Ken Bob Saxton : "Pourquoi je cours pieds nus"

Par Sylvain Griot Publié le 06/07/2021 Mis à jour le 17/06/2022
Point de vue

Le « pape du pieds nus », Ken Bob Saxton, a rassemblé toute son expérience et ses techniques dans un livre : Courir pieds nus. Dans cet entretien, il explique pourquoi ce mode de course bénéficie à tous les coureurs, surtout les plus douillets, et permet de limiter les blessures.

Ken Bob Saxton est considéré comme le "pape" de la course pieds nus. Adulé par les barefoot runners, de Californie au Japon en passant par l'Australie ou la France, il a écrit Courir pieds nus avec Roy Wallack. Nous l'avons rencontré pour un entretien exclusif et décapant.

LaNutrition.fr : Vous avez couru 80 marathons, le premier avec des chaussures, mais tous les autres pieds nus. Pourquoi ?

Ken Bob Saxton : Mon objectif à l'époque était de courir un marathon au moins une fois dans ma vie. Les dix derniers kilomètres ont été très douloureux, mes pieds étaient recouverts d'ampoules. Mais après la course, en retirant mes chaussures, j'ai constaté que la plante de mes pieds était en parfait état. Seuls le dessus de mes pieds et l'arrière de mes chevilles étaient abîmés : la chair était à vif, et tous les ongles de mes orteils, noirs, sont tombés les jours suivants. Qu'importe, j'avais couru un marathon et atteint mon objectif, je n'avais donc aucune raison de connaître une telle douleur à nouveau.
Ça n'est que onze ans plus tard, en courant de longues distances sans chaussures sur les chemins, que j'ai réalisé que j'étais prêt pour courir un nouveau marathon, mais cette fois-ci pieds nus, et, plus important, sans douleur.

Pourquoi courir pieds nus ? En quoi cela permet-il de réduire les blessures en course à pied ?

Les gens atterrissent bien souvent avec un impact plus violent quand ils portent des chaussures ou quand ils courent sur des terrains trop meubles, parce qu'il leur manque la dimension sensorielle de l'atterrissage – le feedback immédiat (que dans le livre nous nommons le FeetBack), cette sensation que notre cerveau interprète comme un avertissement dès lors que nous atterrissons avec trop d'impact. En l'absence d'une telle information, nous avons tendance à négliger notre technique, d'autant plus si la bonne technique n'est pas déjà solidement ancrée.

Après avoir construit mon site internet, BarefootRunning.com, j'ai reçu de nombreux emails de coureurs qui avaient vu disparaître leurs blessures aux genoux et au dos grâce à la course pieds nus. Au fil des ans, j'ai peu à peu compris que l'expérience de ces coureurs était bien plus la règle que l'exception.

Lire aussi : Courir pieds nus : une bonne idée ?

Faut-il nécessairement courir pieds nus pour courir avec une bonne technique ?

Je ne dis pas que nous devrions courir pieds nus tout le temps. Chaque course n’est pas nécessairement un processus d’apprentissage, n’a pas forcément vocation à nous faire évoluer, changer ou grandir. Mais dès lors que nous voulons apprendre à courir avec plus de précision et de délicatesse, nous pouvons apprendre beaucoup plus rapidement avec nos pieds nus sur des terrains stimulants. Tout comme il est plus facile d’apprendre à lancer des fléchettes lorsqu’on peut voir là où les fléchettes vont se planter, il est plus facile d’apprendre à courir quand la plante de nos pieds peut sentir instantanément les forces qui passent à travers elle pour s’étendre à l’ensemble du corps. 
La plupart des champions ont une excellente technique (sans quoi ils ne pourraient pas courir assez vite pour devenir des champions sans infliger de graves blessures à leurs corps). Beaucoup ont grandi en courant la plupart du temps pieds nus. 

Lire aussi : Comment je me suis mis à courir pieds nus, par Roy Wallack

Existe-t-il alors une bonne et unique manière de courir ?

Il existe bel et bien une « bonne » manière de courir. Elle varie, bien entendu, d'un individu à l'autre, puisque tous les corps sont uniques et différents les uns des autres. Mais c'est là où les terminaisons nerveuses sous nos pieds (nos capteurs) nous sont utiles : elles nous permettent de savoir si les ajustements que nous mettons en place viennent améliorer notre technique (par une réduction de l'impact et des frottements) ou au contraire ne font qu'aggraver les choses. L'immédiateté de ce retour sensoriel est très importante. Les pieds nus sont bien plus prompts à nous enseigner la délicatesse et l'efficience que les conseils d'un expert qui nous laisse courir maladroitement pour ensuite analyser les points faibles de notre technique.

À lire : Sentons la vie depuis la base, marchons pieds nus !

Quelles seraient alors les règles d'une bonne technique ?

