propagande. « C’est étrange, on pourrait pourtant penser qu’avec le temps ils ont appris que toute information, y compris officielle, doit être vérifiée… Mais non ! C’est à chaque fois les mêmes tambours et les mêmes trompettes. Une fois sur deux, ils sonnent faux, mais le mal est fait…»

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