C. Brusset : "Les pratiques de l'industrie agro-alimentaire sont scandaleuses"

Par Anne-Laure Denans - Nutritionniste, naturopathe Publié le 16/06/2016 Mis à jour le 13/06/2017
Point de vue

De la poudre de piment aux crottes de rat ou des confitures de fraises sans fraises…Voilà ce que l’on peut retrouver dans nos assiettes ! L’auteur de « Vous n’allez pas avaler ça », Christophe Brusset, raconte comment on en est arrivé là.

Ingénieur dans l’industrie agro-alimentaire, Christophe Brusset a travaillé plus de 20 ans à différents postes et a été témoin de pratiques plus scandaleuses les unes que les autres, destinées à sortir des produits au prix de revient le plus bas possible. Il a tout dévoilé dans un livre édifiant paru en 2015. Attention accrochez vos ceintures… vous n’allez plus jamais pouvoir faire vos courses comme avant.

LaNutrition.fr : Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Christophe Brusset : J’ai assisté en 20 ans à une dégradation de la qualité des aliments, avec des pratiques de l’industrie agro-alimentaire de plus en plus scandaleuses. Il faut que le consommateur soit au courant de tout cela et mon livre représente ma contribution pour essayer de faire avancer les choses.

Travaillez-vous toujours en milieu industriel ?

Non. Je ne pouvais plus rester dans le milieu de l’agro-alimentaire, j’ai donc choisi un environnement qui cadre plus avec mes valeurs : je travaille à l’étranger (Singapour) en amont de l’alimentation animale sur des produits naturels comme les vitamines et les huiles essentielles. Ceux-ci pourraient remplacer avantageusement les antibiotiques utilisés par les fabricants d’aliments pour les animaux ou les éleveurs.

Pour quelle raison l’industrie agro-alimentaire réduit-t-elle la qualité de ses produits ? Faire plus de profits ?

Il faut savoir que l’industrie baisse les coûts de ses produits sous la pression de la grande distribution. Actuellement, 4 ou 5 groupes se partagent le monopole et, afin de faire toujours plus de bénéfices, achètent les produits à des prix toujours plus bas et « étranglent les producteurs ». En témoignent les différentes manifestations d’éleveurs ou de producteurs de lait ou encore de fruits et légumes. L’industrie agro-alimentaire, elle, a choisi de s’en sortir en baissant la qualité de ses produits.

Lire : Qu'est-ce qu'un aliment ultra-transformé ?

Comment fait-elle ?

Elle importe des matières premières de piètre qualité, voire plus que douteuses. Je relate plusieurs anecdotes dans « Vous êtes fous d’avaler ça » qui, en général, marquent particulièrement les esprits. Par exemple, les piments souillés par des crottes de rats que vous allez retrouver sous forme de poudre de piments en grande surface ou encore les champignons bleus en provenance de Chine contenant on ne sait quels produits chimiques qui ont été recouverts de pâte à frire et vendus sous le label « Champignons de Paris panés ».
Mais certaines pratiques qui relèvent de la fraude sont bien connues et ont déjà été révélées au grand public. Ainsi, près de 30% du miel vendu en France est frelaté. Cela a été révélé par Que choisir en 2014. Les Chinois n’hésitent pas à vendre un « miel » composé à partir de sirops de glucose et de fructose industriels avec le bon colorant et le bon arôme. Ils y ajoutent ensuite la bonne dose de pollen pour passer les contrôles éventuels.

Lire : 90% des sucres ajoutés viennent d'aliments ultra-transformés

Comment tout cela est-il possible malgré les organismes de contrôle ?

Les services d’État sont débordés, ils n’ont ni le temps ni les moyens d’assurer les analyses sur les produits. Il y a donc très peu de contrôles. La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) doit surveiller les produits entrant sur le territoire, les restaurants… En moyenne un restaurant est contrôlé 1 fois tous les 12 ans, et en 20 ans de carrière j’ai dû voir 2 ou 3 contrôles dans l’industrie agro-alimentaire. La plupart du temps, ils ne font que contrôler la conformité des papiers fournis par l’industriel… qui sont bien entendu conformes. Ce sont les industriels qui sont chargés d’effectuer eux-mêmes les contrôles. Ils font donc des contrôles légers, sur ce qui les arrangent ou ferment les yeux sur de faux bulletins d’analyses que leur donnent les fournisseurs.
De toute façon, les intérêts économiques priment et même si on sait qu’en France que 30% du miel est frelaté, tout le monde ferme les yeux… Et que risquent les fraudeurs de toute façon ? Personne n’est allé en prison après l’affaire Findus…

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Quelles sont les pratiques les moins éthiques ?

