Sommeil : comment expliquer les rêves lucides ?

Par Marie-Céline Ray - Journaliste scientifique Publié le 18/05/2020 Mis à jour le 19/05/2020
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Vous dormez tout en étant conscient que vous êtes en train de rêver : c’est un « rêve lucide ». Voici ce qu'en disent les recherches en neurosciences.

Généralement, dans un rêve, nous ne savons pas que nous rêvons et vivons les événements comme s’ils étaient « réels ». Mais parfois nous comprenons que nous sommes dans un songe. Ce rêve lucide, qui a été décrit dès l’Antiquité par Aristote, interroge sur le fonctionnement de notre cerveau (1). Le rêve lucide est fascinant car il offre la possibilité au rêveur de diriger son rêve dans une certaine direction. Il ouvre ainsi la possibilité de créer des thérapies, par exemple pour lutter contre les terreurs nocturnes.

Voyons ce que nous apprennent les études récentes sur le rêve lucide.

La fréquence des rêves lucides

Le rêve lucide est-il un phénomène courant dans la population ? En 2011, deux chercheurs de l’université d’Heidelberg (Allemagne) ont publié une enquête à laquelle plus de 900 adultes ont répondu (2). La moitié d’entre eux – 51 % – ont dit avoir déjà fait un rêve lucide dans leur vie. Le rêve lucide était plus fréquent chez les femmes et plus rare en vieillissant. 20 % des personnes faisaient souvent des rêves lucides, au moins une fois par mois.

Une autre étude allemande sur 571 rêveurs lucides a trouvé que le rêve lucide semble apparaître spontanément pendant l’adolescence (3). D’autres travaux sur la personnalité des rêveurs lucides suggèrent que ce sont plutôt des personnes ouvertes aux expériences. Il existe aussi une association entre rêve lucide et névrosisme, chez des personnes anxieuses ou dépressives (4).

Le rêve lucide présente des points communs avec la paralysie du sommeil : celle-ci a lieu en s’endormant ou en s’éveillant, quand le sujet est conscient, mais paralysé comme dans son sommeil.  Parfois, des personnes font l’expérience des deux phénomènes – rêve lucide et paralysie du sommeil – l’un après l’autre.

Que se passe-t-il dans le cerveau pendant le rêve lucide ?

Au cours des dernières décennies, les recherches ont confirmé que lorsque nous faisons un rêve lucide nous sommes physiologiquement endormis et en même temps conscients d’être dans un rêve. Le rêveur lucide peut avoir une action intentionnelle dans son rêve. Par exemple, il peut décider de quitter une scène ou au contraire de l’affronter. Le sujet qui sait qu’il rêve sera plus enclin à prendre des risques et à affronter sa peur.

Le rêve lucide a lieu pendant la période de sommeil paradoxal ou sommeil REM (rapid eye movement). Pendant le rêve lucide, l’activité physiologique, mesurée avec le rythme cardiaque et le rythme respiratoire, est activée, plus que pendant une période de REM classique. Les rêves lucides ont plutôt tendance à apparaître plus tard dans la nuit, ce qui suggère qu’ils sont associés à l’activation du cortex.

Lire : Le sommeil, comment ça marche ?

Des expériences ont mesuré l’activité cérébrale au cours du rêve lucide. Comme les personnes souffrant de narcolepsie font souvent des rêves lucides, elles représentent une population intéressante pour ce type d’étude. Par rapport à une période de REM classique, les électro-encéphalogrammes suggèrent, au cours du rêve lucide :

  • une augmentation de certaines ondes cérébrales (alpha centrales ou postérieures, bêta postérieures et gamma fronto-latérales). Normalement, dans une période de REM, l’activité frontale diminue, mais dans le rêve lucide l’activité des ondes gamma frontales augmente. La région frontale est associée au contrôle exécutif, à l’attention, au jugement rationnel et à la mémoire de travail,
  • une réduction des ondes delta fronto-centrales.

Pour savoir quelles sont les régions spécifiquement activées dans le cerveau, une étude de 2012 a analysé les IRM cérébraux de quatre personnes qui avaient l’habitude de faire des rêves lucides (5). Les chercheurs ont observé, pendant le rêve lucide, une activation de zones qui habituellement sont inactives en REM. Par exemple, le précuneus était particulièrement actif en rêve lucide. Or cette zone est associée à la pensée consciente.

