Les émulsifiants sont-ils dangereux pour le microbiote intestinal ?

Par Anne-Laure Denans - Nutritionniste, naturopathe Publié le 27/03/2017 Mis à jour le 28/04/2021
Choisir ses aliments

Les émulsifiants, largement utilisés par l’industrie agro-alimentaire pour fabriquer des aliments ultra-transformés pourraient avoir des effets néfastes sur la flore intestinale. Tour d’horizon.

Les émulsifiants sont des substances naturelles ou de synthèse, souvent employées par l’industrie agro-alimentaire pour fabriquer des aliments ultra-transformés.

On trouve des émulsifiants dans un très grand nombre d’aliments industriels dans lesquels eau et huile sont associés, mais aussi dans les glaces, les chewing-gums et les produits de panification… Certains de ces émulsifiants peuvent avoir des effets marqués sur la flore intestinale.

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Pourquoi trouve-t-on des émulsifiants dans les aliments ?

Les émulsifiants servent à lier deux composants qui en temps normal ne se mélangent pas ou mal, comme l’eau et l’huile. Les émulsifiants créent des micelles stables à l’interface entre l’eau et l’huile. Dans les glaces, où l’une des phases est constituée d’air, ils permettent de la stabiliser. Ils donnent aux aliments un aspect et une consistance soyeux, ce qui les rend plus attrayants pour le consommateur. 

Les émulsifiants ont d’autres fonctions, dites « secondaires », comme le durcissement de la pâte des produits panifiés, et la prévention du rancissement. 

L’industrie agro-alimentaire associe ainsi souvent 2 ou 3 émulsifiants dans le même produit pour flatter leur apparence et faire des économies de matières premières. Par exemple, dans un gâteau industriel, un mélange d’émulsifiants permet d’augmenter l’aération, ce qui conditionne le volume, mais aussi de stabiliser la pâte, de la rendre souple et d’augmenter la teneur en eau. 

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Les différents types d’émulsifiants

Les émulsifiants peuvent être d’origine naturelle ou synthétique.

  • Par exemple, la lécithine (E322) est un mélange de phospholipides (phosphatidylcholine, phosphatidylethanolamine et phosphatidylinositol), généralement issu du jaune d’œuf ou du soja. On la trouve dans les plats préparés, le chocolat, les sauces pour salades, la margarine.
  • Les gommes (arabiques, de guar) sont des hydrocolloïdes qui augmentent la viscosité de la phase aqueuse. On les utilise comme épaississants et pour former des gels et maintenir des particules en suspension.
  • Les carraghénanes (E407) sont des polysaccharides extraits d'algues rouges et utilisés comme gélifiants, épaississants, stabilisants dans de nombreux aliments. « On les trouve dans certaines crèmes légères ou semi-épaisses, des laits chocolatés, des yaourts aux fruits, des crèmes glacées, des crèmes desserts, les laits végétaux ; ils sont également utilisés dans les plats préparés (lasagnes, saucisses lentilles…), les cordons bleus de poulet… Même les produits bio n’y échappent pas », commente Anne-Laure Denans, docteure en pharmacie et auteure du Nouveau guide des additifs.
  • Les mono- et diglycérides d’acides gras (E471) sont des substances semi-synthétiques faites de glycérol et d’acides gras naturels issus de sources végétales ou animales. On les trouve dans les produits de panification, les chewing-gums, les crèmes glacées et certaines margarines.
  • Les polysorbates sont des substances de synthèse qui contrôlent l’agglomération des graisses. On en trouve dans les crèmes glacées, les sauces pour salades. 

Les émulsifiants, naturels ou synthétiques pourraient poser des problèmes à la flore intestinale (microbiote intestinal), selon certains travaux.  


Le microbiote intestinal

L’intestin est colonisé par une large communauté de micro-organismes comprenant bactéries, virus, champignons, qu’on appelle microbiote intestinal. 

Le microbiote intestinal joue des rôles importants sur le métabolisme, l’immunité, l’inflammation, la santé cardiovasculaire et même la santé du cerveau. La perte de diversité du microbiote ou son déséquilibre ont été associés à des maladies inflammatoires chroniques, qui vont de l’obésité au syndrome métabolique, au diabète syndrome métabolique et aux maladies inflammatoires de l'intestin comme la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique (colite ulcéreuse). 

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Le microbiote intestinal peut être altéré par bien des facteurs, qui vont du stress chronique à la qualité de l’alimentation, en particulier le manque de fibres. Ces perturbations portent le nom de dysbiose. Récemment, des études ont mis en évidence le rôle néfaste sur le microbiote de certains additifs alimentaires que l’on trouve dans les aliments ultra-transformés. Il s’agit surtout d’émulsifiants.