Ce qui me choque le plus, ce sont tous les additifs qui sont connus pour être dangereux pour la santé humaine (certains sont potentiellement cancérigènes) et qui sont malgré tout autorisés dans l’intérêt de l’industriel. Ils permettent en règle générale d’améliorer les produits de mauvaise qualité. Par exemple les colorants permettent de dissimuler les défauts des produits. On retrouve dans les produits de l’industrie agro-alimentaire plus de 300 additifs alimentaires autorisés, et autant d’auxiliaires technologiques. Ces derniers sont une catégorie d’additifs qui n’a pas à figurer sur la liste d’ingrédients car ils sont utilisés dans le procédé de fabrication. On trouve par exemple dans cette catégorie des solvants comme l’hexane, des nitrites… Il faut également ajouter à tout cela les pesticides des végétaux et vous vous retrouvez avec un cocktail impressionnant de substances chimiques qui sont tous les jours avalées par les consommateurs…
Mais la pratique la plus scandaleuse reste l’utilisation de la vanille épuisée que vous retrouvez dans la majorité des crèmes glacées à la vanille. C’est un résidu broyé de vanille dont on a extrait tous les arômes à l’aide de solvants chimiques et qui est ajouté pour donner un joli visuel à la glace. En fait ce n’est rien d’autre qu’un déchet toxique !

Quels sont les additifs les plus employés ?

Il est difficile de faire une hiérarchie : ils sont tellement nombreux à être utilisés ! On peut citer les sorbates ou les sulfites utilisés comme conservateurs, les rétenteurs d’eau, les texturants pour les sauces, les arômes artificiels, les colorants parmi lesquels les colorants azoïques largement utilisés en confiserie ont été reconnus dernièrement comme « pouvant avoir des effets indésirables sur l’activité et l’attention des enfants »…

La présence de ces additifs est-elle un bon marqueur pour juger de la qualité des produits ?

Oui on peut dire que, plus la liste des additifs est longue, plus le produit est de mauvaise qualité. Par exemple, un foie gras de bonne qualité ne contiendra rien de plus que du sel, du poivre, du foie gras tandis qu’un foie gras de mauvaise qualité devra être accompagné de conservateurs et autres additifs…
Les autres marqueurs de la qualité des produits sont certains labels, l’origine du produit (la mention hors union européenne est à éviter car cela signifie souvent que les produits viennent de pays peu regardants sur la qualité comme la Chine), la certification bio qui autorise beaucoup moins d’additifs et de pesticides…

Comment votre livre a-t-il été accueilli par l’industrie agro-alimentaire ?

Suite à un article dans « Le Point » qui annonçait la parution prochaine de mon livre, j’ai reçu des menaces de certains industriels qui m’ont dit qu’ils allaient me traîner en justice.
Puis après la parution, dans des communiqués de presse, des représentants du Syndicat de l’industrie agro-alimentaire affirmaient que mes témoignages, par exemple sur la fraude du miel, étaient faux. Pourtant c’est du vécu !
Cela montre que l’industrie agro-alimentaire n’a aucune volonté de remettre en question ses pratiques ou de s’améliorer. Pour les politiques, c’est pareil. Dans une émission radio sur France Inter dans laquelle j’étais invité en présence d’un représentant politique, celui-ci a fait sourde oreille à mes propos en affirmant : « Tout est sous contrôle ».

Peut-on faire bouger les choses ?

Comme on vient de le voir, ni les industriels ni les politiques n’ont la volonté de changer les choses. Mais, au final, c’est le consommateur qui a tous les pouvoirs : celui d’acheter ou non ce que lui propose d’industrie agro-alimentaire. De donner son argent aux grandes surfaces qui étranglent les producteurs pour faire toujours plus de profit et qui de ce fait tirent la qualité des produits vers le bas, ou d’acheter via des circuits courts, des réseaux de producteurs (AMAP et autres).
Il faut également que le consommateur soit plus curieux, s’informe et regarde mieux l’étiquetage des produits qu’il va acheter. Par exemple, quasiment personne ne connaît le terme de « vanille épuisée », qui figure sur les emballages de la plupart des crèmes glacées et qui n’est ni plus ni moins qu’un déchet toxique à éviter.  
Il est également intéressant de savoir qu’il existe des associations de consommateurs comme Foodwatch qui sont très actives pour défendre leurs intérêts.

Quels conseils pouvez-vous donner pour bien manger ?

D’abord il faut savoir que la qualité a un prix. Aujourd’hui on trouve de la nourriture abondante et bon marché et on n’a jamais consacré aussi peu d’argent au budget alimentaire : 15% de notre revenu alors que dans les années 1950 c’était deux fois plus. Le consommateur doit avoir conscience que son alimentation a un impact direct sur sa santé et est donc à ce titre une vraie priorité. Et puis, à l’heure des épidémies d’obésité, de diabète, etc., ne vaut-il pas mieux privilégier les aliments de qualité et manger moins mais mieux ?

  • D’une manière générale, privilégiez les produits bruts non transformés, si possible bio. La législation autorise beaucoup moins d’additifs dans le bio et interdit l’usage de pesticides.
  • Evitez les poudres et purées, les produits avec une liste longue d’additifs…
  • Privilégiez les circuits courts et renseignez-vous sur les méthodes de culture ou d’élevage.
  • Informez-vous et donnez votre argent à ceux qui font de la qualité et on vous proposera plus de qualité !

Propos recueillis par Anne-Laure Denans.

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