Pierre Chandon : « On mange trop parce qu'il est très difficile d’évaluer les quantités »

Par Juliette Pouyat - Journaliste scientifique Publié le 04/03/2009 Mis à jour le 04/01/2022
Point de vue

Pourquoi a-t-on tendance à manger trop ? Parce qu’on ne sait pas évaluer les quantités comme nous l’explique le professeur Pierre Chandon, spécialiste de psychologie alimentaire à l’Insead de Fontainebleau.

LaNutrition.fr : Pourquoi a-t-on souvent tendance à manger trop ?

Pierre Chandon : Il y a plusieurs facteurs qui entrent en jeu, mais l’une des raisons c’est que nous avons beaucoup de mal à évaluer les quantités de nourriture que l’on mange. Pour beaucoup de gens le choix de ce qu’on va manger est une décision consciente et souvent réfléchie, en revanche la quantité d’aliments que nous allons consommer est une décision qui nous échappe bien souvent. Des facteurs comme nos habitudes ou même notre environnement interviennent alors pour nous dicter quelle quantité de nourriture nous allons consommer.

Lire aussi : Comment les industriels nous poussent à manger plus

Et comment estime-t-on la quantité de nourriture que l’on consomme ?

C’est très difficile parce que notre perception des quantités est faussée. Nous avons tous tendance à surestimer les petites quantités et à sous estimer les grandes quantités. Le plus problématique c’est que l’on a également tendance à largement sous estimer les changements de quantité. Par exemple si on vous amène une assiette 2 fois plus grande que d’habitude, elle ne vous semblera pas faire le double mais vous la trouverez à peine plus grande. C’est pareil avec les aliments servis en portions, les études montrent que si on double la taille d’une portion de frites, donc si on l’augmente de 100 %, elle vous paraîtra juste 50 % plus grande. D’où la difficulté d’évaluer précisément les quantités de nourriture que nous mangeons.

Alors nous mangeons davantage sans nous en rendre compte ?

Souvent oui. D’autant plus qu’au cours des dernières années les portions servies ont augmenté. Prenez les sodas par exemple, il y a quelques années une canette standard faisait 19 cl. Aujourd’hui ce format est vendu comme une portion destinée aux enfants, et la portion habituelle pour les adultes est passée à 33 cl voire même 50 cl, ce à quoi nous nous habituons très vite. D’ailleurs on finit rapidement par ne même plus se rendre compte qu’on mange davantage. Par exemple lorsque les Français vont aux États-Unis ils sont surpris au début par la taille des portions servies, ils trouvent les cocas gigantesques et les portions de frites énormes. Mais très vite ils s’y habituent et à leur retour en France une de nos portions « normales » semblera bien petite… La perte de repères est très rapide, et la portion servie habituellement nous fait vite figure de norme.

La géométrie au service des portions

 

Comment doubler la quantité de pop-corn contenue dans votre paquet ? Il suffit d’augmenter de 26 % chacune des dimensions du paquet : hauteur, largeur, longueur. Une règle géométrique immuable mais qui peut expliquer que votre double pop-corn vous paraîtra à peine plus grand que le simple…

 

Alors pourquoi nous sert-on des portions toujours plus grosses ?

Ce sont des choix économiques. En soit servir de plus grandes quantités revient à peine plus chers aux restaurateurs et aux chaînes de fast-food, mais en garnissant mieux les assiettes ils donnent aux consommateurs l’impression de faire une bonne affaire et d’en avoir pour son argent. D’ailleurs certaines enseignes ont tenté de réduire la taille des portions servies, et bien souvent les clients ont eu l’impression de se faire avoir. Le problème c’est qu’une fois servis, nous avons tendance à finir notre assiette, quelle que soit la quantité de nourriture qu’elle contient. Au final, on mange plus.

Est-il possible de faire machine arrière dans cette évolution de la taille des portions ?

Ça peut le devenir, d’ailleurs certains industriels commencent à y réfléchir, notamment sous la menace de taxer certains produits comme les sodas par exemple dans le cadre de programmes de santé publique visant à lutter contre l’obésité.

Et ces changements seront-ils bien acceptés par les consommateurs ?

Ça risque de prendre du temps mais pourquoi pas. Prenez par exemple les portions de frites dans les fast-foods. Vous avez en général plusieurs tailles : petite, moyenne, grosse. Si vous introduisez une portion moins importante que la « petite », alors celle-ci va devenir la « moyenne ». C’est juste une question de référentiel…

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