Revers européen pour le Nutri-Score ?

Par Elvire Nérin - Journaliste scientifique et auteure Publié le 23/05/2022 Mis à jour le 24/05/2022
Actualité

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a-t-elle remis en question la validité de l’algorithme du Nutri-Score, système controversé d'étiquetage des aliments et des boissons ? 

Alors que la Commission européenne souhaite rendre un étiquetage nutritionnel obligatoire en Europe d’ici la fin de l’année 2022, et que plusieurs pays dont la France, la Belgique, les Pays-Bas, l'Allemagne, ont déjà adopté le Nutri-Score, l’EFSA vient, dans un avis sollicité par la Commission européenne, de semer la confusion. 

Cet avis est considéré comme un revers pour le Nutri-Score par les organisations agricoles italiennes opposées à cet étiquetage. Mais les défenseurs du Nutri-Score estiment au contraire qu'il valide le principe de leur algorithme. Quoi qu'il en soit, le rapport de l'EFSA reste marqué par le nutritionnisme, une forme de réductionnisme scientifique qui oublie qu'un aliment est plus qu'une somme de nutriments. 

Un étiquetage controversé

Créé en France par l’équipe du Dr Serge Hercberg, à l’origine du Programme national nutrition santé (PNNS), le Nutri-Score est basé sur un algorithme censé rendre compte de la qualité nutritionnelle des produits alimentaires et des boissons d’une même famille selon un score décroissant de A à E. Cet algorithme repose sur un système mis au point par l’Agence britannique des aliments en 2009 pour lutter contre la publicité audiovisuelle des produits sucrés ou gras destinés aux enfants. Le Nutri-Score est soutenu par des chercheurs proches de ses concepteurs, par l'organisation Food Watch et par des organisations de consommateurs comme Que Choisir.

Comme le Nutri-Score ne tient compte que des nutriments, et non du degré de transformation des aliments, il est également vu favorablement par les géants de l’agro-alimentaire comme Nestlé, qui, avec l’aide de fabricants d’ingrédients tel Cargill, utilisent son algorithme pour obtenir des scores A et B pour leurs aliments ultra-transformés.

Lire : Nestlé invente le parfait faux aliment

Mais le Nutri-Score est particulièrement controversé dans la mesure où il pénalise les aliments consommés traditionnellement en Europe et qu'il ne prend pas en compte le degré de transformation des produits. 

En France, l’opposition au Nutri-Score, lancée notamment par les producteurs de Roquefort, a rassemblé les producteurs de fromages AOP (appellation d’origine protégée) et IGP (indication géographique protégée) de comté, fourme, pélardon, maroilles ou encore cantal, qui demandent à être exemptés de cette notation. 

L'Italie, de son côté, soutient ses producteurs opposés au Nutri-Score, affirmant que ce système de notation condamnerait 85% de ses produits traditionnels comme le parmesan, le gorgonzola ou l'huile d'olive à arborer un score défavorable. L'huile d'olive, par exemple, recevrait un Nutri-Score C en raison de sa teneur en matières grasses, alors que sa consommation est liée à de nombreux bénéfices pour la santé tels que la réduction de la mortalité cardiovasculaire.

Lire : Comment échapper à l'infarctus et l'AVC, par le Dr Michel de Lorgeril

En novembre 2021, le ministre français de l’agriculture avait ostensiblement pris ses distances avec le Nutri-Score, proposant que sa méthodologie soit revue.

Lire : Anthony Fardet : "Le Nutri-Score ne fera pas baisser l'obésité"

Les producteurs italiens opposés au Nutri-Score sont optimistes

Pour les organisations agricoles notamment italiennes opposées au Nutri-Score, l'EFSA dans son dernier avis reprocherait implicitement au Nutri-Score de ne fonder son diagnostic que sur des produits alimentaires individuels, là où l’ensemble du bol alimentaire devrait être pris en compte. L'avis précise que "parce que les régimes sont composés de plusieurs aliments, l'équilibre alimentaire global peut être atteint grâce à l’association d'aliments avec différents profils nutritionnels, de sorte qu'il n'est pas nécessaire que les aliments individuels correspondent au profil nutritionnel d'un régime nutritionnellement adéquat".

