Marie-Agnès Peyron : « Il faut apprendre à nos enfants à bien mâcher »

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 12/05/2009 Mis à jour le 10/03/2017
Spécialiste de la mastication, Marie-Agnès Peyron est chercheur à l’INRA de Clermont-Ferrand. LaNutrition.fr l’a interrogée sur les liens entre la mastication et la santé.

LaNutrition.fr : Quel est le rôle de la mastication ?

Marie-Agnès Peyron : La mastication a pour objectif de préparer l’aliment à être avalé pour qu’il soit digéré. Cela comporte plusieurs aspects : tout d’abord, l’aliment doit être scindé en morceaux plus petits que ce qui a été mis dans la bouche pour que l’ensemble puisse être avalé sans douleur. En outre, certains aliments glucidiques comme le pain subissent déjà une digestion lors de la mastication. L’amidon qui y est contenu est presque à moitié digéré si sa mastication est correcte ; c’est ce qui donne un petit goût sucré au morceau de pain que l’on mâche longuement. Enfin, lorsque l’aliment est dans la bouche, ses différentes caractéristiques (goût, température, texture, composition…) sont analysées et transmises au cerveau qui prépare le tube digestif à l’arrivée de cet aliment pour permettre une bonne assimilation (même la salive est adaptée à la composition de l’aliment qui est mastiqué).


Cela signifie que la mastication a un impact sur notre santé ?

La mastication est certainement bénéfique puisqu’elle permet la libération de composés alimentaires dans la bouche. Il s’agit de molécules responsables du goût mais également de nutriments. J’ai en effet montré dans une de mes études que bien mâcher de la carotte crue permettait de libérer plus de bêta-carotène. Ainsi, même si pour l’instant il n’existe pas de certitude, plusieurs études ont montré que plus l’état de la bouche se dégrade, plus l’état de santé est altéré. Par exemple, les personnes qui ont des prothèses complètes évitent les aliments trop durs et trop fibreux, souvent bons pour la santé (viande, légumes…). On remarque chez beaucoup d’entre elles une dégradation de l’état de santé associée à des bilans sanguins médiocres : des taux plasmatiques de certaines vitamines (C, E, B9…) souvent inférieurs à la normale. Malheureusement, les méthodologies de ces études sont trop différentes pour permettre de conclure sur une relation de cause à effet directe.


Quels peuvent être les risques d’une mauvaise mastication ?

Les aliments ingérés sont transformés par la mastication en bol alimentaire, une entité plastique dans laquelle tous les morceaux adhèrent entre eux et sont déglutis pour être digérés. Si un aliment n’est pas suffisamment mastiqué, il ne formera pas un bol suffisamment déformable ce qui créera des douleurs lors de son passage dans de l’œsophage à l’estomac. Autre possibilité d’une mastication insuffisante : les particules qui n’adhèrent pas au bol alimentaire pourront être aspirées par les voies aériennes. C’est ce qu’on appelle couramment les fausses routes qui vont provoquer une toux. Plus grave, elles engendreront des bronchites chroniques, responsables à long terme de surinfections pulmonaires. Cela concerne principalement les personnes âgées, souvent en institution, qui ont une dentition en mauvais état ou encore celles atteintes de pathologies de la sphère orale (cancers, manque de salive). Enfin, un aliment mal mastiqué ne sera pas forcément mal assimilé par l’organisme ce qui pourra engendrer des carences.


Idéalement combien de fois devrait-on mâcher avant d’avaler ?

Il n’y a pas de réponse quantifiable : il faut mâcher le nombre de fois nécessaire jusqu’à ce que les aliments soient assez broyés et imprégnés de salive pour être transformés en bol alimentaire. Ce nombre diffère selon l’aliment mais aussi selon les individus : pour un même aliment, trois personnes avec un état oral correct auront besoin de 20 ou 40 ou 60 coups de dents pour former trois bols comparables au moment de la déglutition. La personne qui a besoin de 15 coups de dents pour mastiquer une tomate aura besoin de 23 coups pour une carotte, et celle qui a besoin de 40 coups va devoir en fournir 45 et ainsi de suite… Nous n’avons pas tous le même « équipement » dans la bouche ni le même apprentissage ce qui entraîne une très grande variabilité qu’il est nécessaire de respecter. Même si il est évident qu’il ne faut pas avaler tout rond, il n’est pas utile de mastiquer 2 fois plus longtemps si l’on sait que ce n’est pas nécessaire pour former un bol cohésif. Il faut simplement s’adapter à chaque aliment et à chaque texture, en fonction de ses propres possibilités. Naturellement, pour maintenir le potentiel de l’appareil masticateur, on essaiera de privilégier des aliments plutôt durs et d’éviter ceux qui sont trop mous.


Vous avez parlé d’apprentissage, c’est si important d’apprendre à nos enfants de bien mâcher ?

Bien sûr. Il s’agit d’une des raisons pour expliquer les différences de mastication chez les adultes. Les habitudes que l’on acquiert dans son enfance durent toute la vie. Ainsi ce que l’on a entendu étant petit conditionne le masticateur que nous serons adulte, différent selon si on lui a répété de se dépêcher de finir son assiette ou de bien mâcher avant d’avaler. Apprendre à mastiquer tôt a un rôle important sur les aspects physiologiques comme le développement des structures orales. Mais les variabilités personnelles sont également dues à l’histoire dentaire. Une douleur à répétition d’un côté de la bouche va conduire à mastiquer plus de l’autre côté et donc à développer d’autres habitudes de mastication. L’expérience personnelle est primordiale pour comprendre pourquoi chaque personne n’a pas besoin de la même intensité de mastication.


A titre personnel, faites-vous attention à la mastication lors de vos repas ?

Oui mais surtout pour la première bouchée et plutôt lorsque je découvre de nouvelles textures d’aliments. Personnellement, j’en fais rapidement abstraction même si au contraire, je répète à mes enfants de bien mâcher avant d’avaler.

 

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