Ces additifs favoriseraient la perméabilité de l’intestin ce qui peut conduire à des phénomènes d’auto-immunité.

En effet, l’intestin, en plus de son rôle de digestion et d’absorption, constitue une barrière entre le milieu intérieur et l’environnement. A ce titre, il doit empêcher les pathogènes, allergènes, toxines, présents dans le tube digestif, de passer dans l’organisme. Cette fonction barrière est assurée par des jonctions serrées qui séparent les cellules de l’épithélium intestinal.

Certains émulsifiants non absorbés pourraient nuire à la barrière intestinale en affectant les jonctions serrées. Lorsque les jonctions serrées sont déstabilisées, cela conduit à l’entrée d’antigènes étrangers qui activent l’inflammation et les phénomènes d’auto-immunité. Un mauvais fonctionnement de la barrière intestinale pourrait donc expliquer l’incidence croissante des maladies auto-immunes.

Deux émulsifiants dans le collimateur des scientifiques

Des articles récents ont accusé les émulsifiants de provoquer des dysfonctionnements de la barrière intestinale en affectant les jonctions serrées (1) (2). Lorsque les jonctions serrées sont déstabilisées, cela conduit à l’entrée d’antigènes étrangers qui activent l’inflammation et les phénomènes d’auto-immunité. Un mauvais fonctionnement de la barrière intestinale pourrait donc expliquer l’incidence croissante des maladies auto-immunes.

Ce n’est pas tout. En 2016 puis 2017, des chercheurs de l’université d’Atlanta (Georgie) et de l’université de Gand (Belgique) ont montré qu'expérimentalement, deux familles d’émulsifiants (polysorbates et carboxyméthylcellulose) perturbent la flore intestinale et la rendent pro-inflammatoire (3) (4).

Le Nouveau Guide des Additifs, conçu par LaNutrition.fr, à jour des données scientifiques, conseille déjà d’éviter ces deux familles d’additifs :

  • Polysorbates : E432 (polysorbate 20),  E433 (polysorbate 80),  E434 (polysorbate 40), E435 (polysorbate 60), E436 (polysorbate 65);
  • Carboxyméthylcelluloses : E466 (carboxyméthylcellulose de sodium), E468 (carboxyméthylcellulose sodique réticulée), E469 (carboxyméthylcellulose hydrolysée de manière enzymatique).

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D’autres émulsifiants sur le banc des accusés

Une nouvelle étude publiée en 2021 dans Microbiome est allée encore un peu plus loin en testant 20 émulsifiants courants sur un modèle de microbiote humain. (5) Voici ce que les chercheurs ont trouvé :

Additifs
Effets sur l’intestin
Où les trouvent-ont ?
Carboxyméthylcellulose de sodium, gomme de cellulose (E466)
Affecte la composition du microbiote
Édulcorants de table, gnocchis de pommes de terre, boissons alcoolisées, confiseries, fruits secs, pâtes, crèmes, nectars de fruits, aliments diététiques pour nourrissons et pour enfants à des fins médicales spéciales, compléments alimentaires
Polysorbate 80 (E433)
Affecte la composition du microbiote
Produits de boulangerie, sauces, soupes, huiles
Lécithine de tournesol (E322)
Affecte la composition du microbiote
Chocolat, pâte à tartiner, sauce, soupe, dessert…
Maltodextrine (E1400)
 
