Sucre et céréales raffinées ont probablement détruit la santé des Inuits

Par Marie-Charlotte Rivet Bonjean - Diététicienne et journaliste scientifique Publié le 06/12/2017 Mis à jour le 09/02/2022
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La santé des Inuits a commencé de décliner dès le milieu du vingtième siècle, en lien avec un bouleversement de leur régime traditionnel.

Etablis dans la région arctique, au Groenland, au Labrador, en Alaska et dans une partie des îles Aléoutiennes, les Inuits sont à l'origine des chasseurs-cueilleurs vivant en tribus de la chasse, de la pêche, du travail de l’os, de l’ivoire, de la pierre taillée ou polie. Les Inuits avaient un régime alimentaire de type Paléo crané, puisqu'ils se nourrissaient de morse, phoque, baleine, voire de caribous.

Les contacts entre les Inuits et les Blancs ont commencé dans la seconde moitié du dix-septième siècle, s'intensifiant à partir de la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Cette proximité croissante a conduit à l'abandon de leur mode de vie traditionnel.

Une santé déclinante tout au long du vingtième siècle

Longtemps considérés comme épargnés par les maladies de civilisation et jouissant d’une mortalité cardiovasculaire très basse, les Esquimaux et les Inuits n’ont plus ce privilège depuis plusieurs décennies. Dès les années 1970, des médecins ont constaté que les peuples indigènes du Groenland avaient autant, sinon plus, de risque de maladie coronarienne que les populations des pays développés. Il semble que leur santé se soit fortement détériorée au cours du vingtième siècle, et plus encore à partir des années 1950. Les changements intervenus dans leur mode de vie, et notamment dans leur alimentation, y ont joué un rôle important.

Les populations du nord ouest du Groenland ont reçu la visite de médecins dès le dix-neuvième siècle et les observations faites (bien que parcellaires et donc modérément fiables) suggèrent que les Esquimaux étaient en bonne santé, y compris sur le plan cardiovasculaire. Ces populations suivent alors un régime alimentaire traditionnel, mais avec très peu de végétaux et de glucides. L'apport en glucides dans l'alimentation des Esquimaux du Groenland a été évalué en 1855 par Rink à 2 à 8% des calories.

En 1918, August et Marie Krogh observent que l’alimentation normale des Esquimaux contient 280 grammes de protéines animales, 135 grammes de graisse et très peu de glucides (54 grammes), dont plus de la moitié vient du glycogène que renferme la viande qu’ils consomment.

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Entre 1948 et 1949, la prévalence de l’artériosclérose a été mesurée par Jorn Dyerberg et Hans Olaf Bang chez 1071 Inuits (531 femmes et 540 hommes) du district d'Umanak dans le nord du Groenland et 857 personnes de Korpo, en Finlande. Le nombre de personnes atteintes de ce trouble était environ quatre fois plus faible chez les Inuits (7,5%, 80/1073) qu’à Korpo (29%, 300/887), et 2 à 3 fois inférieur à celui que connaissait en moyenne la Finlande à l’époque. 

Lire l'entretien avec le Pr Dyerberg

On peut supposer que la santé des Esquimaux du Groenland a commencé à décliner au début des années 1900, au moment où leurs habitudes alimentaires ont été fortement bousculées.

Des changements alimentaires majeurs

Dans les années 1970, 40% des calories sont apportées par les glucides dont plus de la moitié provenant du sucre, le reste venant de céréales raffinées et de pommes de terre. La consommation quotidienne moyenne de sucre des Esquimaux du Groenland était en 1976 de 164 grammes par jour. Ils mangeaient aussi 134 g de pain, de biscuits et de farine de seigle, 31 g de riz et 42 g de pommes de terre. Cela équivaut à 371 g de glucides par jour

Par comparaison, en 1855, la consommation de sucre raffiné dans les Esquimaux du Groenland était de seulement 6 grammes par personne et par jour.

Selon Alfred Bertelsen qui a mené plusieurs études épidémiologiques dans les années 1940, la consommation de sucre (et de chocolat) dans l'ouest du Groenland est passée de seulement 11 livres par personne et par an en 1901-1903 à 87 livres par personne et par an en 1930-1933. Bertelsen a également noté que la consommation de céréales dans l'ouest du Groenland passait de 74 livres par personne et par an en 1901 à 205 livres par personne et par an en 1931.

Des études conduites en 1952 ont estimé que 54% des calories consommées dans les villages du nord ouest du Groenland provenaient encore des aliments traditionnels, mais la part de ces aliments était de seulement 25% en 1991.

Quand Dyerberg et Bang ont visité les Esquimaux dans les années 1970, ils ont noté que leurs dents étaient dans un état « catastrophique » à cause de leur habitude de siroter leur café à travers un morceau de sucre ».

Les aliments occidentaux riches en glucides consommés par ces Esquimaux provenaient de comptoirs tenus par la Royal Greenland Trading Company où les principaux aliments disponibles étaient le pain, les biscuits, le sucre, la margarine, les pommes de terre, le riz, le café, le thé, la farine et la bière.

En d'autres termes, les Esquimaux du Groenland dans les années 1970, ne consommaient plus du tout le régime traditionnel de leurs ancêtres.

Un modèle disparu

Pour résumer, l'apport en glucides raffinés et de sucre a considérablement augmenté dans l'ouest du Groenland et ceci a coïncidé avec l'augmentation des maladies coronariennes chez les Inuits. Il faut cependant noter que d’autres facteurs ont pu jouer, comme le déclin de l’activité physique et le tabagisme très répandu. On peut regretter que ces populations du Groenland (et aussi d’Alaska ou du nord du Canada) n’aient pas été suivis sur le plan épidémiologique depuis la fin du dix-neuvième siècle ou le début du vingtième siècle comme l’ont été celles d’Okinawa ; cela aurait permis d’apporter la preuve qu’ils jouissaient bien il y a un siècle d’une meilleure santé cardiovasculaire que leurs descendants actuels et surtout de comprendre ce qui les protégeait.

Lire : Dr Robert Lustig : "Le sucre est une substance inutile et toxique"

Sources : 

DiNicolantonio JJ. Increase in the intake of refined carbohydrates and sugar may have led to the health decline of the Greenland Eskimos. Open Heart. 2016 Jul 26;3(2):e000444.

Bjerregaard P, Young TK, Hegele RA. Low incidence of cardiovascular disease among the Inuit--what is the evidence? Atherosclerosis. 2003 Feb;166(2):351-7. PubMed PMID: 12535749.

Fodor JG. “Fishing” for the origins of the “Eskimos and heart disease” story: facts or wishful thinking? Can J Cardiol 2014;30:864–8.

Ehrstrom MC. Medical studies in North Greenland 1948–1949. VI. Blood pressure. Hypertension and arteriosclerosis in relation to food and mode of living. Acta Med Scand 1951;140:417–22.

Bertelsen A. Grønlandskmedicinskstatistikognosografi. Bd. III: Detsædvanligegrønlandskesygdomsbillede, [Medical statisticsm and nosography in Greenland: the usual disease pattern in Greenland]. Meddelelser Grønland 1940;3:117.

Bang HO. The composition of food consumed by Greenland Eskimos. Acta Med Scand1976;200:69–73. 

Krogh A. A study of the diet and metabolism of Eskimos undertaken in 1908 on an expedition to Greenland. Medd Grenland 1913;51:152. 

 

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