Il y avait aussi une activation dans le cuneus bilatéral et les cortex occipito-temporaux, des régions qui participent au traitement de l’information visuelle. Or les rêveurs lucides rapportent souvent une luminosité et une clarté visuelle très bonnes dans leur rêve lucide.

La méditation favorise les rêves lucides

En Asie, certains s’entraînent depuis des millénaires au rêve lucide en pratiquant la méditation. Par exemple, les bouddhistes tibétains pratiquent le « yoga du rêve » pour cultiver leur état d’éveil lors des rêves. Le rêve lucide est également associé à la pratique de la méditation Zazen. La méditation agit sur l’état de conscience et permet de développer des facultés, comme une stabilité de son attention, qui pourraient favoriser le rêve lucide.

Globalement, les rêves lucides sont plus fréquents chez les personnes qui pratiquent la méditation (6). En 2019, une étude de l’université de Wisconsin-Madison s’est intéressée aux rêves de 38 personnes qui avaient une longue expérience de la méditation et de 140 personnes novices en méditation (7).

Les rêves lucides étaient au moins deux fois plus fréquents chez les personnes qui avaient une longue expérience de la méditation : elles en faisaient au moins un par mois, contre moins de 0,5 pour les novices. Un entraînement de huit semaines à la méditation de pleine conscience ne suffisait pas à augmenter la fréquence des rêves lucides : une pratique bien plus longue semble nécessaire. Dans cette étude, les personnes expérimentées en méditation pratiquaient la méditation pendant plus de 5h par semaine en moyenne, et depuis plus de cinq années.

Si vous ne voulez pas méditer, vous pouvez peut-être tenter une complémentation en vitamine B6. En effet, une étude australienne sur 100 personnes a trouvé que les personnes qui prennent ce complément se souviennent mieux de leurs rêves (8). Or, plus on se souvient de ses rêves, plus on a de chances de faire des rêves lucides…

Un traitement contre les cauchemars ?

Les cauchemars sont fréquents chez des personnes souffrant de dépression, de choc post-traumatique ou d’anxiété. Le rêve lucide pourrait aider ces personnes à passer de meilleures nuits, si elles pouvaient s’apercevoir qu’elles sont dans un rêve et non dans la réalité.

Plusieurs études ont été menées à ce sujet. Par exemple, en 2015, une petite étude autrichienne a recruté 32 personnes qui faisaient au moins deux cauchemars par semaine. Tous les participants ont suivi une thérapie de type Gestalt, mais certains ont aussi eu un entraînement au rêve lucide : par exemple, ils étaient incités à tenir un journal de leurs rêves, pour favoriser leur mémorisation ; ils devaient aussi écouter une séance d’hypnose servant à induire le rêve lucide.

Résultats : Les cauchemars ont diminué dans les deux groupes, mais la réduction a eu lieu plus vite et a été plus importante chez ceux qui ont réussi à apprendre le rêve lucide (9).

Des livres pour aller plus loin : 14 jours pour bien dormir, Méditasoins et 5 minutes le matin

Références
  1. Baird et al. The cognitive neuroscience of lucid dreaming. Neurosci Biobehav Rev. 2020
  2. Schredl et Erlacher. Frequency of Lucid Dreaming in a Representative German Sample. Perceptual and Motor Skills. 2011.
  3. Stumbrys et al. The phenomenology of lucid dreaming: an online survey. Am J Psychol. 2014.
  4. Hess et al. Lucid Dreaming Frequency and the Big Five Personality Factors. Imagination, Cognition and Personality. 2016.
  5.  Dresler et al. Neural Correlates of Dream Lucidity Obtained from Contrasting Lucid versus Non-Lucid REM Sleep: A Combined EEG/fMRI Case Study. Sleep. 2012.
  6.  Stumbrys et al. Meta-Awareness During Day and Night: The Relationship Between Mindfulness and Lucid Dreaming. Imagination, Cognition and Personality. 2015.
  7.  Baird et al. Increased lucid dream frequency in long-term meditators but not following MBSR training. Psychol Conscious. 2020.
  8. Aspy et al. Effects of Vitamin B6 (Pyridoxine) and a B Complex Preparation on Dreaming and Sleep. Perceptual and Motor Skills. 2018.
  9. Holzinger et al. Studies with lucid dreaming as add-on therapy to Gestalt therapy. Acta Neurol Scand. 2015.

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