Affecte la composition du microbiote
Diminue la diversité des bactéries
Augmente l’inflammation
Affecte l’expression des gènes du microbiote
Sauces, soupes, sucreries, laitages, boissons végétales, laits infantiles, médicaments, boissons énergétiques pour sportifs
Alginate de propylène glycol, alginate d'hydroxypropyle (E405)
Affecte la composition du microbiote
Affecte l’expression des gènes du microbiote
Margarines, glaces à l'eau, chewing-gums, confiseries, pâtisseries, sauces, alimentation infantile, boissons aromatisées, bières, cidres, spiritueux, snacks
Carraghénane – lota (E407)
Affecte la composition du microbiote
Augmente l’inflammation
Affecte l’expression des gènes du microbiote
Laits déshydratés, crèmes pasteurisées, yaourts allégés, confitures, gelées, préparations infantiles
Carraghénane – Kappa (E407)
Affecte la composition du microbiote
Diminue la diversité des bactéries
Augmente l’inflammation
Affecte l’expression des gènes du microbiote
Carraghénane – Lambda (E407)
Affecte la composition du microbiote
Augmente l’inflammation
Affecte l’expression des gènes du microbiote
Gomme de xanthane (E415)
Affecte la composition du microbiote
Augmente l’inflammation
Produits transformés, additifs, ingrédients utilisés en pâtisserie maison
Gomme arabique  (E414)
Affecte la composition du microbiote
Affecte l’expression des gènes du microbiote
Gomme de guar (E412)
Affecte la composition du microbiote
Diminue la diversité des bactéries
Augmente l’inflammation
Affecte l’expression des gènes du microbiote
Gomme de caroube (E410)
Affecte la composition du microbiote
Agar-agar (E406)
Affecte la composition du microbiote
Diminue la diversité des bactéries
Esters monoacétyltartriques et diacétyltartriques des mono- et diglycérides d’acides gras (E472e)
Affecte la composition du microbiote
Diminue la diversité des bactéries
Pain et produits de boulangerie, boissons alcoolisées ou non, pâtes, fruits et légumes secs, confiseries, compléments alimentaires
Hydroxypropyl-méthyl-cellulose (E464)
Affecte la composition du microbiote
Diminue la diversité des bactéries
Édulcorants de table, gnocchis de pommes de terre, boissons alcoolisées, confiseries, fruits secs, pâtes, compléments alimentaires
Monostéarate de sorbitane (E491)
Affecte la composition du microbiote
Diminue la diversité des bactéries
Augmente l’inflammation
Produits de boulangerie, sauces, produits à base de lait fermenté, confiseries, chewing-gums, produits diététiques, compléments alimentaires
Monostéarate de glycérine (E471)
Affecte la composition du microbiote
Diminue la diversité des bactéries
Augmente l’inflammation
Affecte l’expression des gènes du microbiote
Pain et produits de boulangerie, boissons alcoolisées ou non, pâtes, fruits et légumes secs, confiseries, compléments alimentaires
Mono-oléate de glycérine (E471)
Diminue la diversité des bactéries

    Dans une étude récente, le polysorbate 80 (E433) et la carboxyméthylcellulose (E466) perturbent la flore intestinale et la rendent pro-inflammatoire. Il en va de même, toujours expérimentalement, pour certains carraghénanes (E407).  La gomme de caroube et la gomme xanthane ont entraîné des altérations de la densité des bactéries intestinales, de la composition de la flore, et augmenté l’expression de molécules pro-inflammatoires. La gomme arabique, l’agar agar, semblent avoir des effets modestes ou réversibles sur le microbiote intestinal. La lécithine de tournesol avait une influence néfaste sur certains paramètres (probablement du fait de la présence d’acides gras de la famille oméga-6, inflammatoires), mais la lécithine de soja n’avait pas d’effet notable. On manque de données pour ce qui est des mono- et diglycérides d’acides gras.

    Cette étude a mis en évidence les effets particulièrement néfastes des gommes sur le microbiote. D’autres études doivent encore tester l’effet d’une combinaison de plusieurs émulsifiants, appelé aussi « l’effet cocktail » que l’on trouve souvent dans les produits ultra-transformés.

    En pratique

    Pour diminuer votre exposition aux additifs, le plus simple est de réduire la part des aliments ultra-transformés dans votre alimentation. Celle-ci devrait rester occasionnelle ne devrait pas dépasser 15% des calories. Suivez les conseils du Bon Choix au Supermarché.

    >> Pour éviter tous ces additifs douteux, munissez-vous de notre Nouveau guide des additifs et Le bon choix au supermarché

    Références
    1. Lerner A, Matthias T. Changes in intestinal tight junction permeability associated with industrial food additives explain the rising incidence of autoimmune disease. Autoimmun Rev. 2015 Feb 9. pii: S1568-9972(15)00024-5. doi: 10.1016/j.autrev.2015.01.009.
    2. Csáki KF. Synthetic surfactant food additives can cause intestinal barrier dysfunction. Med Hypotheses. 2011 May;76(5):676-81. doi: 10.1016/j.mehy.2011.01.030.
    3. Chassaing B, Koren O, Goodrich JK, Poole AC, Srinivasan S, Ley RE, Gewirtz AT. Dietary emulsifiers impact the mouse gut microbiota promoting colitis and metabolic syndrome. Nature. 2015 Feb 25. doi: 10.1038/nature14232.
    4. Chassaing B. Dietary emulsifiers directly alter human microbiota composition and gene expression ex vivo potentiating intestinal inflammation. Gut. 2017 Mar 21. pii: gutjnl-2016-313099. doi: 10.1136/gutjnl-2016-313099. 
    5. Naimi et al. Microbiome (2021) 9:66 https://doi.org/10.1186/s40168-020-00996-6

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