Mélissa Mialon : « Les industriels nous rendent malades avec leurs produits et leurs pratiques. »

Par Priscille Tremblais - Journaliste scientifique Publié le 23/11/2021 Mis à jour le 23/11/2021
Point de vue

La chercheuse Mélissa Mialon publie Big Food& Co, un document qui révèle la responsabilité des industriels dans la dégradation de notre état de santé. Entretien.

Plus de 7 décès sur 10 dans le monde sont dus aux maladies non transmissibles comme le diabète, les cancers, les infarctus. Mélissa Mialon, ingénieure en agroalimentaire, docteure en nutrition, collaboratrice de l'Organisation Mondiale de la Santé explique dans Big Food & Co comment les pratiques de l’industrie alimentaire (et d’autres, comme l’industrie pharmaceutique) contribuent à nous rendre malades.

Lire : Big Food & Co

LaNutrition.fr : Pourquoi avoir écrit Big Food & Co ?​

Mélissa Mialon : Les lobbys des industriels sont au cœur de mes travaux de recherche depuis une dizaine d'années. Je suis ingénieure agroalimentaire de formation et ai ensuite fait un doctorat en nutrition, où je me suis penchée sur les lobbys de l'industrie agroalimentaire. Ensuite j'ai étudié l'industrie de l'alcool, pour enfin élargir mes travaux depuis quatre ans à l'influence politique des industriels, en particulier sur les politiques de santé publique. C'est suite à ces travaux que le livre Big Food est donc né.

Que sont « les déterminants commerciaux de la santé » qui constituent le socle de votre propos ?

​Les industriels nous rendent malades avec certains de leurs produits, le marketing conçu pour nous vendre toujours plus, et leurs actions de lobbying. Le système économique actuel perpétue ce pouvoir des industriels. Depuis une dizaine d'années, un groupe de chercheurs toujours plus nombreux cherche à comprendre toutes ces formes d'influence des industriels sur notre santé, qu'on regroupe désormais sous le terme des "déterminants commerciaux de la santé"

Vous détaillez dans le livre bien des pratiques marketing de Big Food. Quelle est celle qui vous choque le plus?

​Les publicités pour les laits infantiles premier âge et en particulier la publicité faite auprès des personnels de santé, alors que cela est interdit par la loi dans de nombreux pays. Pourtant chaque année, on relève des violations de la loi. Viser les enfants avec du marketing, alors qu'ils ne sont pas encore conscients de leurs choix mais pourtant influençables, me semble irresponsable.

>> C. Brusset : "Les pratiques de l'industrie agro-alimentaire sont scandaleuses"

Vous consacrez un chapitre aux multinationales qui soutiennent des actions caritatives ou environnementales. En quoi est-ce problématique ?

​Les industriels sont très présents auprès des communautés, du milieu associatif, des banques alimentaires. Ils profitent des banques alimentaires pour lancer de nouvelles campagnes de publicité déguisées en solidarité. En France, par exemple, Liebig a offert une soupe aux Restos du Cœur pour une soupe achetée, tandis que Modilac, fabricant de laits infantiles, versait un euro aux Restos pour l’achat de deux produits. D'abord, ces initiatives ne coûtent rien aux industriels : ce sont leurs clients qui font des dons et achètent en pensant que c’est pour la bonne cause.  Et cette apparente générosité cache en fait une technique éprouvée de relations publiques. Pour se faire bien voir des communautés et du grand public, obtenir leur soutien, rien de tel que de verser un peu d'argent dans des projets de terrain. Souvent aussi le logo de la marque ou l'entreprise, les couleurs ou d’autres éléments de la communication sont subtilement glissés dans des prospectus - une occasion supplémentaire de faire de la pub. Enfin, les associations ainsi aidées sont peu enthousiastes à l’idée de critiquer les agissements des industriels... C'est donc tout bénéfice pour l'industrie.

Vous vous alarmez du fait que 13% de la recherche en nutrition soit financée par l’industrie

Oui, 13% des études qui paraissent dans les plus grandes revues sont publiées par l'industrie. Donc dans ces revues prestigieuses, 13% de la recherche va dans le sens des intérêts des industriels. Pour prendre l’exemple d’un thème émergent et majeur, il sera impossible dans ces publications de parler de façon indépendante du sujet des aliments ultra-transformés, dont la consommation régulière est liée à des problèmes de santé. La vision industrielle, c’est que la solution aux problèmes alimentaires modernes réside dans la recherche de l'ingrédient miracle.

>> Un extrait de Big Food : comment les industriels nuisent à la santé

Vous appelez le public à réagir. Que peut-il faire ?

Dans mon livre, je donne plusieurs pistes d'action. Par exemple, voter. Faire croire que la politique est totalement corrompue sert à nous détourner des vrais problèmes, à nous dégoûter d’aller voter. Il existe des abus, mais il faut continuer d’aller voter. Agir collectivement aussi pour faire entendre notre voix aux élus : il existe de nombreuses associations et mouvements de citoyens qui n’attendent que du soutien. Cela peut être un soutien financier, mais aussi du temps à leur consacrer, ou même simplement relayer les campagnes pour plus de visibilité sur les réseaux sociaux 

Enfin vivre en fonction du futur que nous souhaitons. Toutes les décisions sont prises parce que nous choisissons, collectivement, d’aller dans une direction.

Pour aller plus loin, lire : BIG FOOD & CIE

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