Elles sont au nombre de dix dans le livre. Bien sûr, la liste pourrait être plus courte ou plus longue, mais ce qu'il faut bien comprendre, c'est que nous pouvons réaliser nos propres ajustements nous-mêmes, adaptés à notre propre corps, en restant à l'écoute de la plante de nos pieds à chacun de nos pas. Voici selon moi les règles de base :

  1. Une posture verticale et détendue (afin de réduire les effets négatifs de l'impact)
  2. Des genoux fortement fléchis (pour minimiser l'impact)

Il ne faut surtout pas attaquer le sol, ni par le talon, ni par le médio-pied. Un atterrissage en douceur permettra d'éviter les chocs, les douleurs aux pieds, et donc les blessures aux jambes.

Considérez-vous que tout le monde peut bénéficier de la course pieds nus ?

Peut-être pas tout le monde. Je connais certaines personnes à qui il manque un pied et qui, par conséquent, ne peuvent pas tirer profit d'une telle pratique puisqu'elles ne reçoivent aucun signal sensoriel de la part du pied manquant (mais elles peuvent néanmoins bénéficier des points techniques que nous autres avons appris de notre expérience pieds nus.)
Pour les autres, la course pieds nus reste le meilleur outil pour ajuster et affiner sa technique. De nombreux champions, bien qu'ils concourent avec des chaussures (celles de leur sponsor), intègrent un peu de pied nu à leur entraînement afin de se perfectionner. Le retour sensoriel immédiat ne remplace peut-être pas un entraîneur professionnel, mais il vient très certainement compléter son travail. Et pour ceux qui ne sont pas sponsorisés par les grandes marques, le pied nu est bel et bien le meilleur expert que nous puissions nous offrir !

Mais la course pieds nus n'est-elle pas une pratique réservée aux coureurs «hardcore», en quête d'une expérience extrême ?

La plupart de ceux qui courent pieds nus le font parce qu'ils sont trop douillets pour supporter les douleurs et les blessures causées par la course en chaussures. Donc non, la course pieds nus n'est pas réservée aux coureurs hardcore, c'est tout le contraire. De nombreux coureurs pieds nus admettront volontiers qu'ils sont délicats, et n'ont aucunement l'âme d'un aventurier. Je n'ai vraiment pas besoin de chaussures pour courir (à part peut-être sur les surfaces les plus extrêmes, quand je n'ai pas envie d'un feedback aussi prononcé).

Peut-on dire que courir avec des chaussures minimalistes équivaut à courir pieds nus?

Les minimalistes sont parfois nommées « chaussures barefoot », ce qui est un non-sens. Avec elles, le feedback sensoriel de la plante de nos pieds est limité. Une technique de course brutale qui, pieds nus, ferait mal aux pieds n’a pas cet effet chez le coureur en chaussures minimalistes. C'est pourquoi les chaussures minimalistes ne nous invitent pas à perfectionner notre technique.

Beaucoup pensent qu'il suffit de chausser des minimalistes pour courir « comme pieds nus ». Bien souvent, ils courent alors sur l'avant du pied et après plusieurs semaines de douleurs dans les mollets commencent à développer des fractures de stress aux métatarsiens. S'ils avaient été pieds nus, et encore plus sur des terrains exigeants, ils auraient immédiatement senti que courir sans poser le talon est une stimulation bien trop importante pour la plante du pied. Cette manière de courir inflige beaucoup trop de stress et de tension aux mollets et aux métatarsiens. De la même manière, le coureur qui n'a pas de sensation sous les pieds n'est jamais invité à fléchir le genou, et donc à amortir le choc.

Certains fabricants ont affirmé que les chaussures minimalistes permettaient de réduire les blessures en course à pied. Quel est votre avis ?

Au contraire, les blessures ont augmenté dans bien des cas. Non seulement, les minimalistes bloquent le retour sensoriel nécessaire à l'apprentissage d'une course délicate, mais en plus elles n'apportent pas le support auquel le pied était habitué avec ses chaussures habituelles, ce qui fait que le coureur inflige encore plus de stress à ses pieds.
Nombreux sont ceux qui continuent d'assimiler la course minimaliste à la course pieds nus, mais seule la course réellement pieds nus permet d'obtenir l'information sensorielle dont nous avons besoin pour développer une course précise et délicate. 

Ne risque-t-on pas de se blesser aux pieds ?

Les podologues affirment que les risques de coupure sont grands, mais ceux qui courent pieds nus (j'entends, vraiment pieds nus) ont tendance à se faire moins mal aux pieds que les coureurs chaussés, car ils apprennent à éviter les dangers et leurs pieds développent une protection naturelle.

Propos recueillis par Sylvain Griot.

Pour aller plus loin, lire Courir pieds nus

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