Octobre rose ou l'échec annoncé du dépistage systématique du cancer du sein

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 14/10/2016 Mis à jour le 10/03/2017
Actualité

La ministre de la santé a laissé entendre que le dépistage systématique du cancer du sein pourrait être abandonné pour devenir plus personnalisé. Un constat fait par LaNutrition.fr en 2010.

Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez les femmes. En France, il tue 12.000 personnes par an. Toutes les femmes de 50 à 74 ans sont invitées à faire une mammographie tous les deux ans dans le but de faire baisser la mortalité. Or ce dépistage organisé suscite de plus en plus de controverses : non seulement la mortalité globale ne diminue pas, mais les pouvoirs publics sont accusés d'en minimiser les désavantages et d'en exagérer les bénéfices. Le ministère de la santé envisage de changer de méthode.

Dès 2010, LaNutrition.fr expliquait pourquoi le dépistage systématique ne donne pas de bons résultats, et préconisait un dépistage personnalisé. Six ans de perdus.

Lire le point de vue du Pr Claude Béraud 

Le ministère de la santé envisage une évolution du dépistage

Le 3 octobre, dans un communiqué de presse, le ministère de la santé a annoncé que le dépistage organisé du cancer du sein va faire l’objet d’une rénovation profonde. Cette décision fait suite à un rapport du comité d’orientation qui remet en cause le dépistage systématique actuel. En même temps, la ministre annonce que, pour les femmes particulièrement exposées, les examens de dépistage supplémentaires seront pris en charge à 100 %.

Le communiqué explique qu’il s’agit de moderniser le programme de dépistage organisé, avec des parcours plus personnalisés. Dans un article paru dans The Conversation, Philippe Nicot, médecin généraliste et enseignant à l’université de Limoges, réagit positivement à cette annonce. Il explique comment pendant deux décennies il a cru aux bénéfices du dépistage organisé du cancer du sein. Mais plus tard, après avoir pris connaissance d’articles scientifique sur le sujet, il a changé d’avis.

Entre 2010 et 2011, Philippe Nicot était membre d’un groupe de travail de la HAS. Avec trois autres membres du groupe de travail, il s’est prononcé contre le dépistage systématique, en désaccord avec la recommandation de la HAS. Il expliquait ainsi sa décision : « Il n’y a plus de donnée scientifique solide permettant de recommander le dépistage du cancer du sein de manière individuelle ou organisée. En effet, le bénéfice en terme de mortalité est constamment revu à la baisse. Tant le sur-diagnostic que le sur-traitement ont des conséquences néfastes de mieux en mieux connues et importantes. »

Lire : La Suisse remet en question le dépistage systématique du cancer du sein


Les bénéfices du dépistage français ont été exagérés

Un rapport du  groupe Cochrane pour la Scandinavie s’est intéressé aux bénéfices du dépistage organisé du cancer du sein. Que dit ce groupe d’épidémiologistes ?

  • Il peut être raisonnable de participer au dépistage du cancer du sein par mammographie, mais il peut être tout aussi raisonnable de ne pas y participer, car le dépistage a des avantages et des inconvénients.
  • Si 2.000 femmes sont soumises à un dépistage régulier pendant 10 ans, une va en bénéficier, car elle va éviter un décès par cancer du sein.
  • Dans le même temps, 10 femmes en bonne santé se verront diagnostiquer un cancer et seront traitées inutilement car les tumeurs dépistées n'auraient évolué que très lentement ou n'auraient pas évolué du tout (pseudo-cancer). Ces femmes auront soit une partie soit la totalité du sein enlevé, et recevront souvent une radiothérapie et parfois une chimiothérapie.
  • Par ailleurs, les médecins annonceront à tort à environ 200 femmes en bonne santé qu’elles ont un problème, avant que des analyses plus poussées contredisent ce diagnostic. Elles subiront inutilement un stress psychologique aux conséquences parfois graves.

En France, les brochures et sites Internet, qu’il s’agisse du ministère de la santé, de l’Institut national du cancer, ou de l’assurance maladie mettent en avant les bénéfices potentiels de la mammographie, sans s’attarder sur ses inconvénients. Ainsi, d’après le site de l’Inca (Institut national du cancer, consulté le 13/10/2016), « grâce au dépistage, de 100 à 300 décès par cancer du sein sont évités pour 100 000 femmes participant de manière régulière au dépistage pendant 7 à 10 ans. »

Mais selon deux épidémiologistes de Cochrane, Karsten Juhl Jørgensen et Peter Gøtzsche, le dépistage organisé permettrait de sauver la vie d’une femme sur 2.000 après 10 ans d’examens réguliers. La population visée par le dépistage en France étant de 4.500.000 femmes, le bénéfice de la mammographie se situerait autour de 2.250 vies sur 10 ans, soit 225 par an. Ce n’est pas négligeable bien sûr, mais c’est bien moins que les chiffres qui ont pu être annoncés par les autorités sanitaires au cours des dernières années.

Surtout, la brochure française passe sous silence le fait que le dépistage organisé ne réduit pas la mortalité totale.

Lire : Le dépistage du cancer suave-t-il des vies ?

Une étude canadienne montre que le dépistage annuel ne réduit pas les décès

Une étude canadienne a remis en question l’intérêt du dépistage par mammographie pour les femmes pré-ménopausées. «Nous n’avons trouvé absolument aucun avantage en termes de réduction des décès dus à l'utilisation de la mammographie », dit le responsable de cette étude, le Dr Anthony Miller, épidémiologiste à l'Université de Toronto.

L’étude du BMJ fait valoir que la mammographie détecte trop souvent des petits cancers qui ne seraient jamais devenus dangereux. Environ la moitié de tous les cancers trouvés par mammographie - non détectés à la palpation - relève de cette catégorie. Les chercheurs ont examiné les dossiers médicaux de 89.835 femmes dans six provinces canadiennes, âgées de 40 à 59 ans. Toutes ont passé des examens annuels par palpation, tandis que la moitié d'entre elles avaient également une mammographie annuelle pendant cinq ans, à compter de 1980.

Au cours des 25 années suivantes, 3.250 des 44.925 femmes dans le groupe mammographie ont reçu un diagnostic de cancer du sein, et 3.133 femmes parmi les 44.910 femmes du groupe de contrôle. 500 femmes du premier groupe sont décédées d’un cancer du sein, et 505 femmes dans le groupe témoin.

Les chercheurs ont constaté que les femmes qui ont eu une mammographie étaient plus susceptibles de recevoir un diagnostic de cancer du sein, mais cet examen n'a pas réduit leur risque de mourir de la maladie. Les chercheurs ont calculé que 22 % des cancers trouvés par les mammographies relevaient d’un surdiagnostic. Cela signifie que pour chaque groupe de 424 femmes qui ont passé l’examen, une a été traitée inutilement pour un cancer.

À la lumière de leurs résultats, les chercheurs concluent que «la raison d'être du dépistage par mammographie doit être réévaluée de toute urgence par les responsables politiques."

Pour aller plus loin, lire le livre du Pr Béraud : Trop de médecine, trop peu de soins, Mammo ou pas mammo ?

Références
  1. Ministère de la santé. Communiqué de presse du 3 octobre 2016.
  2. Groupe Cochrane. Dépistage du cancer du sein par la mammographie. 2008.
  3. Anthony B Miller, Claus Wall, Cornelia J Baines, Ping Sun, Teresa To, Steven A Narod. Twenty five year follow-up for breast cancer incidence and mortality of the Canadian National Breast Screening Study: randomised screening trial. BMJ 2014.

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