L'EFSA souligne l'importance d'utiliser les valeurs nutritionnelles de référence européennes (VNR) pour déterminer la valeur nutritionnelle des aliments. C’est le système sur lequel repose Nutrinform, le projet d’étiquetage alimentaire italien concurrent.

L'avis de l’EFSA est donc vu comme un signe positif par les organismes qui fédèrent les productions agricoles en Italie notamment.

Mais les promoteurs du Nutri-Store sont confiants

Les promoteurs du Nutri-Score font au contraire valoir que l'EFSA a simplement formulé un avis scientifique sur le profilage nutritionnel pour le développement d'un éventuel étiquetage alimentaire obligatoire qui devrait s'appliquer à tous les États membres de l'UE.

Ils soulignent que les experts de l'EFSA se sont penchés sur les nutriments consommés en excès ou insuffisamment dans la plupart des pays européens et qu'ils ont constaté que la consommation d'acides gras saturés, de chlorure de sodium et de sucres ajoutés est supérieure aux recommandations actuelles dans la majorité des pays européens. Ils pensent que les modèles de profilage nutritionnel devraient en tenir compte. L'apport énergétique pourrait également être inclus car sa réduction améliorera la santé publique. Le danger que la diminution des matières grasses dans certains produits industriels soit compensée par une augmentation des sucres peut être contrée par des exigences concernant les sucres ajoutés. L'EFSA fait également mention des effets favorables des fibres, des fruits et légumes. Ces critères sont inclus dans l'algorithme du Nutri-Score. 

L'EFSA considère que l'augmentation des protéines ne serait pas en soi bénéfique. Or il s'agit d'un facteur "favorable" dans l'algorithme du Nutri-Score. L'EFSA indique que les consommations de calcium et de fer dans certains groupes de la population pourraient être insuffisantes. Les promoteurs du Nutri-Score se sont donc empressés de préciser que le facteur "protéines" de leur algorithme était une manière de se substituer aux apports en calcium et en fer.

Et les chercheurs qui travaillent sur les aliments ultra-transformés s'impatientent

Quelle que soit l'interprétation qu'on en fait, l'avis de l'EFSA reste focalisé sur la teneur en nutriments des aliments et du bol alimentaire. Il ne porte pas sur les modèles d'étiquetage comme le système Nova, qui s'intéresse en priorité au degré de transformation auquel a été soumis un produit alimentaire. Un oubli volontaire ou pas qui passe mal chez les chercheurs qui travaillent sur la transformation des aliments et considèrent, comme le fait LaNutrition, que le degré de transformation devrait être le critère principal de choix d'un aliment.

Le Bon Choix au Supermarché par LaNutrition.fr : les meilleurs produits sont les moins transformés

De ce point de vue, l'avis de l'EFSA, comme le Nutri-Score et les système d'étiquetage fondés sur les nutriments, relève entièrement du "nutritionnisme", pour reprendre le terme du chercheur australien Gyorgy Scrinis (université de Melbourne).

Le nutritionnisme est une forme de réductionnisme qui consiste à ne voir dans un aliment qu’une somme de nutriments (glucides, lipides, protéines…) au détriment de sa matrice. Le concept de matrice a été formulé par le Dr Anthony Fardet, spécialiste français des aliments ultra-transformés et auteur de "Pourquoi tout compliquer ? Bien manger est si simple". Parce qu’il peut favoriser les "faux" aliments industriels au détriment des "vrais" aliments traditionnels (huile d’olive, fromages, produits de la pêche…), le nutritionnisme et le Nutri-Score sont rejetés par de nombreux chercheurs en France, Espagne, Italie, Pays-Bas.

L'avis de l'EFSA ne s'aventure pas sur le terrain nouveau de la transformation. Il demeure ancré dans la "vieille" nutrition réductionniste.
 

La sélection

Publicité

Les meilleurs livres et compléments alimentaires sélectionnés pour vous par NUTRISTORE, la boutique de la nutrition.

Découvrir la boutique logo Nutrivi

A découvrir également

Back to top